Avec le commencement des négociations sur le Brexit au début de la semaine dernière, les États membres de l’Union européenne (UE) évoluent rapidement vers sa transformation en une union militaire et de défense. Au cœur du sommet de l’UE jeudi et vendredi à Bruxelles, figuraient des mesures de grande envergure visant la militarisation tant à l’intérieur qu’à l’étranger.
Entre autres choses, il a été convenu « d’établir une coopération globale et ambitieuse en matière de sécurité permanente (PESCO) pour le renforcement de la sécurité et de la défense européennes ». Pendant les trois prochains mois, les gouvernements vont « finaliser une liste conjointe avec des critères et des obligations, associées aux projets concrets de capacité, selon le site officiel du Conseil européen. Cela comprendrait également des « missions ayant les exigences les plus élevées », ce qui signifie des interventions militaires avec des « unités de combat » européennes.
Déjà au début du mois, l’UE a accepté de créer un centre de commandement commun pour les opérations civiles et militaires et de fournir à la Commission européenne un fonds de défense de plusieurs milliards d’euros. Un document du sommet intitulé « Conclusions du Conseil européen sur la sécurité et la défense » a accueilli cette étape « et s’attend à son utilisation rapide. » L’objectif est de construire une « industrie de défense européenne […] compétitive, innovante ».
L’objectif de ces mesures est de faire de l’UE une grande puissance agressive capable, le cas échéant, d’intervenir militairement et de faire des guerres indépendamment de l’OTAN et des États-Unis.
Un « document de réflexion sur l’avenir de la défense européenne », publié par la Commission européenne le 7 juin, déclare : « Les Européens eux-mêmes sont avant tout responsables de l’amélioration de la sécurité européenne. Les ressources sont effectivement disponibles : vues dans l’ensemble, les dépenses militaires des puissances européennes se situent au deuxième rang dans le monde […] bien que la coopération avec nos partenaires reste la norme et la solution privilégiée pour l’UE, nous devrions également pouvoir agir seuls quand cela est nécessaire. »
Le renforcement militaire de l’Europe est donc mesuré par rapport aux capacités de combat des États-Unis. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a déclaré lors d’une conférence de presse conjointe avec le président du Conseil de l’UE, Donald Tusk : « Le fonds de défense est nécessaire. Nous avons en Europe 130 types de systèmes d’armement alors que les États-Unis en ont 30. Nous avons en Europe 17 types de chars tandis que les États-Unis en ont 1. Nous dépensons la moitié du budget militaire des États-Unis, mais notre efficacité est de 15 % […] Alors, il y a du chemin à faire, et c’est ce que nous avons décidé aujourd’hui. »
La militarisation rapide de l’Europe est l’œuvre surtout des gouvernements allemand et français. « C’est une réelle valeur ajoutée que nous avons convenu », a déclaré la chancelière allemande Angela Merkel en réponse au plan de défense convenu à Bruxelles. « Parce que cela nous permet de mener des missions par exemple en Afrique, où nous examinerons non seulement l’aspect militaire, mais aussi d’intégrer les possibilités de solutions politiques et de coopération au développement. »
Le président français nouvellement élu, Emmanuel Macron, a décrit les décisions comme « historiques ». « Depuis des années et des années, il n’y a pas eu de progrès dans la défense, il y en a eu aujourd’hui », a-t-il déclaré aux journalistes. En même temps, il a souligné l’importance de l’axe Paris-Berlin pour la réorganisation de l’UE. « Nous allons travailler main dans la main avec l’Allemagne », a-t-il dit.
À la fin du sommet, Merkel et Macron ont affiché un front uni pour les médias en organisant une conférence de presse conjointe. Merkel a décrit le sommet comme un « conseil d’assurance et d’énergie ». Macron a déclaré : « L’Europe est notre meilleure défense compte tenu des défis mondiaux. » Le président français, évidemment, ne voulait pas viser par là la Russie, contre laquelle l’UE a prolongé ses sanctions de six mois, mais les États-Unis. En gardant un œil sur l’annonce par Donald Trump du retrait américain de l’Accord de Paris sur le changement climatique, Macron a déclaré qu’il y avait un fort soutien à cet accord.
