Dans la poursuite des objectifs financiers et stratégiques réactionnaires dans la région Asie-Pacifique, l’impérialisme français annonce ses ambitions pour stimuler ses déploiements militaires dans cette région.
Cela a été détaillé dans un rapport en juin, « la France et la sécurité dans la région Asie-Pacifique », présenté par le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, au forum « Le Dialogue de Shangri-La » à l’Institut international pour des études stratégiques britannique à Singapour en juin. Il fait partie d’une version mise à jour de la Loi française de programmation militaire de 2015, qui dispose que Paris doit investir dans des améliorations majeures de ses capacités militaires pour développer son influence en Asie.
Dans la préface, Le Drian a écrit : « L’évolution des équilibres stratégiques s’est accélérée en Asie et dans l’espace inde-pacifique. En somme, l’ensemble géopolitique formé par l’Asie et l’espace inde-pacifique., foyer de dynamisme économique, de croissance démographique et d’innovation technologique, constitue une source de prospérité globale présentant des vulnérabilités. Sa sécurisation est donc essentielle, mais doit s’inscrire dans le cadre d’un ordre international fondé sur le dialogue et le respect de règles établies sur des bases multilatérales ».
Le document souligne l’importance stratégique de la région Asie-Pacifique pour Paris, déclarant : « La France a initié un rééquilibrage de son centre de gravité stratégique vers l'Inde-pacifique dont elle est une puissance riveraine ». La France a beaucoup de possessions insulaires dans les océans pacifique et indien. Elle vise à développer ces tremplins pour une influence navale. Elle participe déjà au QUAD (groupe de coordination de la Défense Quadrilatère) dans la planification de la politique de sécurité des îles du Pacifique avec les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Des stratèges français formulent cette politique depuis des années, depuis que l’Administration Obama a annoncé son « pivot vers l’Asie » en 2011 pour encercler la Chine et soumettre Pékin aux intérêts américains.
Un examen du rapport « Le Drian » fait ressortir les intérêts financiers sous-tendant les plans français pour une escalade militaire majeure en Asie. Le rapport identifie l’Asie en tant que centre mondial de la croissance économique et un marché clé pour les entreprises et les investisseurs français, notant qu’en 2012, l’investissement direct de l’étranger (IDE) de la France dans la région Asie-Pacifique s’élevait déjà à 75 milliards de dollars américains.
Le déficit commercial annuel de la France avec la Chine est d’environ 25 35 milliards d’euros, le plus grand déficit commercial de la France avec un seul pays. Les sociétés françaises et internationales utilisent la Chine et l’ensemble de l’Asie-Pacifique pour se fournir en biens de consommation de bon marché pour les marchés français et européens, en s’appuyant en dernière analyse sur l’influence militaire américaine et européenne afin de dicter des conditions avantageuses aux fournisseurs asiatiques.
L’impérialisme français considère également la Chine comme un concurrent potentiel dans l’ancien empire colonial de la France en Afrique, où elle maintient toujours une présence politique et militaire majeure. Depuis 2011, Paris a lancé une série de guerres et d’interventions militaires – en Libye, en Côte d’Ivoire et en République centrafricaine – ciblant des régimes qui ont développé des liens économiques avec la Chine ce qui risquait de miner les intérêts néocoloniaux français.
Dans la poursuite de ces intérêts, le gouvernement du Parti socialiste (PS) du président François Hollande s’est aligné sur le « pivot vers l’Asie » des États-Unis, alors même que Washington alimentait une confrontation avec Pékin en mer de Chine méridionale, qui pourrait déclencher un conflit entre les deux puissances nucléaires.
Le Livre blanc militaire de la France de 2013 a déclaré : « l’équilibre de l’Asie orientale a été modifié en profondeur par la montée en puissance de la Chine |…] Le renforcement de la présence militaire américaine dans la région peut contribuer à la maîtrise des tensions en Asie ». Il a ajouté : « la France apporterait, en cas de crise ouverte, une contribution politique et militaire d’un niveau adapté ».
Lors d’un sommet de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ANASE) en 2013, le ministre des Affaires étrangères d’alors, Laurent Fabius, a déclaré : « La France a, elle aussi, engagé un “pivot”. Non par effet de mode, mais parce que la France veut être présente là où se construit le monde de demain. Or l’Asie-Pacifique sera de façon évidente au cœur du XXIe siècle ».
