Le Parti socialiste espagnol (PSOE) a pris le devant de la scène dans l’invocation par l’élite dirigeante espagnole de l’article 155 de la constitution espagnole, ouvrant la voie à la suspension de l’autonomie catalane et à l’imposition d’un régime non élu en Catalogne.
Vendredi, la secrétaire à l’égalité du PSOE Carmen Calvo a annoncé dans un entretien à la télévision nationale un accord avec le Parti populaire (PP) de droite et Citoyens pour dissoudre le gouvernement régional catalan (Generalitat), et organiser de nouvelles élections régionales en Catalogne en janvier. Cela revient sur le droit, accordé par la loi depuis la fin de la dictature fasciste du général Francisco Franco aux gouvernements régionaux, d’initier de telles élections.
Les nouvelles élections font partie d’une pléthore de mesures répressives antidémocratiques mises en place en vertu de l’article 155 pour suspendre l’autonomie de la région. Elles comprennent la dissolution et la réorganisation de la chaîne d’information catalane TV3 et de la radio catalane, ainsi que des Mossos d’Esquadra (police catalane) et du ministère régional de l’éducation, accusé d’endoctriner les écoliers dans le nationalisme catalan. L’interdiction des partis qui soutiennent l’indépendance est également évoquée. Le ministre de l’économie Cristóbal Montoro (PP) contrôle déjà les finances de la Generalitat depuis septembre.
Si les élections du PSOE en Catalogne devaient avoir lieu comme prévu par Madrid, elles seraient organisées sous la menace des armes et d’une administration régionale contrôlée par la police espagnole et des unités militaires s’apprêtant à agir contre la Generalitat en application de l’article 155.
Dans l’entretien, Calvo a déclaré : « Oui, le secrétaire général [du PSOE], Pedro Sánchez, dit clairement qu’il est nécessaire d’organiser des élections en Catalogne. » Elle s’est plainte du fait que « beaucoup de choses se passent en Catalogne et on ne peut les permettre […] La Generalitat, les médias et les forces de sécurité doivent devenir neutres. »
« La plus grande révolution de l’humanité est d’arriver à la démocratie », a poursuivi Calvo avant de critiquer ceux qui « veulent attaquer la démocratie en fomentant une révolution. »
Calvo dirige la délégation du PSOE qui a collaboré avec le Premier ministre Rajoy et ses fonctionnaires pour formuler les mesures concrètes permettant l’imposition d’un gouvernement direct. Il les précisera après une réunion du cabinet ministériel aujourd’hui et les soumettra au Sénat, contrôlé par le Parti populaire, pour être entérinés d’office le 27 octobre.
Si Rajoy invoque l’article 155, le président catalan, Carles Puigdemont, a averti qu’il appellera à un vote formel sur l’indépendance par le parlement catalan, si le « gouvernement de l’État persiste à empêcher le dialogue et à poursuivre la répression. »
Dans un entretien avec le journal Ara, le prédécesseur de Puigdemont, Artur Mas, a averti que l’invocation de l’article 155 serait « fatale pour la Catalogne » et que de nouvelles élections sans la présence des députés favorables à l’indépendance serait « une fin très mauvaise ». La CUP (Candidature à l’unité populaire) a suggéré qu’elle boycotterait toute élection imposée à la région.
« À un certain moment, le dialogue et la négociation seront absolument essentiels », a ajouté Mas, et il y a des « personnes qui ont essayé d’ouvrir cette brèche » dans le « blocus » de Madrid, où « la réalité catalane actuelle n’est pas acceptée ».
Le président de l’organisation patronale catalane, PIMEC, Josep González, a également appelé à un « dialogue politique » pour prévenir d’autres dommages à l’économie catalane. Il a critiqué vertement le gouvernement du PP pour avoir amendé la loi permettant aux entreprises de se délocaliser plus facilement de la Catalogne, ce qui avait conduit au « déplacement » de l’économie catalane.
