L'élite politique québécoise alimente les sentiments anti-musulmans

Le projet de loi 62, maintenant rendu à l’étape des audiences publiques, est la contribution du Parti libéral du Québec au tournant de toute l'élite dirigeante vers le chauvinisme anti-musulman. Même si le gouvernement Couillard se présente comme étant plus «modéré» et animé par le souci de maintenir la «neutralité religieuse» de l'État, son projet de loi attaque les droits démocratiques et sert à légitimer les actes prédateurs du Canada au Moyen-Orient.

La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a souligné que «les services publics doivent être donnés et reçus à visage découvert pour des motifs basés sur la sécurité, l’identification et le niveau de communication». Même si elle prétend que le projet de loi ne porte pas «sur le linge», ses cibles sont clairement la burqa et le niqab que porte une infime minorité de femmes musulmanes au Québec. Le projet de loi vise aussi à restreindre les «accommodements raisonnables» envers les minorités.

Démontrant l’hypocrisie du gouvernement libéral sur la «neutralité religieuse» de l’État, le projet de loi restreint les droits individuels et la liberté de religion de certaines minorités culturelles tout en excluant de son champ d’application le «patrimoine culturel religieux» du Québec, notamment les croix catholiques qui trônent à l’Assemblée nationale et au sommet du Mont-Royal.

L'invocation des questions de «sécurité» est cynique et frauduleuse. En laissant entendre que le fait de porter la burqa ou le niqab est dangereux pour l'ordre public, un parallèle à peine voilé avec le terrorisme, le projet de loi ostracise encore davantage les femmes qui portent ces vêtements. En raison uniquement de leurs croyances, ces femmes seront privées de services publics essentiels comme les soins de santé, et leur accès à l'emploi sera réduit.

Sans surprise, tous les partis d'opposition, y compris le parti de la pseudo-gauche Québec Solidaire (QS), se sont vigoureusement opposés au projet de loi – non pas pour son contenu anti-démocratique mais parce qu'il ne va pas «assez loin». Le Parti québécois (PQ) et la Coalition Avenir Québec (CAQ) l'ont dénoncé pour ne pas avoir visé le tchador, vêtement qui recouvre tout le corps mais laisse le visage découvert.

Ces partis ont tous soutenu que le projet de loi devrait interdire le port de signes religieux pour les employés de l'État en position d'autorité, mesure préconisée en 2008 par la Commission Bouchard-Taylor sur les «accommodements raisonnables» qui avait été mise en place par le gouvernement libéral de Jean Charest.

Le nouveau chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, a laissé entendre que son parti pourrait tout de même voter en faveur du projet de loi s'il juge que c'est un «pas en avant». Quelques semaines avant la fin de la récente course à la chefferie du Parti québécois, Lisée avait ramené les questions identitaires au centre de sa campagne.

Il s'était dit prêt à interdire de la sphère publique les «signes de convictions» politiques, sociales et environnementales, ainsi que la burqa et le niqab, pour «assurer la sécurité des Québécois». Il avait aussi promis d'abaisser le seuil de 50.000 immigrants que le Québec reçoit chaque année, une position défendue également par le chef de la CAQ, François Legault, qui veut abaisser le seuil à 40.000 immigrants.

Pour sa part, en plus d'exiger l'interdiction de signes religieux pour les employés de l'État en position d'autorité, Québec Solidaire a réclamé l'utilisation du mot «laïcité» dans le projet de loi. Avec quelques réserves, QS avait appuyé le défunt projet de loi 60 du Parti québécois, mieux connu sous le nom de «Charte des valeurs québécoises», en le qualifiant de positif pour la laïcité et les droits des femmes.

Ce projet de loi réactionnaire et anti-immigrant voulait empêcher l'accès aux services publics à celles qui portent la burqa ou le niqab, tout en interdisant le port de signes religieux «ostentatoires» dans tout le secteur public et parapublic – menaçant de congédiement des milliers de membres des communautés religieuses.

Au nom de l' «égalité homme-femme», des groupes féministes ont aussi critiqué le projet de loi de l'actuel gouvernement libéral. Le groupe «Pour les droits des femmes du Québec» l’a décrit comme une «porte ouverte au multi-confessionnalisme, voire aux intégrismes» et a dit qu'il ne «permet pas de protéger les droits des femmes».

