Des milliers de migrants, la plupart d’origine haïtienne, ont traversé dernièrement la frontière américano-canadienne près de Saint-Bernard-de-Lacolle, au Québec, pour fuir les menaces de déportation de l’administration Trump et demander l’asile au Canada.
Ils ont reçu un accueil chaleureux de la part des gens ordinaires, sensibles au sort de ceux qui ont déjà subi les pires épreuves après avoir dû quitter leur pays, le plus pauvre des Amériques, suite au tremblement de terre dévastateur de 2010.
Mais du côté de l’establishment dirigeant du Québec et du Canada, l’accueil a été froid, sinon hostile. Les migrants sont largement dépeints par les médias et les partis officiels comme des gens entrés «illégalement» au Canada, voire des «envahisseurs» selon les partis d’opposition tels que la CAQ (Coalition Avenir Québec), le PQ (Parti québécois) et le parti fédéral conservateur.
Quant au premier ministre québécois Philippe Couillard, du Parti libéral du Québec (PLQ), il a pris la pose d’un défenseur des droits civiques, se disant opposé à l’agitation xénophobe des partis d’opposition et «ouvert» aux demandeurs d’asile.
«Lorsque l'on qualifie des gens d'illégaux et ils ne sont pas illégaux, lorsqu'on fait penser aux gens qu'on peut régler des situations en claquant les doigts, on inquiète la population et on suscite ce genre de choses-là», a déclaré Couillard. Il faisait un rapprochement, certes justifié, entre les propos anti-immigration de la CAQ et du PQ et une activité accrue de groupuscules d'extrême-droite.
Mais la le fossé est énorme entre la rhétorique humanitaire de Couillard et l’action de son gouvernement.
Depuis le retour des libéraux au pouvoir en 2014, l'aide sociale, les garderies et les soins de santé ont tous subi des compressions très importantes. En 2015-16, avec l'aide des syndicats, le gouvernement Couillard a imposé au demi-million de travailleurs du secteur public de nouveaux reculs dans les salaires, les pensions et les conditions de travail.
En mai de cette année, comme c'est devenu la norme à travers le Canada, le PLQ a imposé une loi spéciale aux 170.000 travailleurs de la construction qui étaient entrés en grève contre les demandes du patronat pour plus de «flexibilité», des hausses salariales sous l'inflation et des coupes dans le paiement des heures supplémentaires.
Il faut aussi rappeler la grève étudiante qui a secoué le Québec en 2012, exprimant la profonde opposition des jeunes et des travailleurs aux coupes dans l’éducation et autres mesures d'austérité capitaliste. Le premier ministre libéral d’alors, Jean Charest, y avait répondu en déployant la violence policière contre les étudiants et en faisant adopter la loi 78 pour interdire les manifestations.
Après avoir ainsi sabré dans les services publics et imposé de vastes mesures anti-démocratiques, le PLQ est en train d’opérer lui aussi un tournant vers le chauvinisme pour détourner l'opposition grandissante à ses mesures d'austérité vers des voies réactionnaires.
Sa vraie réponse à l’arrivée des demandeurs d'asile est de cibler encore plus la minorité musulmane en proposant des amendements à son projet de loi 62. Ce projet de loi, qui interdirait à quiconque de donner ou recevoir des services publics le visage voilé, supposément pour des motifs de «sécurité» et de «neutralité religieuse», vise explicitement les femmes musulmanes portant le niqab et la burka. Il constitue la version libérale du débat identitaire alimenté depuis plus de 10 ans par l’élite politique et médiatique du Québec.
La nouvelle mouture du projet de loi étendrait sa portée aux municipalités, aux sociétés de transport en commun, aux musées ainsi qu’à d'autres organismes gouvernementaux. Son élargissement fait partie d’une série de gestes à caractère chauvin posés par les libéraux dans les derniers mois.
En mars, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette a défendu, au nom de «l’héritage culturel» des Québécois, la décision d'un hôpital de Québec de remettre en place un grand crucifix qu'il venait de retirer.
