La fin de semaine dernière le premier ministre canadien Justin Trudeau a lancé un avertissement explicite envers les milliers de réfugiés principalement haïtiens qui fuient les États-Unis pour échapper à la répression brutale du gouvernement Trump contre les immigrants.
Dans un discours à Montréal, le premier ministre a ouvertement découragé les réfugiés haïtiens à traverser la frontière. «Le fait d'entrer au Canada de façon irrégulière ne procure aucun avantage», a-t-il dit. «Il existe de rigoureuses règles à suivre en matière d'immigration et de douanes. Ne vous y trompez pas.»
La position intransigeante de Trudeau envers les réfugiés qui fuient les États-Unis provient de la détermination de son gouvernement à maintenir et approfondir à tout prix l'étroit partenariat économique, militaire et sécuritaire entre Ottawa et Washington. Elle expose également la propagande hypocrite «favorable aux réfugiés» du gouvernement Trudeau, qui a été utilisée afin d'offrir une image «progressiste» à ses politiques de droite dont les vastes augmentations des dépenses militaires, le maintien d'un bas taux d'imposition pour les entreprises et la privatisation les infrastructures publiques.
Le ministre des Transports Marc Garneau a dit que les consulats canadiens aux États-Unis étaient «mobilisés» pour décourager différents groupes qui considéreraient venir au Canada en leur expliquant les stricts critères requis afin d'être acceptés en tant que réfugiés. Garneau a également donné une entrevue au Miami Herald dimanche dernier pour avertir les membres de la diaspora haïtienne vivant en Floride du risque d'être déporté après être arrivé au Canada.
Dans les deux premières semaines d'août, plus de 3800 demandeurs d'asile ont traversé la frontière à pied vers Saint-Bernard-de-Lacolle au Québec. Cela venait s'ajouter aux quelque 3000 personnes qui avaient traversé en juillet, ce qui représente quatre fois le nombre d'arrivants au mois de juin.
Plus de 1000 personnes sont actuellement entassées dans des tentes militaires sur la frontière et attendent que les autorités canadiennes vérifient leur identité. Des centaines de plus ont été logées dans le stade olympique à Montréal ainsi qu'un ancien couvent et le vieil hôpital Royal Victoria. D'autres centres ont été ouverts depuis sur les rives nord et sud de Montréal et un refuge temporaire a été établi à Cornwall en Ontario.
Le plus récent afflux de réfugiés a été déclenché par l'annonce du gouvernement Trump qui mettra fin au Statut de protection temporaire (SPT) accordé aux Haïtiens après le tremblement de terre de 2010 sur la base du prétexte absurde qu'Haïti est à présent considéré comme un pays sécuritaire. Plus de 50.000 Haïtiens demeurant aux États-Unis craignent à présent d'être capturés dans les rafles des services d'immigration et de douanes de Trump, incarcérés dans des prisons privées et ensuite déportés vers des conditions de pauvreté et de misère en Haïti.
L'afflux de migrants qui viennent au Canada n'est pas constitué que d'Haïtiens. Depuis l'investiture de Trump en janvier dernier, des milliers de réfugiés du Moyen-Orient, d'Afrique et de l'Amérique du Sud ont fui les États-Unis, craignant la persécution et la déportation.
D'après la Gendarmerie royale du Canada (GRC), plus de 10.000 demandeurs d'asile ont été interceptés dans les huit derniers mois après avoir traversé la frontière de façon «irrégulière» au Québec seulement.
Si les demandeurs d'asile sont forcés d'entrer au Canada de façon «irrégulière», c'est parce que le gouvernement libéral continue à appliquer l'Entente sur les tiers pays sûrs entre les États-Unis et le Canada, sous lequel les réfugiés qui font une demande d'asile en traversant la frontière de façon régulière sont automatiquement renvoyés aux États-Unis. Les migrants ont une chance de faire une demande d'asile seulement s'ils traversent la frontière en évitant les points de contrôle officiels, en empruntant des chemins de campagne ou en traversant des faussés, ce qui comporte des risques considérables.
Le refus d'abandonner l'entente est lié avec la détermination du gouvernement Trudeau d'approfondir sa collaboration avec le gouvernement Trump en améliorant le partenariat militaire entre les deux pays et en renforçant le protectionnisme nord-américain en refaçonnant l'accord de libre-échange nord-américain.
Le mépris des libéraux pour les réfugiés est également illustré par les conditions dans lesquelles ceux-ci sont maintenus. Le président du syndicat des douaniers Jean-Pierre Fortin a dit qu'il y avait environ 300 demandeurs d'asile qui dormaient sur un quai de débarquement la semaine dernière et que 150 à 200 personnes dormaient à l'intérieur dans des «conditions extrêmement difficiles». La Croix-Rouge a également dit qu'elle traitait près de 40 cas médicaux tous les jours, car il n'y a pas de médecin sur place.
