Des sections importantes de l’establishment politique américain préparent activement une guerre contre la Russie. C’est la seule conclusion qui puisse être tirée des termes utilisés pour décrire la Russie et le président russe Vladimir Poutine par les républicains et les démocrates de premier plan ces dernières semaines.
« Vladimir Poutine est-il un criminel de guerre ? » a demandé le sénateur Marco Rubio (républicain de Floride) à Rex Tillerson, candidat du président élu Donald Trump au poste de secrétaire d’État [ministre des Affaires étrangères], lors d’une audition au sénat mercredi : « Croyez-vous que Vladimir Poutine et ses potes soient responsables d’avoir ordonné le meurtre d’innombrables dissidents, journalistes et opposants politiques ? »
Tout en répondant que la Russie est une menace significative pour les intérêts américains, Tillerson s’est abstenu de reprendre les termes de Rubio. Cela a incité la sénatrice démocrate Jeanne Shaheen à exprimer sa consternation que Tillerson soit « peu disposé à être d’accord avec la caractérisation par le sénateur Rubio de Vladimir Poutine comme un criminel de guerre. »
Le même spectacle a eu lieu lors d’une audition du Sénat jeudi pour le candidat au poste de secrétaire à la Défense, le général James Mattis. Le sénateur républicain John McCain, qui a dénoncé le mois dernier Poutine comme un « voyou et un meurtrier » et a qualifié le prétendu piratage des mails du Parti démocrate d'« acte de guerre », a déclaré que les États-Unis seraient « engagés dans un conflit mondial pendant un avenir prévisible […] Le pouvoir dur [autrement dit l’armée] est important, [il faut] l’avoir, menacer de l’utiliser, l’employer comme arme diplomatique et parfois l’utiliser. »
Pendant des décennies, et en particulier depuis un quart de siècle, depuis la dissolution de l’Union soviétique, les médias américains et l’establishment politique ont joué une partition bien éculée avant chaque guerre d’agression. En prévision du bombardement de la Serbie en 1999, Slobodan Milosevic, ancien allié des États-Unis, a été rebaptisé comme la réincarnation d’Adolf Hitler. Alors que les États-Unis se préparaient à envahir et occuper l’Irak, Saddam Hussein, un autre ancien allié du gouvernement américain, est devenu le « Boucher de Bagdad ». En 2011, d’innombrables politiciens et chroniqueurs de la presse américaine et européenne ont fulminé contre le libyen Mouammar Kadhafi, qui fut assassiné avant de pouvoir être traduit en justice pour des accusations de crimes de guerre déposées à la Cour pénale internationale.
Le scenario se termine toujours de la même façon. Les États-Unis ne négocient pas avec les « criminels de guerre », les « bouchers » et les « voyous », ils organisent des opérations de changement de régime, font la guerre et finissent par les tuer. Dans le cas actuel, la cible de l’offensive de propagande est le président d’un pays avec le deuxième plus grand stock d’armes nucléaires au monde. La prochaine étape de l’offensive orchestrée menace d’avoir des conséquences catastrophiques pour le monde entier.
Et que dire du contenu des accusations ? La Russie est un État capitaliste, et Poutine est le représentant de l’oligarchie qui a émergé après la dissolution de l’Union soviétique par la bureaucratie stalinienne. La politique étrangère de Moscou reflète les intérêts de cette classe, y compris au Moyen-Orient et en Europe de l’Est, où elle cherche à garder ses alliés et ses bases militaires face à l’expansion impitoyable de l’impérialisme américain et européen.
Aucun soutien politique ne peut être accordé par les marxistes et les travailleurs ayant une conscience de classe aux actions du Kremlin en Ukraine et en Syrie, qui sont motivées par les intérêts réactionnaires de l’oligarchie russe. Mais elles sont essentiellement une réponse défensive à la poussée agressive des États-Unis pour supprimer les régimes sympathiques à la Russie, comme l’ancien gouvernement à Kiev et celui de la Syrie actuellement, afin d’isoler, d’affaiblir et finalement démembrer la Russie, éliminant ainsi cet obstacle à l’établissement de l’hégémonie américaine sur le continent eurasien.
Les déclarations des politiciens à Washington, à la fois démocrate et républicain, sont le summum de l’hypocrisie. En Syrie, où la Russie soutient son allié, Bashar al-Assad, les États-Unis ont alimenté la guerre civile depuis plus de cinq ans, en envoyant des armes et de l’argent aux organisations islamistes fondamentalistes hostiles au gouvernement syrien. En Ukraine, où la Russie est dénoncée pour avoir annexé la Crimée (suite à un référendum dans lequel 96 pour cent ont voté pour se séparer de l’Ukraine et rejoindre la Fédération de Russie), les États-Unis ont organisé un coup mené par des forces fascistes d’extrême droite pour évincer un gouvernement pro-russe en 2014.