De tels plans pour faire valoir les intérêts militaires français en Asie ont des implications inquiétantes. Ils ont lieu au milieu d’une résurgence de toutes les ambitions néocoloniales des puissances impérialistes, le plus clairement montré par la poussée vers la guerre américano-européenne en Afrique et au Moyen-Orient. En Asie, l’impérialisme français est de retour sur la scène de certains de ses crimes les plus horribles. La France était une puissance coloniale brutale en Asie du Sud-Est, et la guerre de 1946-1954 en Indochine française a coûté des centaines de milliers de vies avant que l’impérialisme français n’ait été contraint d’abandonner la région par sa défaite humiliante à Diên Biên Phu.
La tentative de Paris de se lancer dans une escalade militaire en Asie est liée à la crise insoluble du capitalisme européen et mondial. Avec l’Union européenne (UE) embourbée dans un marasme économique profond, et la poursuite d’une politique qui n’arrangera rien d’austérité profonde contre la classe ouvrière combinée aux aumônes valant des milliers de milliards d’euros aux banques, Paris cherche désespérément de nouvelles cibles pour le pillage financier.
Le groupe de réflexion, Institut français des relations internationales (IFRI), a écrit : « le “pivot” français vers l’Asie sert l’objectif principal de l’Administration Hollande, qui est de trouver des relais de croissance qui n’existent plus en Europe ». Il a ajouté : « pour les parlementaires français, il existe dans le contexte économique actuel un « impératif asiatique pour la France », sous peine de risquer de « rater un tournant stratégique'' ».
Les assertions selon lesquelles un « pivot » français vers l’Asie produirait des avantages économiques sont des mensonges militaristes. Un « pivot » français nécessiterait une augmentation massive des dépenses militaires et, par conséquent, les coupes sociales correspondantes contre les travailleurs. L’IFRI a écrit : « En outre, parler de “pivot” vers l’Asie lorsque les contraintes budgétaires limitent les capacités de projection de l’outil militaire français peut sembler décalé […] En dépit de discours volontaristes aux ambitieux objectifs, l’avenir de la politique étrangère française en Asie apparaît dans ce contexte bien incertain ».
Un « pivot » asiatique par la France ou d’autres puissances européennes intensifierait les contradictions du capitalisme mondial, qui menacent déjà d’exploser dans une guerre mondiale entre les pouvoirs dotés d’armes nucléaires. Il n’est pas clair, à plus long terme, contre qui un tel « pivot » serait entrepris – la Chine, une coalition d’autres puissances asiatiques, ou même les États-Unis.
La politique de la France en Asie est truffée de contradictions. D’une part, elle a développé des liens militaires avec les alliés du « pivot » des États-Unis vers l’Asie, y compris l’Inde, l’Australie et le Japon, avec les grandes ventes d’armes à l’Inde et l’Australie. D’autre part, tout en soutenant tacitement la poussée vers la guerre américaine contre la Chine, elle a développé des liens économiques avec Pékin tout comme d’autres puissances européennes. L’an dernier, elle a défié les exigences des États-Unis et, comme toutes les autres grandes puissances de l’UE, elle a rejoint l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) de Beijing.
L’AIIB a été conçu pour investir dans la ceinture économique des projets chinois de Route de la soie du 21e siècle et d'« Une route, une région » (OBOR), ce qui implique jusqu’à 1400 milliards de dollars dans l’infrastructure ferroviaire et routière pour créer un réseau de transports rapides depuis la Chine à travers la Russie, l’Asie centrale et le Moyen-Orient vers l’Europe. Le projet OBOR était une réponse au « pivot » des États-Unis qui a bloqué l’influence chinoise dans les routes commerciales dans les océans indien et pacifique vitaux pour la sécurité des importations d’énergie chinoises en provenance du Moyen-Orient.
Le Brexit a aiguisé les rivalités stratégiques entre l’UE et Washington. Depuis que la Grande-Bretagne a voté pour quitter l’UE, la France et l’Allemagne ont poussé pour la création des forces militaires indépendantes au sein de l’UE qui auraient pour effet de rivaliser avec l’alliance de l’OTAN entre les États-Unis, le Canada et les pouvoirs impérialistes européens – une initiative longtemps opposée par Washington et Londres.
(Article paru d’abord en anglais le 10 octobre 2016)