Le gouvernement du Premier ministre Theresa May a été contraint de retourner aux négociations avec le Parti unioniste démocratique (DUP), après que ce dernier a fait échec à un projet d’accord conclu entre May et l’Union européenne (UE) ouvrant la voie à une seconde phase de négociations sur le Brexit.
Le gouvernement en pleine crise de May dépend des 10 députés du DUP pour sa majorité parlementaire à Westminster.
Avant l’ouverture des pourparlers lundi avec le chef de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, les deux parties avaient largement convenu d’un accord sur deux des trois questions dont l’UE exigeait leur résolution pour que les négociations sur les futures relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’UE soient poursuivies. May avait accepté de doubler le règlement du montant du « divorce » proposé pour atteindre d’environ 50 milliards de livres sterling que le Royaume-Uni verserait à l’UE, et avait formulé une proposition apparemment acceptable sur les droits après le Brexit des citoyens européens résidant déjà au Royaume-Uni.
Selon les deux parties, toute question résiduelle à traiter aurait été conforme aux critères vagues que le Royaume-Uni, ayant fait des « progrès suffisants », justifie le passage à la phase deux des négociations.
Cependant, au cours des dernières semaines, l’UE a fait de la frontière entre la République d’Irlande, un membre de l’UE, et l’Irlande du Nord, qui fait partie du Royaume-Uni, la question principale à résoudre. Et sur ce point également, il a été suggéré qu’un bidouillage approprié serait proposé pour que la question puisse encore être discutée lors de la phase deux.
L’UE a fixé une date butoir au sommet de l’UE le 14 décembre pour conclure la première phase des pourparlers.
Dès le lundi matin, le gouvernement de May s’apprêtait à annoncer un accord après sept mois de pourparlers acrimonieux. Le secrétaire britannique du Brexit, David Davis, a déclaré qu’il espérait qu’un accord serait trouvé lors des pourparlers entre May et Juncker plus tard dans la journée.
Cependant, le radiodiffuseur irlandais RTE a divulgué des détails du projet d’accord suggérant que May proposait qu’il n’y ait pas de « divergence réglementaire » entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord après le Brexit, signifiant que l’Irlande du Nord resterait effectivement liée à l’Union douanière. Selon une autre fuite, le projet a convenu que l’Irlande du Nord resterait dans « l’alignement réglementaire » avec l’UE dans les secteurs clés de l’économie.
Cela a suscité une réponse furieuse dans le Daily Mail qui a cité une source parmi les caciques du Parti conservateur disant que le DUP avait « piqué une crise ». Le Mail a rapporté que « le parti a même menacé de se retirer d’un accord pour soutenir le gouvernement à Westminster. « Ils bouillonnent », a déclaré la source ».
En milieu d’après-midi, la dirigeante du DUP, Arlene Foster, se tenait devant l’Assemblée d’Irlande du Nord à Stormont, déclarant que le parti n’accepterait pas l’accord proposé et que « l’Irlande du Nord doit quitter l’UE dans les mêmes conditions que le reste du Royaume-Uni. Nous n’accepterons aucune forme de divergence réglementaire qui sépare économiquement ou politiquement l’Irlande du Nord du reste du Royaume-Uni ».
Il a été rapporté que Foster a parlé par téléphone avec May lors d’une pause dans les pourparlers entre May et Juncker. Peu de temps après, alors qu’ils n’étaient pas en mesure de conclure un accord, ils ont annoncé lors d’une conférence de presse qu’il n’y aurait pas d’accord lundi mais que les pourparlers reprendraient cette semaine menant à un accord concluant selon les deux parties.
Dans la position du DUP, il y a de toute évidence un élément de manœuvre politique pour conforter le soutien de sa base. Sur le plan économique, l’Irlande du Nord serait bénéficiaire de l’arrangement proposé par Theresa May, étant donné que cela permettrait de sécuriser les échanges avec l’UE et avec la République d’Irlande sans menacer le commerce avec le Royaume-Uni. Cependant, politiquement, l’accord était toxique pour avoir même suggéré un arrangement différent entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni sur les conditions commerciales et une identité commerciale partagée avec le sud de l’île.
May a quitté Bruxelles immédiatement dans une tentative de résoudre la crise avec le DUP. Elle n’a pas rencontré Foster, mais au lieu de cela, a demandé au chef conservateur de la faction parlementaire, Julian Smith, de conclure un marché avec le chef du DUP à Westminster, Nigel Dodds, dont les termes sur la question de la frontière leurs conviendraient.
