Lors de la réunion à Luxembourg hier, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne (UE) ont adopté une déclaration dénonçant les actions des régimes russes et syriens dans la guerre que l’OTAN mène maintenant depuis cinq ans pour un changement de régime en Syrie.
Dans une autre démarche réactionnaire hier pour augmenter la pression sur Moscou, les autorités bancaires britanniques ont clôturé les comptes bancaires de Russia Today (RT) l’émission télévisuelle en langue anglaise de l’État russe. La Royal Bank of Scotland (RBS) a ensuite nié avoir gelé les avoirs de RT, mais les responsables de RT ont cité une lettre de RBS qui a déclaré : « Nous avons récemment entrepris un examen de vos arrangements bancaires avec nous et nous avons conclu que nous ne serons plus disposés à vous fournir ces services ». RBS a qualifié la décision de « finale » et a dit qu’elle n’était « pas de tout disposée à commenter la décision ».
La déclaration de Luxembourg aligne l’UE sur le flot de propagande anti-russe émanant de Washington. Alors que les milices islamistes soutenues par les États-Unis (É-U) à Alep sont en proie à une défaite aux mains de l’armée syrienne et de la force aérienne russe, les médias américains dénoncent Moscou. Les officiers militaires américains de premier plan ont publiquement préconisé l’imposition de zones d’exclusion aérienne sur la Syrie afin de retenir les avions de combat russes au sol, tout en reconnaissant que cela nécessiterait une guerre avec la Syrie et la Russie, une puissance possédant l’arme nucléaire.
La déclaration de l’UE fait écho à cette propagande de guerre mensongère. Elle appelle à mettre fin à tous les vols au-dessus d’Alep et dénonce Moscou pour d’éventuels « crimes de guerre », tout en cachant l’armement par l’OTAN des milices liées à Al-Qaïda, comme le Front al-Nosra (maintenant connu sous le nom de Fatah al-Sham), en Syrie.
Elle explique que : « Le régime syrien a la responsabilité principale de la protection de la population syrienne. L’UE condamne donc fermement les attaques excessives et disproportionnées par le régime et ses alliés, à la fois délibérées et aveugles, contre les populations civiles, du personnel humanitaire et de soins médicaux, et les infrastructures civiles et humanitaires et appelle les autorités syriennes à cesser les bombardements aériens aveugles. L’UE condamne les violations systématiques, généralisées et flagrantes des droits de l’homme et toutes les violations du droit international humanitaire par toutes les parties, en particulier le régime syrien et ses alliés ».
Il a également été convenu au sommet de fournir une aide financière aux régimes libanais et jordaniens, qui accueillent des camps de réfugiés syriens, ainsi que pour l’emploi des jeunes en Tunisie, où, il y a cinq ans, des manifestations de masse contre le chômage se sont transformées en un soulèvement de la classe ouvrière qui a renversé la dictature soutenue par l’OTAN.
La déclaration de l’UE pour une intervention sur la base des arguments impérialistes « humanitaires » est tout à fait cynique. Elle reconnaît que l’opposition est coupable de violations systématiques et massives des droits de l’homme. Armée et soutenue par l' OTAN, l’opposition a en effet perpétré des centaines d’attentats terroristes, de massacres sectaires et des exécutions en masse de prisonniers, ainsi que le pillage d’usines et d’entrepôts de céréales, forçant plus de 10 millions de Syriens à fuir leurs foyers.
La méthode de propagande de l’UE est l’indignation sélective. Cachant son propre rôle politique criminel en soutenant les milices de l’opposition, elle affirme simplement que l’indignation doit se fixer uniquement sur Moscou et Damas, alors même que Washington et l’UE sont en train d’appuyer un assaut militaire sur Mossoul, ce qui pourrait provoquer un bain de sang encore plus grand par le régime fantoche des États-Unis en Irak.
Il n’y a rien de progressiste dans les tentatives des régimes russes et syriens pour reprendre une plus grande sphère d’influence en Syrie, qu’ils visent à utiliser comme base pour négocier de meilleures relations avec l’impérialisme. Néanmoins, leurs actions, y compris le bombardement de l’est d’Alep, sont une réponse à une guerre dirigée par la CIA.
