Les sociaux-démocrates allemands se préparent à une grande coalition avec Merkel

Quatre jours après l’échec des discussions exploratoires sur la formation d’une coalition « jamaïcaine » (d’après le drapeau de ce pays) entre les partis conservateurs, libéral et vert, le Parti social-démocrate allemand (SPD) prépare le terrain pour la poursuite de la grande coalition.

Lundi dernier, l’exécutif du parti avait voté à l’unanimité contre la participation au gouvernement et en faveur de nouvelles élections. Mais après des négociations entre le leader du SPD Martin Schulz et le président allemand Frank-Walter Steinmeier, et une réunion de huit heures impliquant la direction du SPD, le secrétaire général Hubertus Heil a annoncé le changement de cap tôt vendredi matin. Le SPD est « fermement convaincu qu’il est nécessaire de négocier », a-t-il déclaré. Le SPD ne s’exclura pas des pourparlers pour un gouvernement, a-t-il ajouté.

Cependant, le SPD ne voulait pas s’engager explicitement dans une grande coalition à ce stade. « Au sein du SPD, la grande coalition n’est pas automatique », a déclaré Manuela Schwesig, membre de l’exécutif. Mais cela vise simplement à gagner du temps afin de mettre en œuvre le nouveau cours.

Il appartient maintenant au chef du parti, Schulz, de préparer le parti à un changement de cap et de l’expliquer aux membres. C’est le message de la Maison Willy Brand, le siège du SPD. Schulz a déclaré sur Twitter qu’il ferait voter les membres sur la participation du SPD au gouvernement. Le SPD a prévu un congrès pour le début du mois de décembre.

Parallèlement à la poursuite de la grande coalition, une autre possibilité actuellement discutée est le soutien du SPD à un gouvernement minoritaire de l’Union démocrate-chrétienne et de l’Union chrétienne-sociale (CDU / CSU). Mais c’est moins probable. La proposition est simplement « le premier pas pour rentrer dans la grande coalition », a écrit le Spiegel Online.

Le Süddeutsche Zeitung a déclaré que l’option du gouvernement minoritaire serait « mauvaise » parce qu’elle affaiblirait l’Allemagne en politique étrangère : « Dans la situation dans laquelle se trouve l’Allemagne et avec le rôle que l’Allemagne occupe en Europe, il est inconcevable que le gouvernement aurait à craindre l’obtention d’un accord dans son propre parlement pour chaque décision difficile. »

Le président Steinmeier, dont l’adhésion au SPD n’est plus officiellement à jour, a exercé des pressions importantes sur son parti au cours des derniers jours pour qu’il rentre au gouvernement. Désormais, il ne veut plus laisser passer le temps et a invité les dirigeants du SPD, de la CDU et de la CSU au Palais de Bellevue la semaine prochaine pour discuter de la marche à suivre. Il a également l’intention de tenir des entretiens séparés avec les dirigeants parlementaires des démocrates libres (FDP), des Verts et de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) de l’extrême droite.

Le SPD avait décidé de ne plus faire partie de la majorité gouvernementale après avoir son pire résultat en 70 ans lors des élections du 24 septembre, au cours desquelles la CDU et la CSU ont également subi des pertes substantielles. Les partis au pouvoir avaient perdu un total de 14 pour cent du vote. Le SPD craint de se voir réduit à une peau de chagrin, et que la classe ouvrière ne se tourne vers la gauche s’il reste au gouvernement malgré le verdict dévastateur de l’électorat.

Après que les discussions sur une éventuelle coalition CDU-FDP-Vert ont traîné pendant des semaines, sans aboutir, leurs priorités ont changé. Le président Steinmeier, le président du Bundestag (parlement) Wolfgang Schäuble (CDU) et d’autres représentants de l’État ont insisté sur le fait que de nouvelles élections devaient être évitées à tout prix. La raison en était leur préoccupation que l’insatisfaction sociale généralisée trouverait une expression politique dans une nouvelle campagne électorale et qu’une crise gouvernementale prolongée minerait la position internationale de l’Allemagne.

Ils ont rapidement trouvé des soutiens au sein du SPD. Le ministre des Affaires étrangères Sigmar Gabriel, qui continue à servir temporairement dans cette position, le maire de Hambourg Olaf Scholz et d’autres représentants de l’aile droite du parti ont critiqué Schulz, qui continuait d’insister pour que le SPD reste dans l’opposition. Jeudi, Schulz a cédé.