Mardi, May a rencontré des hauts responsables du cabinet ministériel et discuté par téléphone avec Foster et Michelle O'Neill, chef du Sinn Féin à l’Assemblée d’Irlande du Nord, alors qu’elle s’apprêtait à rentrer à Bruxelles pour de nouvelles discussions.
Le gouvernement tente d’apaiser le DUP au motif que l’Irlande du Nord alignée sur les réglementations de l’UE n’aurait appliqué que des aspects spécifiques définis dans l’accord du Vendredi Saint de 1998 (l’accord mettant fin à la guerre civile en Irlande du Nord), notamment l’énergie, l’agriculture et les transports. Il prétend que dans le cadre de l’accord avec Bruxelles, tous les autres aspects de la vie économique pourraient être soumis à des changements futurs par le gouvernement britannique et par l’Assemblée de Stormont en Irlande du Nord sans aucune référence à l’UE.
À l’heure actuelle, Foster dit toujours être « choquée » par la proposition en s’en prenant au Premier ministre de la République d’Irlande, Leo Varadkar. De son côté, Theresa May est quelque peu gênée par le fait que les détails de l’accord UE-Royaume-Uni proposé ont donné lieu à des réclamations d’autres factions de l’élite dirigeante qui sont non seulement pour l’accord, mais demandent que le même cadre réglementaire devrait être appliqué à l’ensemble du Royaume-Uni.
Nicola Sturgeon, Première ministre écossais et chef du Parti national écossais, a tweeté : « Si une partie du Royaume-Uni peut conserver l’alignement réglementaire avec l’UE et rester de fait dans le marché unique […] il n’y a certainement pas de bonne raison pratique qui empêche d’autres à le faire. »
Carwyn Jones, le premier ministre travailliste du Pays de Galles, en était d’accord.
Le maire travailliste de Londres, Sadiq Khan, a tweeté : « D’énormes répercussions pour Londres si Theresa May a concédé qu’il est possible qu’une partie du Royaume-Uni reste dans le marché unique et l’union douanière après le Brexit. Les Londoniens ont massivement voté pour rester dans l’UE et un accord similaire ici pourrait protéger des dizaines de milliers d’emplois. »
L’accord proposé a ensuite provoqué une réaction violente de la part de plusieurs députés conservateurs en faveur du « Brexit dur » (sortie de l’UE sans aucun accord), qui veulent faire le minimum possible de concessions à l’UE. Jacob Rees-Mogg a déclaré : « Vous ne pouvez pas aligner la réglementation d’une partie du Royaume-Uni sur l’UE. Et si nous alignons l’ensemble du Royaume-Uni sur la réglementation de l’UE, nous n’avons pas quitté l’UE. »
Au Parlement mardi, le secrétaire du Brexit, David Davis, a fait une déclaration sur les discussions disant que le gouvernement et l’UE « restent confiants de parvenir à une conclusion positive dans le courant de la semaine ».
Davis a essayé de faire la quadrature de tous les cercles : tout accord sur le Brexit s’appliquant à l’Irlande du Nord couvrirait également le reste du Royaume-Uni, a-t-il dit. Mais « l’alignement réglementaire » sur l’UE n’était pas la même chose que d’avoir exactement les mêmes règles que l’UE, ou de rester dans le marché unique. « L’alignement […] ne veut pas dire avoir exactement les mêmes règles. C’est parfois des règles mutuellement reconnues, des inspections mutuellement reconnues – c’est là notre objectif. »
Rees-Mogg a répondu que la « divergence réglementaire » de l’UE après le Brexit était une « ligne rouge ». Un autre conservateur, Owen Paterson, a déclaré que « il vaut mieux aucun accord qu’un mauvais accord » et que May devrait être prête à abandonner les pourparlers avec l’UE sur la question de la frontière irlandaise.
Cependant, ce sont des positions minoritaires. La majorité, même les députés qui ont soutenu le Brexit, et pris May en otage, ont accepté la nécessité de conclure un accord largement selon les termes de l’UE.
En outre, avec la crise qui ravage l’élite dirigeante allemande, qui n’a pas été capable de former un gouvernement depuis les élections fédérales de septembre, les dirigeants de l’UE ne veulent pas voir la crise du Brexit s’intensifier davantage.
Le degré auquel les dirigeants de l’UE sont favorables au passage à la prochaine étape des négociations commerciales a été démontré mardi par le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy. Il a écrit un article pour le Guardian, qui a salué le gouvernement de May pour son soutien dans la lutte contre le séparatisme catalan avant de souligner : « Je suis absolument convaincu que nous entrerons dans la deuxième phase des négociations sur le Brexit le plus rapidement possible. »
(Article paru en anglais le 6 décembre 2017)