La condamnation de Moscou par l’UE a des relents d’hypocrisie. L’UE soutient avec enthousiasme le droit des États membres de l’UE de suspendre les droits démocratiques et imposer un état d’urgence, comme en France, en réponse aux attaques terroristes islamistes. En 2014, après avoir appuyé la mise au pouvoir d’un régime d’extrême-droite anti-russe en Ukraine par un putsch à Kiev, elle a soutenu la sanglante répression militaire du nouveau régime de Kiev contre l’opposition russophone de l’est de l’Ukraine.
Pourtant à Bruxelles, ils dénoncent les tentatives du régime Assad de se défendre contre une menace militaire beaucoup plus importante comme un crime de guerre, malgré l’intervention directe de la CIA et des agences européennes de renseignement, et le financement par les émirats pétroliers du Golfe Persique, afin de soutenir les milices islamistes liées à Al-Qaïda.
Les ministres européens des Affaires étrangères, en particulier de la Grande-Bretagne et de la France, ont lancé des appels forts moralisateurs en appui de la déclaration de l’UE. « La pression doit être forte », a déclaré le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault sur les relations de l’UE avec la Russie. « Plus l’Union européenne fait preuve d’unité et de détermination, plus nous pouvons aller de l’avant dans ce qui est une obligation morale : pour arrêter le massacre de la population d’Alep ».
De même, le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson a dit que l’opération de bombardement russe sur Alep « déshonore l’humanité » et a dénoncé Moscou comme « les marionnettistes » du gouvernement syrien.
Néanmoins, il y avait aussi des indications de tensions profondes entre l’UE et Washington et au sein de l’UE elle-même, dans les négociations qui ont précédé la publication de la déclaration de l’UE.
La déclaration se démarque des exigences plus agressives du Pentagone pour l’escalade militaire. « L’UE est convaincue qu’il ne peut y avoir de solution militaire au conflit », déclare-t-elle, appelant à des négociations afin que Washington et l’UE puissent évincer Assad sans risquer une guerre totale avec la Russie.
Le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, a souligné ceci à sa conférence de presse hier soir sur la déclaration de l’UE : « L’UE soutient et encourage tous les efforts dans tous les formats non seulement pour arrêter les bombardements sur Alep, mais soutient également tous les efforts pour éviter toute nouvelle escalade militaire et toute autre confrontation directe sur un plan militaire ».
La réunion de l’UE a également rejeté les appels de Washington à l’intensification des sanctions contre la Russie, qui ont été explicitement critiqués par plusieurs puissances de l’UE, avec l’Allemagne en tête. « À l’heure actuelle, je ne vois pas comment des sanctions, qui peuvent avoir un impact à long terme, devraient aider ici à améliorer la situation de la population civile [syrienne] », a déclaré le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier.
Des critiques similaires ont émergé en Hongrie, en Grèce, à Chypre et en Autriche, dont le ministre des Affaires étrangères, Sebastian Kurz, a déclaré : « L’idée d’avoir des sanctions supplémentaires contre la Russie serait une erreur. On n’a pas besoin d’une nouvelle escalade ».
Depuis le vote britannique pour quitter l’UE, qui a donné lieu à la demande de Berlin, Rome et Paris à une politique militaire commune des autres États restants de l’UE, les appels pour une politique militaire de l’UE indépendante ont continué à croître. La marche américaine vers la guerre contre la Russie et la Chine rencontre une opposition de sections de la classe dirigeante européenne. À plus long terme, ils envisagent la possibilité de concevoir une politique de guerre indépendamment de, et potentiellement contre, Washington.
La bourgeoisie européenne mène une expansion militaire massive, déboursant des dizaines de milliards d’euros de plus chaque année dans les dépenses militaires ; ses conflits avec Washington ne relèvent pas du pacifisme. Elle craint toutefois que la marche américaine à la guerre puisse déstabiliser l’Europe et provoquer une guerre majeure avant qu’ils y soient prêts.
Ces questions ont émergé dans un article récent, intitulé « La politique russe de l’Amérique et l’ordre de la sécurité européenne, » par le groupe de réflexion allemand Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP). « Les relations américano-russes restent au centre de l’ordre de la sécurité européenne », s’est plaint le SWP, en ajoutant : « les intérêts sociaux et économiques forts dans une relation de coopération stable n’ont pas réussi à se développer ».
Cela a abouti à une situation, a ajouté, le SWP où « Washington est de plus en plus confronté au choix entre accepter une sphère d’influence [russe] dans l’intérêt de la coopération mondiale et de la prévention des risques de guerre, et des rivalités entre grandes puissances avec un fort potentiel d’escalade ».
(Article paru en anglais le 18 octobre 2016)