Avant même qu’Emmerson Mnangagwa ne soit investi de ses fonctions de président vendredi, le Fonds monétaire international (FMI) a publié une liste d’exigences que le Zimbabwe doit satisfaire avant de reconsidérer le programme d’aide financière pour le pays.
Ces exigences démontrent l’absurdité des platitudes et banalités de Mnangagwa, prononcées dans un stade bondé de la capitale, Harare, au sujet d’une démocratie renouvelée, de sa promesse de « servir notre pays comme président de tous les citoyens » et de fournir « des emplois, des emplois, des emplois ».
Le directeur de la mission du FMI pour le Zimbabwe, Gene Leon, a déclaré jeudi à Reuters : « Alors que la croissance en 2017 sera stimulée par la récolte exceptionnelle grâce aux pluies exceptionnelles, le défi est de soutenir la croissance dans un contexte où la stabilité macroéconomique est menacée par les dépenses publiques élevées, le régime du commerce extérieur est intenable et le rythme des réformes inadéquat. »
La première tâche consistait à s’attaquer aux « dépenses excessives du gouvernement » et à « la création d’argent par la banque centrale » qui « mettait potentiellement en péril le secteur financier ».
Cela signifiait une réduction du déficit (par des coupes), des « réformes structurelles » accélérées pour rétablir la viabilité budgétaire et de la dette (plus de coupes encore) et afin de « rééquilibrer l’économie vers une croissance tirée par le secteur privé » (encore des coupes dans le secteur public ainsi que des privatisations).
Avant de reprendre « avec la communauté internationale pour accéder à un soutien financier indispensable », le Zimbabwe, qui a déjà payé ses arriérés au FMI, doit également rembourser les arriérés à la Banque mondiale, à la Banque africaine de développement (BAD) et au Fonds européen d’investissement accumulés depuis que l’aide internationale a été coupée en 1999.
Cela représente 1,4 milliard de dollars pour la Banque mondiale et 600 millions de dollars pour la BAD. Mais le total des dettes du Zimbabwe en octobre dues au FMI, à la Banque mondiale et à la Banque africaine de développement s’élève à 9 milliards de dollars. Il doit donc célébrer le splendide nouveau monde, annoncé avec la déchéance la semaine dernière de Mugabe, par la perspective d’être saigné à blanc.
Le remplacement de Mugabe par le milliardaire également corrompu Mnangagwa, installé par les dirigeants milliardaires des forces armées, a été préparé pendant des mois durant lesquels Mnangagwa et ses soutiens ont rassuré les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres puissances impérialistes, ainsi que les partenaires commerciales clés, la Chine et la Russie, qu’il répondrait à toutes les exigences qui lui seront imposées.
Avant le coup de palais contre Mugabe, le 7 novembre, le Zimbabwe Mail a déploré le fait que Mnangagwa ait limogé le vice-Premier ministre dans la lutte des factions entre la vieille garde de ZANU-PF et la Génération 40 menée par Grace Mugabe.
L’article, intitulé « Avec le départ de Mnangagwa, retour à la case départ pour l’économie ! », a expliqué que lorsqu’il était en charge des ministères économiques, il « a commencé une gamme de réformes. Des canaux ont été ouverts avec des financiers internationaux qui avaient tourné le dos au Zimbabwe, parmi lesquels le FMI, la Banque mondiale et la BAD, ainsi que l’Union européenne. »
En Chine, Mnangagwa a rencontré des entrepreneurs et la Banque de développement de Chine, qui installent des zones économiques spéciales et un projet de parc industriel au Zimbabwe. Dans un entretien accordé en 2015 à la chaîne de télévision chinoise CCTV, il lui a été demandé quels secteurs de l’économie avaient besoin d’une attention urgente. Mnangagwa a répondu : « On ne peut pas dire qu’il y a des domaines de notre économie dont nous sommes satisfaits […] Nous devons voir comment nous pouvons créer un environnement d’investissement qui attirera les flux de capitaux. Nous devons savoir que l’investissement ne peut aller que là où il fait du rendement, nous devons donc nous assurer que nous créons un environnement où les investisseurs sont heureux de mettre leur argent parce qu’il y a un retour sur investissement. »
Mugabe a répondu à cet entretien en mettant en garde : « C’est là que nous commençons à différer avec certains de nos gens ; ils vont jusqu’à faire des avances aux Chinois, en disant que nous voulons un nouveau leader. »
L’ancien allié de Mnangagwa et ancien ministre des finances, Patrick Chinamasa, ayant déclaré lors des négociations internationales qu’il était tombé amoureux du FMI et de la Banque mondiale, Mnangagwa a été loué par Eddie Cross, secrétaire économique du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) dirigé par Morgan Tsvangirai, comme un « homme d’affaires qui comprend les affaires ».