Les représentants de l’UE ne pouvaient pas non plus s’empêcher de lancer des piques à la Première ministre britannique, Theresa May, qui n’a guère participé au sommet. « Ma première impression est que la première offre du Royaume-Uni ne répond pas à nos attentes », a déclaré Tusk sur la proposition de May concernant les droits des citoyens de l’UE après le Brexit.
Des concessions à Londres sont inacceptables pour Berlin et Bruxelles parce qu’elles ne feraient qu’accélérer l’effondrement de l’UE dans des conditions d’aggravation des conflits politiques et économiques sur le continent. « Tout le monde n’est pas satisfait du duo de franco-allemand aux commandes », écrit le Süddeutsche Zeitung. Les États du groupe de Vyšehrad, d’Europe de l’Est, ont une fois de plus refusé d’accepter des réfugiés, et il y aurait une « dissidence » sur la politique commerciale. Alors que les Pays-Bas, l’Irlande et d’autres sont des défenseurs du libre-échange, Macron appelle à des mesures protectionnistes et « une Europe qui protège ».
Au fur et à mesure que le caractère réactionnaire de l’UE devient de plus en plus évident, la propagande de la classe dirigeante pour mobiliser du soutien à son égard devient plus absurde. Dans un entretien publié avant le sommet dans un certain nombre de journaux européens de premier plan, Macron a affirmé que l’Europe avait un « rôle spécial » dans la défense de la « liberté » et de la « démocratie ». « La démocratie a émergé sur notre continent », a déclaré M. Macron. « Les États-Unis, comme nous, aiment la liberté, mais ils ne partagent pas notre sens de la justice. »
Macron sait très bien que l’Europe capitaliste ne crée pas « la justice et la paix », mais, comme les États-Unis capitalistes, c’est un terrain propice au nationalisme, à la contre-révolution sociale, aux mesures d’état policier et à la guerre. Les mesures d’austérité dictées par l’UE ont détruit des pays entiers comme la Grèce et ont plongé des millions de gens dans la pauvreté. L’attaque brutale contre les réfugiés par la politique de « la Forteresse Europe », renforcée au sommet de Bruxelles, a transformé la Méditerranée en une fosse commune. En France, le cabinet de Macron a prolongé l’état d’urgence jeudi et prépare des attaques majeures contre la classe ouvrière.
La propagande au sujet d’une « puissance européenne pacifique » est démasquée avant tout par le fait que c’est précisément le militarisme allemand, qui par deux fois au XXᵉ siècle a laissé le continent en ruines, qui s’affiche de nouveau et cherche à organiser l’Europe. Berlin considère le Brexit, la montée des tensions transatlantiques et la coopération avec le nouveau gouvernement français comme une occasion unique d’élargir sa prédominance économique et politique en Europe et de dominer de plus en plus sur le plan militaire.
« Aucun d’entre nous ne veut prendre notre propre route nationale spéciale, pas l’Allemagne, ni les Pays-Bas, ni la République tchèque ou l’Italie », a déclaré Hans Peter Bartels, le médiateur parlementaire des forces armées, avant le sommet. La politique des petits États militaires doit être abandonnée et la partie européenne de l’OTAN organisée, a-t-il poursuivi. « À l’arrivée, il y aura une armée européenne », a proclamé Bartels. À cette fin, « chaque pas dans la bonne direction [est] important ».
Le ministère allemand de la défense se penche sur des plans concrets pour établir l’armée allemande comme une « armée d’ancrage » pour les membres européens de l’OTAN, dont les forces doivent être fortement armées et intégrées dans les structures de commandement et de contrôle de l’Allemagne. L’Allemagne, la Roumanie et la République tchèque ont signé des accords de coopération en février pour une collaboration plus étroite entre leurs forces armées. L’armée néerlandaise a déjà intégré près des deux tiers de ses unités dans les structures de commandement de l’armée allemande. Mercredi, le gouvernement allemand a conclu un accord avec la Norvège pour la construction de nouveaux sous-marins.
(Article paru en anglais le 24 juin 2017)