Le gouvernement canadien a annoncé qu’il sera l’hôte d’une réunion internationale dirigée par les États-Unis sur la Corée du Nord au début de l’an prochain. À cette réunion qui a toutes les apparences d’une convocation d’un conseil de guerre, le gouvernement libéral de Justin Trudeau invitera tous les participants de la guerre de Corée (1950-1953) à Ottawa pour discuter d’une «solution diplomatique» à la crise.
Toute référence à un règlement négocié n’a pour but que de tromper le public, le gouvernement Trudeau étant bien conscient que le déclenchement d’un conflit dans la péninsule coréenne – qui serait probablement mené avec des armes nucléaires et entrainerait la mort de millions de personnes – est profondément impopulaire. Le véritable objectif de cette rencontre a transpiré lorsque le député libéral Andrew Leslie, ancien général de l’Armée ayant servi en Afghanistan, a déclaré mercredi que la réunion alignerait un «front uni» contre Pyongyang.
La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a révélé qu’elle était en pourparlers avec le secrétaire d’État américain Rex Tillerson depuis des mois pour organiser cette réunion. Le même jour, elle a condamné le dernier test de missiles de la Corée du Nord, qualifiant le programme d’armement rudimentaire de ce pays appauvri de «menace directe pour le monde», et renchérissant du coup que «nous ne pouvons tolérer cette menace». Freeland a parlé des «provocations nord-coréennes répétées» lors de commentaires diffusés sur la chaîne anglophone CBC de Radio-Canada.
Quelle distorsion de la réalité! En vérité, la grande responsabilité du danger de guerre dans la péninsule coréenne repose sur l’impérialisme américain, qui a systématiquement incité la Corée du Nord à réagir au renforcement de son dispositif militaire agressif en Corée du Sud et dans toute la région de l’Asie-Pacifique. Le président Donald Trump ne cesse d’intimider le régime de Kim Jong-un et d’émettre des menaces sanglantes contre celui-ci, avec notamment sa déclaration infâme à l’ONU selon laquelle Washington «détruira totalement» ce pays de 25 millions d’habitants si nécessaire.
Dans ce qui peut être considéré comme le dernier indice d’une opération militaire imminente menée par les États-Unis, le New York Times a rapporté un jour après les commentaires de Freeland que Trump avait l’intention d’expulser Tillerson de son poste après que celui-ci ait parlé de tenter d’arriver à un accord diplomatique avec Pyongyang.
Le principal objectif de Washington dans un conflit avec la Corée du Nord serait la Chine, que les États-Unis depuis les administrations Obama et Trump cherchent à isoler et à encercler en déployant de plus en plus de ressources militaires dans la région de l’Asie-Pacifique et en accentuant la pression économique contre celle-ci. L’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies, Nikki Haley, l’a bien confirmé jeudi dernier, en lançant la mise en garde que si Beijing n’empêchait pas les exportations de pétrole vers la Corée du Nord, «nous allons nous occuper nous-mêmes de la question du pétrole».
La promesse de Freeland d’inviter la Chine à la réunion proposée ne peut dissimuler le fait que l’élite dirigeante du Canada est pleinement d’accord avec la stratégie antichinoise de Washington. Comme l’a noté le Parti de l’égalité socialiste dans sa récente déclaration appelant les travailleurs canadiens à se joindre à la construction d’un mouvement antiguerre international, «Tant Washington qu’Ottawa considèrent la Chine comme le véritable obstacle à la domination des États-Unis sur la région économique la plus dynamique du monde. La crise nord-coréenne est utilisée par Trump comme moyen de pression sur la Chine – allié principal de longue date de Pyongyang.» (Voir: Oppose Trudeau and Trump, the Canada-US alliance, and imperialist war! For a working class counter-offensive based on socialist-internationalism!) (Non à Trudeau et Trump, à l’alliance canado-américaine et à la guerre impérialiste! Pour une contre-offensive ouvrière basée sur l’internationalisme socialiste!)
Les médias canadiens, avec en tête le Globe and Mail, se sont engagés dans une campagne incessante contre la Chine avant le départ de Trudeau à Beijing ce week-end pour discuter avec le président chinois Xi Jinping. Le Globe, s’exprimant au nom de l’élite financière de Bay Street, a exhorté le gouvernement libéral à ne pas entamer de négociations de libre-échange avec Beijing. La bourgeoisie canadienne espère plutôt conclure un accord de libre-échange nord-américain (ALENA) encore plus ouvertement protectionniste avec Trump afin de défendre les intérêts mondiaux des deux puissances impérialistes nord-américaines contre leur rival chinois.
Tout au long de l’année, le Canada a joué un rôle belliqueux dans la crise qui sévit dans la péninsule coréenne. Ottawa maintient en effet un silence assidu face aux gestes agressifs des États-Unis et aux propos incendiaires de Trump, mais dénonce chaque action de la Corée du Nord comme une «provocation».
