Perspective

Le New York Times qualifie la Russie d’« État hors-la-loi »

Au milieu de menaces publiques croissantes comme quoi les États-Unis seraient en train de préparer une escalade de leur intervention militaire en Syrie, le New York Times a publié jeudi un article de fond qui a qualifié la Russie d’« État hors-la-loi. »

Ce durcissement du discours, qui est devenu de plus en plus hystérique en ce qui concerne la Russie, est la réaction à la débâcle subie par l’impérialisme américain au cours des cinq années de la guerre par procuration qu’ils mènent pour obtenir un changement de régime en Syrie. Les forces du gouvernement syrien qui sont soutenues par les forces aériennes russes, semblent être sur le point de reprendre toute la portion orientale d’Alep, le principal bastion des « rebelles » appuyés par les États-Unis et composés principalement de milices islamistes affiliées à al Qaïda.

Le ministre des affaires étrangères John Kerry a adressé mercredi un ultimatum à son homologue russe Sergueï Lavrov : soit la Russie retient à la fois ses avions de chasse et ceux du gouvernement syrien au sol, soit Washington rompra toutes négociations avec Moscou sur la Syrie.

La signification de cette menace a de plus été précisée lors d’un point de presse par le porte-parole du ministère des affaires étrangères John Kirby qui a déclaré aux journalistes que vu que la Russie a rechigné à s’incliner devant les exigences américaines, « des extrémistes et des groupes d’extrémistes continueront à […] étendre leurs opérations qui comprendront, sans aucun doute, des attaques contre la Russie et peut-être même des villes russes, et que la Russie continuera de rapatrier des soldats dans des housses mortuaires en continuant aussi de perdre des ressources et même peut-être des avions ».

Le caractère provocateur et parfaitement effronté des remarques de Kirby n’est pas dû au hasard. Le fait que Washington voulait formuler une menace quant au déclenchement d’un terrorisme parrainé par la CIA contre la Russie a été souligné par une rubrique de Philip Gordon parue dans le Washington Post. Celui-ci fut jusqu’à l’an dernier le conseiller de la Maison Blanche pour le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et le Golfe persique. Ce billet qui prévenait dans son titre que « la Russie paiera le prix », a recouru à un langage quasi identique en affirmant qu’une continuation des actions russes en Syrie « pourrait bien avoir pour conséquence des attaques terroristes contre la Russie. »

Gordon a poursuivi en prévenant que le gouvernement Obama pourrait prendre des mesures afin « d’augmenter les coûts pour la Russie », en ajoutant, « L’armement de l’opposition à l’aide de missiles lançables à l’épaule et capables de frapper des avions russes et syrien au-dessus d’Alep figure parmi les options ».

L’ancien conseiller à la Maison Blanche a mis en garde Moscou que si « Hillary Clinton devenait la prochaine présidente des États-Unis, Poutine pourrait avoir à faire à un dirigeant américain qui préconise depuis longtemps une zone d’exclusion aérienne en Syrie et un soutien solide de l’opposition en exprimant son scepticisme à l’égard des intentions de Poutine en Syrie et en cherchant à réaffirmer plus clairement le rôle prééminent des États-Unis au Moyen-Orient ».

Il est cependant évident que la question, à savoir si une escalade de l’intervention américaine en Syrie peut attendre jusqu’après les élections américaines du 8 novembre, est devenu le sujet d’un débat animé au sein de l’establishment dirigeant américain.

L’agence d’information Reuters a cité de hauts fonctionnaires sous couvert d’anonymat qui ont dit que le gouvernement Obama considérait « des réactions plus dures contre l’attaque du gouvernement syrien qui est appuyé par la Russie, y compris des options militaires », incluant la fourniture d’armes aux « rebelles » liés à al Qaïda et des frappes aériennes contre les positions du gouvernement syrien. (La deuxième option a d’ores et déjà été mise en pratique par le bombardement américain du 17 septembre qui a tué et blessé près de 200 soldats syriens près de Deir ez Zor et que Washington prétend avoir été un accident.)

De par son éditorial, qui dénonce la Russie comme un « État hors-la-loi », le New York Times joue un rôle dans le débat avec les cercles dirigeants américain au sujet de l’intervention en Syrie. Il veut une escalade militaire et il la veut maintenant, contre la Russie.

