Michael Müller (SPD), le maire de Berlin, a annoncé dimanche après les élections que des négociations sur la formation d’une coalition allaient débuter mercredi avec les chrétiens-démocrates (CDU), le parti Die Linke (La Gauche), les Verts et les libéraux-démocrate du FDP. Bien que des coalitions entre SPD-CDU ou SPD-CDU-FDP soient mathématiquement possibles, l’issue la plus probable est une coalition entre le SPD, Die Linke et les Verts.
Les politiciens des trois partis, tant au niveau fédéral que région, se sont exprimés favorablement au sujet d’une coalition. « Le parti Die Linke a fait que le budget soit équilibré », a dit le président du groupe parlementaire du SPD, Thomas Oppermann, au micro de Deutschlandfunk. « Je pense que ce pourrait être un modèle pour Berlin. »
Les résultats des élections de dimanche ont affiché l’opposition et la colère grandissante d’une grande partie de la population à l’égard de l’ensemble de l’establishment politique. Les soi-disant partis populaires, le SPD et la CDU, qui avaient gouverné Berlin au sein d’une coalition, ont été punis aux urnes en réalisant chacun les pires scores de toute la période d’après-guerre. Dans cette situation, Die Linke et les Verts se tiennent prêts à poursuivre le détestable programme d’austérité et de mise en place de l’appareil d’État à l’intérieur et à l’extérieur dans le cadre d’une coalition dite rouge-rouge-verte.
Le soir des élections, la candidate des Verts, Ramona Pop, s’était exprimée en faveur d’une coalition SPD-Verts, en affirmant que ce serait la coalition qu’une majorité de Berlinois voulaient. Die Linke a même été plus bruyant dans ses appels pour une coalition rouge-rouge-verte. Le journal Berliner Zeitung a observé, « Klaus Lederer peut à peine être refréné. Le dirigeant de Die Linke aurait surtout souhaité « emporter l’élan rebelle » de la capitale « afin de changer politiquement quelque chose sur le plan fédéral ».
Une coalition rouge-rouge-verte ne serait ni une coalition « majoritaire » ni celle des « rebelles ». Elle serait une coalition de banqueroutiers préconisant des attaques de grande envergure contre les droits démocratiques et sociaux et qui sont largement détestés par la population. Depuis la réunification de l’Allemagne, ces trois partis ont toujours détenu la majorité au sénat de Berlin, mais ils n’ont jamais réalisé un score aussi faible que lors des élections de dimanche dernier.
Ces trois partis ont perdu ensemble plus de 5 pour cent des votes par rapport aux élections de 2011. Die Linke a certes gagné 3,9 pour cent, mais le parti a été loin d’atteindre les résultats obtenus par ses prédécesseurs, le PDS en 2001 et le PDS-WASG en 2006. En 2011, le PDS et les Verts auraient pu former une coalition en se passant de Die Linke mais le SPD avait opté pour une coalition avec la CDU.
Pendant la décennie qui avait précédé, le SPD et Die Linke avaient formé le soi-disant sénat rouge-rouge de Berlin et avaient appliqué de vastes mesures d’austérité sociale. Après le renflouement de la banque publique Berliner Bankgesellschaft grâce à des garanties bancaires s’élevant à plusieurs milliards, le SPD et Die Linke ont imposé des coupes encore brutales que n’importe quel autre gouvernement régional de l’histoire de la République fédérale allemande.
Dans le but de pouvoir réduire les salaires du secteur public d’environ 10 pour cent, ils ont quitté la fédération des municipalités employeurs. Ils ont fait de même dans les entreprises de transport de Berlin. Ils ont privatisé plus 100 000 logements, ils ont augmenté les loyers et réduit les budgets des universités et des écoles.
Grâce à cette politique de droite, le SPD et Die Linke ont ouvert la voie au parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). Ce parti d’extrême-droite a obtenu un nombre disproportionné de voix parmi les travailleurs de l’est de la ville. Ce sont là des zones où depuis la réunification Die Linke a dominé la politique et l’administration et où une fois de plus le parti a perdu nombre significatif de voix. Dans le bastion de Die Linke à Marzahn-Hellersdorf, l’AfD constitue même la première force.
Selon un sondage réalisé par Infratest Dimap, seuls 26 pour cent des électeurs de l’AfD ont voté pour ce parti parce qu’ils étaient convaincus par son programme. 69 pour cent ont par contre donné comme raison la déception des autres partis. Malgré son augmentation du total des votes, Die Linke a perdu 12 000 voix au profit de l’AfD.