Cross prévoit maintenant que le MDC et d’autres groupes d’opposition finiront par partager le pouvoir avec le ZANU-PF, peut-être même avant les élections générales prévues pour l’année prochaine. Dans un entretien du 22 novembre avec The Zimbabwean, Cross, une marionnette politique des puissances impérialistes et des institutions financières, a explicité ce qui est attendu de la ZANU-PF sous Mnangagwa. Les « questions très difficiles […] sur la table pour le nouveau régime » comprennent :
• Préparer le prochain budget national de façon qu’il réduise « l’énorme déficit budgétaire » cette année après un déficit de 1,4 milliard de dollars américains en 2016.
• Des élections « libres et justes » comme condition préalable à « un plan de stabilisation et de redressement guidé par le FMI ».
• La réduction du déficit budgétaire actuel de 15 % du PIB à seulement 3 % « en réduisant les coûts récurrents et en augmentant les recettes de l’Etat. Les deux vont être difficiles à réaliser, car les Zimbabwéens sont déjà lourdement taxés et toute réduction des coûts de l’emploi va être très impopulaire ».
• Amender ou supprimer la « loi d’indigénisation » qui prévoit que les sociétés soient contrôlées à 51 pour cent par des nationaux, compléter l’autonomie de la Banque de réserve et revoir la réforme agraire en « indemnisant les fermiers blancs [riches] dont les terres ont été confisquées sans compensation. Et alors trouver ce qu’il faut faire avec les millions d’hectares de terres agricoles qui sont affectés par cet exercice ».
• « Enfin, le gouvernement devra faire face à la dette nationale qui s’élève actuellement à plus de 30 milliards de dollars [un triplement] si la compensation agricole est incluse comme une responsabilité éventuelle ».
Un autre homme politique de l’opposition qui a des choses à raconter est Tendai Biti, ancien ministre des finances de 2009 à 2013 pendant la période de coopération entre la ZANU-PF et le MDC. Il s’est brouillé avec Tsvangirai et dirige désormais le parti MDC-Renouveau. Biti a déclaré à Deutsche Welle pendant un forum économique à Johannesburg, en Afrique du Sud, jeudi, que le Zimbabwe doit réparer ses relations avec les donateurs étrangers. « Nous devons faire la paix avec Londres, Bruxelles et Washington. Nous devons trouver des partenaires qui ont de l’argent », a-t-il dit.
Biti a déclaré : « Nous avons enlevé ce baobab qu’est Robert Mugabe. Nous n’allons pas permettre à un petit arbre mopane, un petit acacia, d’être un autre Mugabe. [Sinon] les gens vont de nouveau retourner dans la rue ». Mais pour bien préciser qu’il ne préconisait aucune action populaire contre Mnangagwa ou l’armée, il a ajouté : « Le ministre lui-même retournerait dans la rue avec les chars ».
Voilà qui sont les participants à la conspiration politique et sociale en préparation contre les travailleurs et les pauvres des campagnes derrière la célébration officielle de la chute de Mugabe.
NKC African Economics, une société d’Oxford traitant des risques souverains concernant les investissements dans 30 États africains, a insisté dans Business Week, « La tâche de Mnangagwa, du Zanu PF, des factions du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), Joice Mujuru [anciennement de ZANU-PF et maintenant de Zimbabwe People First] et plusieurs autres est de mettre de côté les questions politiques de partis et de commencer à mettre en œuvre des politiques économiques et sociales qui encourageront la communauté internationale à prendre le Zimbabwe au sérieux et à lui envoyer les ressources nécessaires pour reconstruire. »
Toutes les personnes concernées savent très bien que les politiques qui seront prises « au sérieux » sont celles qui facilitent une opération internationale de pillage, l’augmentation des remboursements de la dette, de grosses indemnisations pour les anciens maîtres du Zimbabwe et l’appauvrissement continu des travailleurs.
Ceci explique pourquoi l’ancienne puissance coloniale du Zimbabwe est maintenant occupée à rétablir ses relations avec le Zimbabwe. Jeudi, Le ministre britannique de l’Afrique, Rory Stewart, a fait la première visite ministérielle à Harare depuis 1998, où il a rencontré, et a été photographié avec, Mnangagwa avant son investiture. Stewart a également rencontré Tsvangirai et Majuro. Le gouvernement conservateur a annoncé que la Grande-Bretagne prépare un ensemble de mesures de soutien au Zimbabwe à condition qu’une « réforme politique et économique » soit lancée.
(Article paru en anglais le 27 novembre 2017)