Le Times a écrit : « Le président Obama a longtemps refusé d’accepter une intervention militaire en Syrie. Et M. Poutine pourrait partir du principe qu’il est peu probable que M. Obama affronte la Russie durant les derniers mois de son mandat et au vu d’une campagne électorale américaine battant son plein. Mais, compte tenu du fait que le bastion rebelle d’Alep risque de tomber aux mains du gouvernement, des responsables gouvernementaux ont dit qu’une telle réaction était de nouveau à l’étude ».

Pour renforcer sa thèse, le Times avance des accusations non corroborées et proférées dans une enquête reposant entièrement sur « des preuves » fournies par la police secrète ukrainienne selon laquelle la Russie serait responsable d’avoir abattu en juillet 2014 l’avion de la Malaysia Airline au-dessus de la région du Donbass déchirée par la guerre.

Le journal déclare que Poutine est coupable « de massacrer des civils en Syrie et en Ukraine, d’avoir annexé la Crimée, piraté les agences gouvernementales américaines », et « d’écraser la dissidence dans son pays. »

Le gouvernement de Poutine représente l’oligarchie dirigeante russe qui s’est enrichie grâce au vol de la propriété d’État durant la dissolution de l’Union soviétique et la restauration du capitalisme. Son intervention en Syrie tout en ayant un caractère défensif en réaction aux tentatives américaines d’encercler et d’isoler la Russie, représente les intérêts de cette oligarchie et n’offre pas de solution progressiste à la catastrophe que l’impérialisme a causé en Syrie et au Moyen-Orient en général.

Ceci étant dit, les crimes commis par Poutine font pâle figure face à ceux perpétrés par les gouvernements américains successifs qui ont tous bénéficié de la duplicité et de la propagande médiatique du New York Times.

Le gouvernement américain est responsable de la mort de plus d’un million de personnes en Irak et de centaines de milliers d’autres en de l’Afghanistan à la Libye en passant par le Yémen. Il a fomenté les opérations de changement de régime tant en Ukraine qu’en Syrie qui ont entraîné un carnage dans ces pays, et en grande partie grâce à des armes livrées par la CIA.

De plus, alors même que le Times s’en prend au « carnage » mené par les Russes en Syrie, le Pentagone annonce l’envoi de 600 soldats américains supplémentaires en Irak afin de préparer le siège de Mossoul qui, tout comme les assauts contre Fallujah et Ramadi, impliquera des crimes de masse contre la population civile.

En ce qui concerne le piratage informatique russe, le Times parle au nom du gouvernement américain qui, par le biais de la NSA, s’adonne à la plus grande opération d’espionnage que le monde a jamais vue. Et, pour ce qui est d’« écraser la dissidence à l’intérieur du pays », les États-Unis, faut-il le rappeler, sont le pays où la police a tué plus d’un millier de personnes par an et près de 2 millions de personnes se trouvent derrière les barreaux. Bref, l’éditorial du Times est un article de propagande de guerre.

Le terme « État hors-la-loi » fut d’abord officiellement employé par Ronald Reagan. Il fut par la suite sous Bill Clinton changé en « État voyou » (rogue state), puis sous George W. Bush il devint « l’axe du mal ». Ces termes ont systématiquement été utilisés pour décrire des États opprimés, semi-coloniaux et ciblés par l’impérialisme américain en vue d’une guerre et de conquête : le Nicaragua, l’île de Grenade, l’Irak, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Corée du nord, l’Iran, etc.

Actuellement, il est employé dans les pages du New York Times pour décrire la Russie, un pays de 146 millions d’habitants et qui est doté de l’arme nucléaire. Les implications ne pourraient être plus inquiétantes.

Si les motivations des rédacteurs du Times pourraient inclure des considérations politiques à courte durée – la possibilité d’un « Octobre surprise » en Syrie stimulant les perspectives de la candidate démocrate Hillary Clinton – la campagne de propagande anti-russe que mène le journal a des racines bien plus profondes qui se trouvent dans la crise du capitalisme américain et de la tentative continue de l’impérialisme américain de surmonter son déclin historique au moyen de l’instrument du militarisme.

Si les mots ont un sens, l’éditorial du Times est un avertissement : les préparatifs d’une troisième guerre mondiale sont en train de rapidement progresser dans le dos de la population des États-Unis et de la planète entière.

(Article original paru le 30 septembre 2016)

 

 

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