Une troisième version de la grande coalition serait sensiblement différente de ses prédécesseurs de 2005 à 2009 et de 2013 à 2017. Émergeant d’une défaite électorale majeure, le gouvernement manquera de toute légitimité démocratique. En conséquence, il répondra d’une manière beaucoup plus autoritaire et impitoyable que son prédécesseur à la pression d’en bas. La lecture des commentaires des journaux sur le changement de cap du SPD ne laisse aucun doute sur ce point.

Lundi, le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) proclamait encore son « respect » pour le FDP, car il a torpillé les négociations sur la coalition dite jamaïcaine et « a épargné » à l’Allemagne « un gouvernement plein de contradictions ». Maintenant, le FAZ fait l’éloge du SPD très chaudement parce que le parti s’est plié aux « intérêts de l’État ».

« Quand la sage-femme portant le nom de président intervient dans la salle de travail de la démocratie parlementaire, tous les désirs des partis doivent se replier face aux intérêts de l’État », a écrit l’organe conservateur de la Bourse de Francfort.

Pour le FAZ, la République de Weimar, avec laquelle il compare la situation actuelle, ne s’est pas effondrée parce que les élites de l’État – le président du Reich, l’état-major de l’armée, la justice et les partis bourgeois – se sont alignés sur les forces les plus réactionnaires et ont même nommé Hitler comme chancelier, mais plutôt à cause « de la disposition des partis dans un paysage politique de plus en plus fracturé » a pris « le dessus sur le bien-être de l’État. »

C’est là la justification classique de toute dictature : à mesure que s’intensifient les conflits sociaux et politiques, les partis – qui sont l’expression politique des intérêts sociaux – et donc la démocratie, doivent s’incliner devant le « bien-être de l’État ». Le 4 août 1914, lorsque le SPD vota pour les crédits de guerre pour la Première Guerre mondiale et que les opposants à la guerre furent jetés en prison, le Kaiser Guillaume II a prononcé la déclaration infâme, « je ne reconnais plus aucun parti, je reconnais seulement les Allemands ».

Die Zeit est également enthousiasmé par le retour du SPD au gouvernement. « Le plus important maintenant est que l’Allemagne obtienne bientôt un nouveau gouvernement qui soit non seulement capable d’administrer les affaires courantes, mais aussi de s’attaquer aux problèmes du pays, apportant une réponse aux propositions du président français Emmanuel Macron de renouveler l’UE, et répondre aux crises », a écrit l’hebdomadaire aligné sur le SPD.

Le SPD est depuis longtemps le parti le plus agressif lorsqu’il s’agit de « s’attaquer aux problèmes du pays » dans l’intérêt de l’élite dirigeante et de répondre aux crises internationales. L’abolition des droits sociaux et démocratiques a été largement mise en œuvre par le SPD – des lois Hartz au recul de l’âge de la retraite à 67 ans, en passant par la loi sur la représentativité qui supprime les petits syndicats, et la loi Facebook qui censure Internet.

Le président Steinmeier, le moteur de la grande coalition, était en 2003, en tant que chef du cabinet du chancelier Gerhard Schröder, le véritable auteur de l’Agenda 2010 de droite. En tant que ministre des affaires étrangères, il a joué un rôle de premier plan en 2014 dans le retour du militarisme, et son successeur Sigmar Gabriel continue à renforcer l’armée allemande et la construction d’une armée européenne indépendante. C’est Gabriel qui a déclaré que la montée de Trump ne devait pas seulement être considérée comme une menace, mais comme une opportunité pour le grand patronat allemand d’intervenir de manière plus décisive dans de nouvelles régions du monde.

Le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP, Parti de l’égalité socialiste) a mis en garde dans sa déclaration sur l’élection fédérale, « Tous les partis institutionnels – de la CDU / CSU, au FDP, aux Verts, au SPD et au Parti de Gauche – soutiennent les politiques du militarisme, le renforcement de l’appareil répressif de l’État et les réductions des dépenses sociales. Ils organisent la casse sociale tant au niveau fédéral que dans les régions. Ils conspirent tous contre la population. »

C’est maintenant confirmé. La grande coalition est profondément impopulaire, comme en témoignent ses pertes lors des élections fédérales. Si elle est reconduite, ce sera le résultat d’une conspiration dans les coulisses. Le SGP rejette cela et exige de nouvelles élections.

Les politiques de réduction de dépenses sociales, le renforcement de l’appareil d’État et le militarisme rencontrent une opposition généralisée parmi les travailleurs et les jeunes. Mais cette opposition nécessite une perspective politique ; sinon la droite profitera de la frustration grandissante. Le SGP se bat pour la construction d’une alternative socialiste, qui relie la lutte contre la guerre à la lutte contre les inégalités sociales et le capitalisme.

(Article paru en anglais le 26 novembre 2017)

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