Tandis que les Haïtiens cherchent désespérément la protection au Canada, la plupart d'entre eux ne savent pas que le Canada a annulé son propre programme de résidence temporaire pour les Haïtiens un peu plus de quatre ans après le tremblement de terre de 2010, qui a coûté la vie à plus de 200.000 personnes et en a déplacé un demi-million. À ce moment, des reportages estimaient qu'approximativement 3200 citoyens haïtiens allaient être déportés du Canada en raison de la fin de ce programme.
Le programme a été aboli en août 2016 sous Trudeau. Des experts de l'immigration estiment que beaucoup de demandeurs d'asile ont été renvoyés en Haïti depuis. En fait, le gouvernement lui-même s'est vanté que près de la moitié des Haïtiens qui demandaient le statut de réfugié au Canada avait été refusée dans les dernières années.
L'idée qu'Haïti serait sécuritaire est un mensonge absurde. Haïti est le pays le plus pauvre des Amériques et l'un des pays les plus pauvres au monde. Le taux de chômage est au moins de 30 pour cent et plus de la moitié de la population vit dans la pauvreté. Le pays ne s'est toujours pas rétabli des catastrophes naturelles récentes, incluant l'ouragan Matthew de l'année dernière, qui a détruit 32 pour cent de la richesse d'Haïti et exacerbé les problèmes sociaux.
Bien que Trudeau ait clairement établi que son gouvernement a l'intention de déporter les migrants qui traversent la frontière de façon «irrégulière» après le rejet de leur demande d'asile, la critique conservatrice de l'Immigration Michelle Rempel a blâmé l'afflux de réfugiés sur les «tweets irresponsables» que Trudeau avait écrits en janvier, lorsqu'il avait déclaré qu'«À ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueillera.»
Elle a ajouté que les libéraux devaient fournir plus de ressources pour augmenter la vitesse de traitement des demandes d'asile, ce qui veut dire accélérer le processus de déportation. Rempel a même affirmé que «Personne ne fuit de persécution aux États-Unis.»
Au Québec, le dirigeant du Parti Québécois indépendantiste, Jean-François Lisée, a fait des commentaires similaires affirmant que les Haïtiens ne risquaient pas la pauvreté ou la répression aux États-Unis ou en Haïti.
Le dirigeant du parti de droite populiste Coalition Avenir Québec a dit que la province avait déjà atteint sa «capacité d'intégration» maximale et avait fait appel au gouvernement provincial pour empêcher que de nouveaux réfugiés entrent dans la province.
Le premier ministre libéral du Québec Philippe Couillard a dit que «compte tenu des règles strictes qui les régissent» l'acceptation comme réfugié était «loin d’être garantie de succès».
Plus tôt ce mois-ci, Couillard a insisté sur le fait qu'il était déterminé à traiter les demandes d'asile aussi rapidement que possible parce que les nécessités de base fournies aux réfugiés telles que des soins de santé étaient trop «coûteuses». Ceci venant d'un gouvernement qui a récemment annoncé des milliards de réductions d'impôt pour les entreprises.
L'attitude intransigeante de toutes les sections de l'élite dirigeante du Canada envers ceux qui fuient la persécution a encouragé les forces politiques les plus réactionnaires à se manifester dans toute leur laideur.
Une manifestation contre l'immigration soi-disant «illégale» a été organisée à Québec dimanche dernier par un groupe d'extrême droite anti-immigrant: La Meute. Prenant place seulement quelques jours après l'éruption de violence néonazie à Charlottesville en Virginie, la manifestation à Québec était une réponse directe à l'arrivée continue de demandeurs d'asile.
Une autre manifestation anti-immigration a été annoncée à Vancouver samedi dernier, mais n'a jamais eu lieu parce qu'elle fut contrée par des milliers de manifestants antiracistes, dépassant de loin le nombre d'extrémistes de droite.
Le mouvement ultranationaliste, anti-immigrant au Québec, incluant des groupes tels que La Meute, ne sort pas de nulle part. Dans des conditions où la classe dirigeante à travers le Canada impose des politiques anti-immigration pour diviser la classe ouvrière, de tels éléments réactionnaires et racistes se sentent de plus en plus à l'aise de s'exprimer.
Le mouvement souverainiste mené par le PQ et la bureaucratie syndicale a joué un rôle clé dans l'injection du poison chauvin dans le débat public et l'incitation aux sentiments racistes et anti-musulmans. Le Journal de Montréal en particulier, qui appartient au magnat des médias et ancien dirigeant du PQ Pierre-Karl Péladeau, a publié une série de commentaires condamnant la violence «de gauche» durant les manifestations de la fin de semaine dernière tout en présentant La Meute sous un angle favorable.
(Article paru en anglais le 24 août 2017)