Le gouvernement libéral a joint le geste à la parole, déployant des navires de guerre canadiens dans les mers de Chine méridionale et orientale pour participer à des exercices menés par les États-Unis visant à provoquer la Chine et à tester la coopération avec la marine sud-coréenne. À la fin d’août, un petit contingent de soldats canadiens a participé à un exercice militaire interarmées avec les États-Unis et la Corée du Sud, ce qui a incité la Corée du Nord à tirer un missile qui a survolé le Japon.
Le fait de réunir la coalition de la guerre de Corée, malgré le langage diplomatique utilisé pour la chorégraphie d’une telle réunion, est en lui-même une provocation majeure. L’agression menée par les États-Unis en 1950 a coûté la vie à plus de 3 millions de personnes et dévasté la majeure partie de la Corée du Nord, y détruisant la grande majorité des villes, en plus de faire planer la perspective d’une guerre totale avec la Chine et l’Union soviétique. Le Canada a participé à ce massacre en déployant 25.000 soldats – dont plus de 500 ont perdu la vie – et en fournissant un soutien aérien et naval.
Et il faut noter le rôle principal que joue Freeland dans l’organisation du sommet sur la Corée du Nord. Dans son discours sur la politique étrangère prononcé au Parlement en juin pour coïncider avec la publication de la nouvelle politique de défense du gouvernement, elle a proclamé que la «force brute», c’est-à-dire la guerre, devait être un élément clé de la politique étrangère canadienne. Elle a loué le «rôle extraordinaire» joué par l’impérialisme américain au cours des sept dernières décennies dans la stabilisation du capitalisme mondial, omettant bien sûr de parler des millions de personnes qui ont péri ou ont été mutilées dans les guerres sans fin de Washington. Elle a également cité la montée économique de la Chine comme une menace pour les ambitions impérialistes canadiennes.
Le lendemain suivant le discours belliqueux de Freeland, le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a présenté le nouveau plan budgétaire du Canada en matière de défense, qui prévoit une augmentation spectaculaire de 70 % des dépenses militaires au cours de la prochaine décennie. Les Forces armées canadiennes recevront une flotte élargie d’avions de combat, de navires de guerre et de drones armés afin de pouvoir mener des opérations de guerre conjointement avec l’impérialisme américain partout dans le monde, y compris dans la région de l’Asie-Pacifique.
Le fait que la dernière annonce du gouvernement Trudeau soit liée à des préparatifs de guerre a été souligné jeudi lorsque la CBC a révélé que les forces armées du Canada et des États-Unis ont mené des exercices interarmées le printemps dernier pour tester leur capacité de réaction à une attaque nucléaire. Le gouvernement canadien aurait également revu ses plans secrets visant à déplacer le gouvernement en un endroit sûr à l’extérieur d’Ottawa en cas d’attaque nucléaire.
La présentation de ces exercices comme des mesures défensives ne doit tromper personne. Des discussions sont en cours au sein de l’élite dirigeante canadienne au sujet de l’adhésion au système de défense antimissile balistique (SDAB) des États-Unis, une initiative visant à permettre à Washington de mener une guerre nucléaire «victorieuse». Le SDAB joue un rôle clé dans le programme de modernisation des armes nucléaires de 1000 milliards de dollars développé par l’administration Obama et poursuivi et accéléré par Trump.
Le général Jonathan Vance, chef d’état-major de la Défense, bien conscient de l’opposition généralisée à l’intégration du Canada au SDAB, a affirmé jeudi que les Forces armées canadiennes n’en avaient pas encore discuté avec les États-Unis. Mais il a effectivement admis que de telles discussions commenceraient bientôt en mentionnant que des discussions approfondies sur la modernisation du NORAD (Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord) devaient commencer. Il a souligné que l’une des menaces à envisager au cours des 20 à 50 prochaines années au sein du NORAD, le partenariat canado-américain interarmées en matière de sécurité militaire lancé pendant la Guerre froide, serait celle des missiles balistiques.
Le gouvernement libéral et les hauts gradés militaires sont capables de s’engager dans cette conspiration de guerre profondément impopulaire derrière le dos de la population parce qu’il n’y a aucune opposition au sein de l’establishment politique. Le Nouveau Parti démocratique (NPD) qui est le soi-disant parti de «gauche» au Canada garde le silence le plus complet sur la situation dans la péninsule coréenne, acceptant tacitement la représentation par le gouvernement et les principaux médias de Pyongyang comme étant l’agresseur.
Le NPD a par ailleurs profité du voyage de Trudeau à Beijing pour jeter de l’huile sur le feu dans la campagne anti-Chine. Dans une déclaration fortement inspirée par la rhétorique de droite de l’administration Trump et teintée de nationalisme canadien, Tracey Ramsey, porte-parole du NPD en matière de commerce international, a accusé la Chine d’effectuer du «dumping sur le marché de l’acier... désavantageant dangereusement les entreprises canadiennes». Ramsey a également dénoncé les «agissements douteux» de Beijing en matière de «manipulation des devises», de «pratiques commerciales déloyales» et pour «le comportement des entreprises d’État en Chine, notamment dans la prise de contrôle d’entreprises canadiennes œuvrant dans des domaines de technologies sensibles.»
(Article paru en anglais le 2 décembre 2017)