Ces arguments, qui servent à donner une couverture «de gauche» à cette campagne réactionnaire, n’expliquent jamais en en quoi le fait de bloquer l'accès à des emplois et à des services publics à un groupe d'individus sur la base de leur croyance religieuse favorise l'émancipation des femmes qui font partie de ce groupe.

Des groupes aux positions libérales, comme la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) et la Ligue de droits et libertés, ont été contraints de dénoncer la loi comme étant «discriminatoire» et visant «de manière disproportionnée» les femmes portant le niqab. La CDPDJ note également que la défense de certains emblèmes du catholicisme contrevient aux prétentions de «neutralité religieuse» du projet de loi.

Des récentes révélations ont montré le caractère anti-démocratique de la campagne menée par l'establishment politique et les médias contre «l'intégrisme religieux».

D'ex-employés du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), créé l’année dernière par le maire de Montréal Denis Coderre dans la foulée du dépôt du projet de loi 62 et du projet de loi 59 «contre les discours haineux», ont dénoncé l'organisme pour être un foyer de «délation» et de «répression».

Le directeur, Herman Deparice-Okomba, qui est l'ex-directeur de la Fondation des employés du Service de police de la Ville de Montréal, leur aurait demandé de lui transmettre toutes informations à propos des jeunes qu'ils rencontraient.

Le mois dernier, dans le cadre de la Conférence contre la radicalisation des jeunes par Internet, la ministre québécoise des Relations internationales, Christine St-Pierre, a appelé les fournisseurs Internet à agir en espions de l'État. «S'ils sont capables de voir que vous êtes un excellent consommateur de chaussures, ils sont peut-être capables d'aller chercher autre chose qui est plus grave que ça», a-t-elle noté.

Rappelons qu’en 2015, le gouvernement Couillard avait mis en place une équipe intégrée à la Sûreté du Québec dans le but de surveiller les réseaux sociaux pour détecter les messages haineux.

Ces nouvelles révélations font partie d’une série de mesures anti-démocratiques mises en place tant au niveau municipal que provincial et fédéral, dont la loi C-51 est une des composantes centrales. Cette loi, initialement adoptée par les conservateurs de Stephen Harper, est défendue par le gouvernement libéral de Justin Trudeau. Elle donne de nouveaux pouvoirs au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), notamment celui d'enfreindre pratiquement n'importe quelle loi pour perturber ce qu'il juge être une menace à la sécurité nationale et économique du pays.

En fait, la «lutte au terrorisme» de l'élite dirigeante québécoise et canadienne sert, comme aux États-Unis, d'écran de fumée pour une politique d'agression militaire à l'étranger et de restriction des droits démocratiques au pays. Derrière le langage extrêmement flou des mesures «antiterroristes», la vraie cible des nouveaux pouvoirs répressifs de l’État c'est la classe ouvrière et l’opposition populaire aux mesures d’austérité et au militarisme.

Plusieurs commentateurs ont noté le dixième anniversaire du «débat identitaire» au Québec. Il a débuté au milieu des années 2000 avec un tollé des médias et de l’Action démocratique du Québec (maintenant la CAQ) au sujet des «accommodements raisonnables» envers les minorités culturelles, qualifiés d'excessifs sur la base de faits anecdotiques gonflés hors de proportion. Depuis, tous les partis de l'establishment ont légitimé et sans cesse ravivé ce «débat» pour alimenter le chauvinisme.

Les dix dernières années ont vu la classe dirigeante mener un assaut accru contre les conditions de vie des jeunes et des travailleurs. Les salaires, les retraites, l’éducation, les soins de santé – tout est passé à la hache sous le prétexte qu’«il n’y a pas d’argent». Le Canada a opéré un virage militariste en épaulant les interventions militaires de Washington à travers le monde. Pendant ce temps, des richesses fabuleuses sont accumulées au sommet de la société.

Dans ce contexte, les politiques identitaires et anti-musulmanes servent à empoisonner l’opinion publique, canaliser les immenses tensions sociales vers des boucs émissaires et empêcher un mouvement unifié des travailleurs canadiens, peu importe leur langue ou origine ethnique, contre le système capitaliste qui constitue la source des inégalités sociales et de la guerre.

 

 

 

 

 

 

 

 

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