L’AfD a également été renforcée par le fait que son programme droitier a été adopté et rendu respectable par les trois partis supposés de « gauche ». Alors que le SPD est responsable au premier chef des conditions inhumaines des réfugiés à Berlin et d’en avoir déporté des milliers, Die Linke et les Verts ont à maintes reprises critiqué cette politique depuis la droite.
Sahra Wagenknecht, qui a participé à des événements électoraux organisés à Berlin, avait dénoncé les réfugiés plutôt cette année en déclarant, « Celui qui abuse du droit à l’hospitalité a perdu le droit d’être un invité ». Elle a poursuivi ensuite en parlant de « problèmes significatifs » liés à l’intégration de réfugiés et comportant des « dangers potentiels ». Des déclarations identiques ont émané de représentants des Verts tels Boris Palmer.
En ce qui concerne la question de la mise en place de l’appareil d’État, les positions du SPD, de Die Linke et des Verts sont quasi indiscernables de celles de l’AfD. Ces trois partis sont d’accord pour dire que la police doit être renforcée et élargie. Dans son programme électoral, Die Linke a exigé un « entraînement et un équipement solides » des forces de sécurité et le recrutement d’un « plus grand nombre de policiers ».
Rien ne pourrait mieux résumer le caractère d’une coalition rouge-rouge-verte que cette exigence unanime d’un État fort. Une telle coalition continuerait d’appliquer la politique d’austérité et de réprimer toute opposition. Mais ce sénat rouge-rouge-vert ne serait pas simplement une copie du sénat rouge-rouge. Il serait un modèle de coalition au niveau fédéral entre le SPD, Die Linke et les Verts. C’est avant tout Die Linke qui est en train de signaler à la classe dirigeante que dans les conditions d’une profonde crise capitaliste, il est la force la mieux apte à défendre les intérêts de l’impérialisme allemand tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Durant la semaine qui a précédé les élections, le président du groupe parlementaire de Die Linke, Dietmar Bartsch, s’en était pris à la grande coalition au Bundestag. Il avait réclamé un « État qui a la capacité d’agir » en accusant le gouvernement fédéral d’avoir « affaibli, humilié et négligé la police ». Il a lancé un avertissement au dirigeant du SPD, Sigmar Gabriel, en ajoutant, « Jamais la crise de l’Europe n’a été aussi grande qu’aujourd’hui. Et il ne s’agit pas que du Brexit. Regardez quelle est la situation dans les pays membres ! C’est je pense, la plus grande crise que l’Europe a jamais connue. C’est pourquoi nous avons besoin d’un changement politique ici en Allemagne. » Et, « Oui, Die Linke veut assumer au gouvernement la responsabilité de ce changement politique. Que ce soit clair une fois pour toute ! ».
Ce ne peut être perçu que comme un avertissement : en politique étrangère, une coalition rouge-rouge-verte ne signifierait pas moins, mais plus de guerres et même une politique étrangère allemande encore plus agressive. Déjà durant la campagne électorale, Gregor Gysi, l’ancien président du groupe parlementaire de Die Linke et figure de proue du parti a dit au journal conservateur Die Welt n’avoir « jamais demandé que l’Allemagne quitte l’OTAN ». « Un accord pourrait être conclu » avec le ministre allemand des Affaires étrangères et le SPD en ce qui concerne les questions de politique étrangère telle la guerre en Syrie, a-t-il ajouté. Peu de temps avant, Wagenknecht avait assuré, lors de l’émission télévisée ZDF-Sommerinterview, que « bien sûr [l’Allemagne] ne sortir[a] pas de l’OTAN le jour même de notre entrée au gouvernement ».
La coalition qui est visée avec les partis responsables des contre-réformes sociales Hartz IV et du militarisme allemand éhonté souligne le caractère réactionnaire des groupes de pseudo-gauches qui opèrent soit au sein de Die Linke soit dans sa périphérie. Marx 21, l’Alternative socialiste (SAV) et le groupe RIO (Revolutionäre Internationale Organisation) ont fait campagne pour Die Linke non pas en dépit de, mais en raison de sa politique droitière. Ils sont donc d’ores et déjà pleinement responsables de la politique anti-classe ouvrière d’une coalition rouge-rouge-verte !
La décision en faveur d’une coalition rouge-rouge-verte souligne la signification de la campagne électorale menée par le Partei für Soziale Gleichheit (PSG, Parti de l’égalité sociale). Le PSG a participé aux élections dans le but de construire un mouvement international contre le capitalisme et la guerre. Dès le début cependant, le PSG avait mis en évidence que ceci nécessiterait une lutte contre la politique droitière du SPD, des Verts et de Die Linke, et de toutes leurs organisations annexes de pseudo-gauche.
(Article original paru le 20 septembre 2016)