En juin, après qu’un policier eut été poignardé aux États-Unis par un musulman d'origine québécoise, Couillard a adopté le langage typique du chauvinisme anti-musulman en affirmant qu’on ne pouvait pas «déconnecter ce genre d'événements – le terrorisme – de l'islam en général».
Le fait que le projet de loi 62 prévoie certains accommodements a soulevé la colère des partis d'opposition, qui trouvent, sans surprise, qu’il ne va pas «assez loin».
La CAQ, qui a qualifié la frontière entre les États-Unis et le Québec de «véritable passoire», a sommé le gouvernement d'être plus «ferme sur la nécessité de donner ou recevoir les services à visage découvert». Le chef du Parti québécois (PQ), Jean-François Lisée, s’est dit en «désaccord total» avec le maire de Montréal qui réclamait certaines exemptions pour la Ville de Montréal.
Tant la CAQ que le PQ reprochent aux libéraux de ne pas avoir inclus le tchador, vêtement traditionnel iranien qui recouvre le corps, mais laisse le visage découvert. Ils soutiennent aussi que le projet de loi devrait interdire le port de signes religieux aux employés de l'État en position d'autorité, mesure préconisée en 2008 par la Commission Bouchard-Taylor sur les «accommodements raisonnables» mise en place par le gouvernement libéral de Jean Charest.
Fait à noter, le projet de loi 62 a reçu un appui tacite de la députée NPD et aspirante à la direction du parti social-démocrate canadien, Niki Ashton. «Il y a un consensus parmi les dirigeants politiques du Québec sur la laïcité et le gouvernement canadien devrait respecter la volonté des Québécois sur cette question», a-t-elle déclaré. Ashton, présentée à tort comme une quasi-socialiste par de nombreux groupes de la pseudo-gauche canadienne, a ensuite cherché à dissimuler cet endossement sans équivoque du chauvinisme québécois par la déclaration peu convaincante que «ce n’est pas l’affaire du gouvernement» de dicter la tenue vestimentaire des femmes.
Québec Solidaire (QS), parti politique provincial qui se dit «de gauche», est quant à lui resté silencieux sur les amendements au projets de loi 62. Même s’il critique à l’occasion certains «dérapages» du débat identitaire, QS a joué un rôle essentiel pour légitimer ce débat en qualifiant les discussions sur la «laïcité» de «nécessaires».
La réponse de QS à la montée de la xénophobie a été plus qu’ambivalente. Face à l’augmentation des demandes d’asile, son nouveau porte-parole masculin et ex-leader de la grève étudiante de 2012, a fait savoir que la «la situation est sérieuse» et que «certaines inquiétudes sont légitimes». Gabriel Nadeau-Dubois s’est ensuite solidarisé avec les gouvernements québécois et canadiens – des instruments de la grande entreprise qui mènent un assaut tous azimuts sur les travailleurs partout au Canada – en déclarant sur le ton le plus nationaliste que «Le vrai problème, c’est Donald Trump».
Le Canada, sous le gouvernement libéral de Justin Trudeau, se présente hypocritement comme étant favorable aux réfugiés, mais il porte une grande responsabilité dans leur forte augmentation à l’échelle internationale.
Au nom de la «guerre au terrorisme», Ottawa a pris part à presque toutes les interventions et guerres impérialistes menées par les États-Unis, incluant le renversement du président haïtien élu Jean-Bertrand Aristide en 2004. Ces interventions, de la Libye à l’Afghanistan, ont profondément déstabilisé ces sociétés.
Le tournant du Canada vers le militarisme, avec le plein appui de l’élite dirigeante québécoise, prend place en même temps qu'un assaut généralisé, partout au pays, contre les salaires, les régimes de retraite et les services publics.
Ce sont ces politiques qui créent un terreau fertile pour l’extrême-droite. Plusieurs groupes ultra-réactionnaires, comme La Meute, ont fait leur apparition ces dernières années. Le 29 janvier dernier, un jeune sympathisant québécois de Donald Trump et du Front national en France, fortement influencé par le discours anti-musulman des politiciens et médias québécois, a ouvert le feu dans une mosquée de Québec, faisant six morts et une vingtaine de blessés.