La victoire d’Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle de France a déclenché une véritable vague de célébrations dans la classe dirigeante allemande.
Peu de temps après les premières projections dimanche soir, qui ont donné Macron légèrement en avance sur la candidate en deuxième place, la néo-fasciste Marine Le Pen du Front national, le porte-parole du gouvernement allemand a écrit sur Twitter : « Très bien qu’Emmanuel Macron ait réussi avec sa campagne pour une UE plus forte et une économie de marché sociale. Bonne chance pour les deux prochaines semaines. »
Le président du comité parlementaire allemand des affaires étrangères, Norbert Rötgen (Démocrates chrétiens), s’est enthousiasmé sur Phoenix TV : « Je pense que cela ne peut pas aller mieux pour l’Allemagne et l’Europe. Je crois que nous pouvons maintenant espérer que Macron sera président. »
Le ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier, le social-démocrate Sigmar Gabriel, a déclaré lors de sa visite de trois jours au Moyen-Orient : « Bien sûr, je suis heureux qu’Emmanuel Macron ait été en tête dans l’élection. Il a eu le résultat le plus fort de tous les candidats et va maintenant passer au deuxième tour et je suis sûr qu’il sera le nouveau président français. » Il « fera personnellement tout “pour continuer à soutenir” Macron. Pour lui, Macron sera « un excellent président », et c’est déjà « aussi une personne incroyablement amicale et un bon ami. »
Les prétendus partis d’opposition ont également sabré le champagne. Le président du Parti Vert, Cem Özdemir, a félicité Macron sur Twitter en commentant : « Merci, la France ! Merci #France ! Bonne chance à Emmanuel Macron ! En avant au deuxième tour ! » Le président du parti libéral (FDP), Christian Lindner, a écrit : « Un signal pour l’Europe, un signal de renouvellement. Emmanuel Macron donne également du courage à l’Allemagne. »
Et le Parti de gauche (Die Linke), qui a soutenu le nationaliste « de gauche » Jean-Luc Mélenchon au premier tour, incite maintenant à une victoire de Macron, bien qu’ils sachent que cela impliquerait une nouvelle détérioration des conditions de vie pour la classe ouvrière. Le coprésident du parti, Bernd Riexinger, a écrit sur Twitter : « Amer : #Macron mérite le soutien parce qu’il s’oppose à #lePen, mais ses demandes continuent la misère précédente de manière inchangée. »
Les médias et les politiciens justifient publiquement leur soutien à Macron en citant leur prétendue opposition au nationalisme et au racisme. Comme Gabriel l’a expliqué, il était heureux « du résultat » car Macron, certainement, « vaincrait l’extrémisme de droite et le populisme de droite, et les anti-européens au second tour ».
Pour qui nous prends le ministre allemand des Affaires ? En réalité, le gouvernement du parti socialiste sortant sous François Hollande, auquel Macron appartenait jusqu’en 2016, a adopté pas à pas les politiques du FN. Après les attentats terroristes de Paris de novembre 2015, Hollande a invité le Pen au Palais de l’Élysée et a imposé un état d’urgence en vertu duquel les droits démocratiques fondamentaux ont été suspendus. Le PS a ensuite poursuivi l’objectif d’inscrire dans la constitution française une disposition pour la révocation de la citoyenneté, une mesure juridique qui avait servi à la persécution des dirigeants de la Résistance sous le régime de Vichy et à l’envoi des Juifs dans les camps de la mort.
Les partis de l’establishment en Allemagne jouent un rôle similaire dans la réhabilitation de la politique extrémiste de droite. Ils sont également responsables de la montée de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) de deux façons. Tout d’abord, ils ont créé les conditions sociales misérables qui poussent de nombreux travailleurs au désespoir et permettent aux démagogues de droite de les exploiter. Deuxièmement, dans des conditions d’approfondissement de la crise sociale et politique en Europe, ils encouragent plus ouvertement la xénophobie et le nationalisme afin de diviser la classe ouvrière et de stabiliser leur propre régime.
Pourquoi Macron est-il applaudi à Berlin comme un sauveur progressiste et couronné vainqueur dès avant que le deuxième tour n’ait lieu le 7 mai ?
D’une part, Macron, ancien banquier de Rothschild et ministre de l’économie du président François Hollande, est le défenseur le plus explicite des intérêts du capital financier européen et demande une intensification des politiques d’austérité en France exigées par Berlin et Bruxelles dans toute l’Europe.
Fait significatif, l’indice Dax de la bourse allemande a atteint un record lundi, à 12 398 points. Stefan Kreuzkamp, stratège en chef en placement chez Deutsche Asset Management, s’est enthousiasmé : « Suite à ce résultat, je voudrais dire, Vive la France ! L’Europe vit. Et les actions européennes. »
La deuxième raison est l’objectif déclaré de l’élite dirigeante allemande de dominer l’UE depuis Berlin afin de jouer le rôle d’une puissance mondiale. « Nous n’aurons de l’influence que si nous conjointement, l’Allemagne et la France en particulier, faisons de l’Europe un véritable acteur dans le monde », a déclaré le président allemand et ancien ministre social démocrate des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier quelques jours avant le premier tour de l’élection, dans une entrevue avec le journal français Sud Ouest.
En tant que défenseur de l’UE et du militarisme européen, Macron est un allié dans ces plans mégalomanes. Dans les conditions de « la nouvelle orientation des États-Unis, une Europe unie devient encore plus importante », a déclaré Steinmeier, se référant à la politique agressive de l’« Amérique d’abord » de Donald Trump. Si l’unification de l’Europe échoue, « comme les partis nationalistes et populistes le veulent en France, nous ne serons pas des acteurs, mais des pions d’autres puissances », a-t-il averti.
Mais surtout, la classe dominante craint un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière. Dans sa dernière édition, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel s’est concentré sur la question de savoir « si les institutions du pays [la France] ont été manœuvrées dans une situation prérévolutionnaire en raison de l’incapacité des responsables. Si ce que l’on appelle encore aujourd’hui un État rappelle déjà le monde des rois de l’Ancien Régime pourri d’avant la Révolution française. »
La position de la bourgeoisie doit en effet être désespérée : elle s’appuie sur Macron, bien qu’il soit l’un des « responsables incapables » qui a manœuvré la France et l’a faite entrer dans une « situation prérévolutionnaire ».
Contrairement à ce que le Parti de gauche voudrait faire croire aux gens, il n’y a pas de moindre mal pour la classe ouvrière française au second tour de l’élection. Les travailleurs français font face à deux candidats qui sont pour la guerre et pour les principales attaques sociales. Si Macron, du moins pour l’instant, soutient la transformation de l’UE en une union militaire dominée par les Allemands qui préparera la guerre commerciale et la guerre militaire avec les États-Unis et la Russie, le Pen représente la division de l’Europe en États-nations hostiles, ce qui signifierait aussi la guerre en fin de compte.
La seule façon de lutter contre la rechute dans la barbarie est l’unification de l’Europe sur des bases socialistes. En France, cela nécessite la construction du Parti de l’égalité Socialiste (PES), section française du Comité international de la Quatrième Internationale (ICFI).
(Article paru en anglais le 26 avril 2017)