Avec l’éclatement de la crise en Catalogne, le parti de pseudo-gauche Podemos a répandu l’illusion que le PSOE, qui maintient le gouvernement PP minoritaire au pouvoir, pourrait être poussé à rompre avec son propre parti. Il a saisi chaque occasion pour suggérer que le PSOE participerait aux négociations avec les sécessionnistes catalans et sauverait le capitalisme espagnol.
Il s’avère maintenant que des négociations étaient en cours. Mais comme le journal catalan La Vanguardia l’a révélé, elles étaient entre le PSOE et le PP, pendant des semaines et en secret, sur la meilleure façon d’ignorer les appels de Puigdemont et de sa faction et d’imposer l’article 155.
Les participants aux négociations comprenaient ce que La Vanguardia a appelé les « plombiers » – Pedro Arriola, un conseiller du PP en place depuis trois dernières décennies, sous l’ancien Premier ministre PP José María Aznar, puis sous Rajoy et José Enrique Serrano, ancien chef du cabinet du Premier ministre PSOE Felipe González et José Luis Rodriguez Zapatero. Serrano a également été profondément impliqué dans les tentatives infructueuses de former un gouvernement entre le PSOE, Podemos et Citoyens l’année dernière.
Selon La Vanguardia, les négociations se sont intensifiées après le message télévisé du roi Felipe trois jours après le référendum d’indépendance du 1ᵉʳ octobre. La dernière réunion a eu lieu mardi peu avant le départ de Rajoy et Sánchez à Bruxelles pour le sommet du Conseil européen.
Suite à une rencontre entre Sánchez et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le porte-parole du PSOE, a déclaré : « Nous avons trouvé chez Juncker le soutien des institutions européennes, qui est aujourd’hui plus fort que jamais. »
La dissolution du parlement catalan et la tenue de nouvelles élections régionales parallèlement à d’autres mesures répressives enveniment la situation en Catalogne.
Le Conseil pour la démocratie, qui regroupe 60 organisations politiques, culturelles, patronales et syndicales catalanes, a appelé aujourd’hui à une manifestation de masse, après l’annonce des mesures de Rajoy. Il réclame la libération du dirigeant de Omnium Cultural, Jordi Cuixart, et de Jordi Sànchez de l’ANC (l’Assemblée nationale catalane), incarcérés depuis lundi, accusés de sédition par la Cour nationale. Le Conseil provincial de Barcelone a approuvé vendredi une résolution appelant à la « libération immédiate » de Cuixart et Sànchez et à la défense des « institutions de l’autonomie de la Catalogne ».
Le parti pris du PSOE pour le PP a également eu des ramifications sur son parti frère en Catalogne, le PSC, et la coalition pseudo-gauche En Comú de Ada Colau, qui dirigent Barcelone (BComú). Alicia Romero, porte-parole adjointe du PSC au Parlement catalan, a tenté de désamorcer l’hostilité envers la PSC en affirmant que « nous ne soutenons pas [l’invocation de l’article 155, et nous] ne donnerons pas un chèque en blanc au PSOE » au Sénat et par des appels au dialogue « jusqu’à la dernière minute ».
Romero a appelé à un « terrain d’entente » qui permettrait plus tard de former un nouveau gouvernement pour encourager le retour des entreprises en Catalogne. « Pour que les entreprises reviennent, ce qui doit être établi, c’est la stabilité politique et la sécurité juridique, et cela ne peut être réalisé que par des élections, parce que la législature est épuisée. Tout le reste, que ce soit une DUI [Déclaration unilatérale d’indépendance] ou une [invocation de l’article] 155, ne ramène pas la stabilité », a-t-elle conclu.
Colau, qui s’appuie sur le PSC pour rester au pouvoir, a déclaré : « Si le PSC soutient l’article 155, le pire des scénarios, cela génère des tensions dans toute la Catalogne […] et une période de réflexion s’ouvrira à BComú. » La maire a répété l’appel usé que « le PSOE doit décider entre gouverner avec le PP ou travailler pour un gouvernement de changement ».
(Article paru en anglais le 21 octobre 2017)