En ce qui concerne les allégations totalement infondées d’« ingérence » russe dans les élections américaines, elles sont faites par un gouvernement qui a ses mains dans les affaires politiques de tous les autres pays du monde. (En février 2014, il faut s’en rappeler, la secrétaire d’État adjointe des États-Unis, Victoria Nuland, se vantait que Washington avait « investi » 5 milliards de dollars depuis la chute de l’Union soviétique pour constituer des forces pro-américaines en Ukraine).
Les différents responsables qui dirigent la campagne contre la Russie, y compris le président américain sortant Barack Obama, sont tous des criminels à répétition.
Ils ont tous voté et soutenu l’invasion américaine de l’Afghanistan. Depuis plus de 15 ans, les forces d’occupation américaines ont commis des atrocités contre la population civile de ce pays torturé, larguant des bombes et tirant des missiles sur des mariages, des écoles et des hôpitaux.
Jeudi, cachée dans les pages intérieures des journaux tels que le New York Times, et totalement ignorée par d’autres journaux, se trouvait l’information que l’armée américaine en Afghanistan avait publié son rapport truqué sur un bombardement en novembre qui a tué 33 civils dans la province de Kunduz. L’armée a prétendu que le crime de guerre était justifié, car les Talibans « utilisaient des habitations civiles comme des positions de tir ». Il y a un peu plus d’un an, en octobre 2015, l’US Air Force a utilisé des avions gunship AC-130 [canonnières volantes] pour attaquer un hôpital de Médecins Sans Frontières dans cette même province, tuant 42 personnes, dont du personnel médical et des patients. Au début de la guerre en Afghanistan, les États-Unis ont annoncé qu’ils ne respecteraient pas les Conventions de Genève, position sur laquelle ils ne sont jamais revenus.
Mattis, qui a reçu des éloges des démocrates et des républicains lors de son audition pour sa volonté de menacer agressivement la Russie, a supervisé l’assaut de 2004 contre Falloujah, l’un des épisodes les plus sanglants de l’invasion américaine et de l’occupation de l’Irak. Quelques semaines après l’offensive, Mattis a ordonné le bombardement d’une fête de mariage à Mukaradeeb, qui a tué 42 civils, dont beaucoup d’enfants.
Pendant les quinze années de « guerre contre le terrorisme », des centaines de milliers de personnes ont été tuées en Irak, en Syrie, en Libye, au Yémen, en Palestine, en Afghanistan et au Pakistan par des bombes larguées par l’armée américaine ou fabriquées aux États-Unis. Les États-Unis ont mis en place des centres de torture en Irak, en Afghanistan et dans d’autres pays.
Maintenant, la cible est la Russie, et non en raison des violations des droits de l’homme ou des crimes de guerre, mais parce que la Russie est un obstacle aux opérations américaines au Moyen-Orient et en Europe de l’Est. Les agences américaines de renseignement et de l’armée, auxquelles le Congrès, et même la Maison-Blanche, sont subordonnées, ne sont pas satisfaites des résultats de la dissolution de l’Union soviétique en 1991. La chute de l’URSS devait marquer « la fin de l’Histoire » et initier un « nouvel ordre mondial » dans lequel l’impérialisme américain aurait la liberté de poursuivre ses intérêts agressifs partout dans le monde, sans concurrents régionaux importants, et encore moins mondiaux.
Pourtant, chaque guerre que les États-Unis ont lancée s’est terminée par une catastrophe. Aujourd’hui, ils scrutent l’horizon et voient des menaces partout.
Cela inclut non seulement la Russie, mais aussi la Chine. Tout en assurant aux sénateurs leur hostilité envers la Russie, Tillerson et Mattis ont accentué les menaces contre la Chine. Tillerson a déclaré que le nouveau gouvernement chercherait à empêcher l’accès de la Chine aux îles de la mer de Chine méridionale, ce que les médias chinois ont déclaré vendredi comme constitutif d’un acte de guerre.
Combien de millions de personnes la classe dirigeante américaine est-elle prête à sacrifier dans la poursuite de sa marche maniaque pour dominer le monde ? Combien de milliers de milliards de dollars seront dépensés et quels programmes sociaux seront éliminés pour les payer ? Quelles seront les conséquences d’une guerre menée entre les puissances dotées d’armes nucléaires ? Ces questions ne sont jamais posées, et encore moins commentées, par les médias et les politiciens capitalistes.
Tout se passe dans le dos de la classe ouvrière américaine et internationale, mené par une clique du renseignement, de l’armée et de l’oligarchie patronale et financière, aidée par des médias de droite corrompus. Tout au long des élections présidentielles américaines de 2016, le World Socialist Web Site et le Parti de l’égalité socialiste ont averti que la question la plus brûlante à laquelle la population mondiale est confrontée, la guerre, n’était pas un sujet de débat pour eux. Les conséquences de l’élection confirment cela. La construction d’un mouvement international de la classe ouvrière contre la guerre impérialiste et le système capitaliste qui engendre la guerre est la tâche politique la plus urgente.
(Article paru en anglais le 14 janvier 2017)