Mercredi, avec la nomination d’un ancien directeur du FBI, Robert Mueller, en tant que conseil spécial pour enquêter sur les allégations de liens entre la campagne présidentielle de Trump et les responsables russes, la bataille fractionnelle, qui fait rage à Washington, opposant différentes factions de l’État et de la classe dirigeante l’une contre l’autre, est entrée dans une nouvelle étape.
La désignation de Mueller intervient seulement huit jours après que Trump a renvoyé de façon inattendue le directeur du FBI, James Comey. Au cours de la semaine suivante, les médias ont signalé l’existence d’un mémo écrit par Comey déclarant que Trump l’encourageait à arrêter une enquête sur l’ancien conseiller national de sécurité Michael Flynn. Un autre « exposé » des médias a allégué que Trump a partagé des documents classés secret avec des responsables russes lors d’une récente réunion de la Maison-Blanche.
La crise s’est encore intensifiée jeudi, lorsque, lors d’une audience au congrès à huis clos, le procureur général Rod Rosenstein a déclaré que l’enquête sur les prétendus liens de Trump avec la Russie était maintenant considérée comme un problème criminel plutôt que comme une question de « contre-espionnage », selon une déclaration par le sénateur républicain Lindsey Graham.
Les agences de renseignement et les militaires jouent le rôle principal dans le conflit avec Trump, et ce sont précisément ces forces auxquelles les démocrates, y compris les apologistes libéraux de l’impérialisme américain, font appel.
L’orientation des démocrates a été décrite dans un article jeudi par Nicholas Kristof, du New York Times, qui, tout comme le Times dans son ensemble, sert de voie aux discussions au sein des organismes de renseignement, intitulé « Des temps dangereux pour Trump et la nation », l’article salue la nomination par le ministère de la Justice de Mueller et prévient que « la présidence Trump pourrait être en train de se désintégrer, de tomber vers l’entropie ».
Kristof note avec satisfaction que pendant la crise du Watergate en 1974, le secrétaire à la défense du président Richard Nixon, James Schlesinger, a ordonné aux militaires de ne pas obéir aux ordres de la Maison-Blanche, à moins qu’il ne les ait signés. Schlesinger aussi, selon la parole de Kristof, « a préparé des plans secrets pour déployer des troupes à Washington en cas de problèmes avec la succession présidentielle ».
Kristof conclut : « Cela était inconstitutionnel. Et sage. » Il déclare que des actes d’insubordination « inconstitutionnels » similaires par des responsables militaires peuvent être justifiés dans la crise actuelle. « Nous ne savons pas comment Trump répondra dans les prochains mois, et nous espérons tous une navigation en douceur. Mais, comme pour les étapes de Schlesinger, il est sagace d’être préparé », écrit-il.
Kristof se réfère aux anciens généraux que Trump a assemblé dans son cabinet, le secrétaire à la Défense James Mattis, le conseiller en sécurité nationale HR McMaster et le secrétaire à la Sécurité intérieure John Kelly, ainsi que l’ancien magnat du pétrole et le secrétaire d’État actuel Rex Tillerson, « adultes » qui doivent fournir à la Maison Blanche une « surveillance d’adultes ».
Il conclut que les membres de cette cabale devraient « garder les numéros de téléphone portable des uns des autres à portée de main au cas où une réunion d’urgence serait nécessaire pour notre pays. »
La chronique de Kristof n’est qu’un article parmi tant d’autres parus dans le New York Times, le Washington Post et d’autres journaux qui envisagent une sorte de coup de palais pour remplacer Trump, y compris invoquer potentiellement le 25ᵉ amendement à la Constitution américaine. Prévue comme un moyen de créer une succession ordonnée dans le cas où le président était extrêmement malade ou rendu inconscient, la modification pourrait être invoquée par les deux tiers du cabinet si elle détermine que le président est « incapable de s’acquitter des pouvoirs et devoirs de sa fonction ».
Le 16 mai, le chroniqueur du Times, Ross Douthat, a écrit que Trump est un « enfant », arguant qu’un « enfant […] ne peut pas vraiment commettre » des infractions ouvrant la voie à sa destitution, ce qui laisse une solution impliquant le 25ᵉ amendement. En mars, Thomas Friedman, du Times, a lancé la proposition d’un coup de palais par les militaires du cabinet dans une colonne sous la rubrique « Appel à quelques hommes de bonne volonté ».
Au fur et à mesure que la crise politique se développe, il devient de plus en plus clair qu’il n’y a pas un iota de contenu démocratique ou progressiste dans l’opposition des démocrates à l’Administration Trump. Ce qui se déroule, c’est une lutte amère entre différentes factions réactionnaires de la classe dirigeante, les deux expriment une orientation profondément autoritaire et antidémocratique.
L’Administration Trump représente le transfert dans la Maison Blanche des méthodes de gangster qui caractérisent l’élite corporative et financière. Ses antagonistes ne cherchent pas à mobiliser l’opposition de la classe ouvrière de masse à Trump, mais plutôt à prévenir, à empêcher et à détourner cette opposition derrière une campagne pro-guerre menée par des factions puissantes de l’armée, de la CIA et du FBI.
Leur campagne contre Trump se poursuit sous prétexte que le président a été en quelque sorte soudoyé ou contraint par le Kremlin à jouer un rôle plus accommodant envers la Russie. Les personnalités des médias, les responsables du renseignement et les politiciens démocratiques utilisent ces affirmations concoctées pour marquer toute opposition politique au pays comme le produit de la subversion antiaméricaine par une puissance étrangère.
Dans cette vision du monde archi-réactionnaire, l’élimination potentielle d’un président directement par l’armée ou avec son aide, est vue tout simplement comme une partie intégrante des opérations quotidiennes de « l’État dans l’État ».
Tout gouvernement qui émergera du renvoi de Trump sur une telle base serait profondément réactionnaire, promis à une politique d’agression contre la Russie et se mettra en voie de collision avec la classe ouvrière.
Les chroniques de Kristof et Friedman expriment quelque chose de beaucoup plus profond que les opinions de deux individus particulièrement de droite. Les sections de l’establishment politique des États-Unis ont de plus en plus tendance à mettre les formes du pouvoir politique plus directement en ligne avec le caractère oligarchique de la société américaine.
Au moment du vol des élections de 2000, le WSWS a noté que l’absence de toute opposition sérieuse à un coup d’État constitutionnel mené par cinq membres de la Cour suprême pour arrêter le décompte des bulletins de vote a clairement indiqué qu’il n’existe pas de base sociale importante pour les droits démocratiques dans la classe dirigeante. Les choses ont beaucoup progressé au cours des 17 dernières années. Trump est une manifestation d’une maladie plus profonde. Ses adversaires dans la classe dirigeante en sont une autre.
Dans la crise qui embrase Washington, la force sociale qui n’a pas encore été entendue est la classe ouvrière. Elle doit intervenir dans la crise sur la base de ses propres programme et perspective socialistes.
(Article paru d’abord en anglais le 19 mai 2017)