Perspective

Le programme de Trump inquiète l'Europe

Le programme économique protectionniste («l’Amérique d'abord») annoncé par le président élu Donald Trump, qui a de sérieuses implications pour la stabilité de l'économie mondiale, soulève des inquiétudes parmi les milieux dirigeants européens quant à la possibilité de conflits commerciaux et de turbulences financières. Ces craintes ont été reflétées dans la Revue de la stabilité financière (Financial Stability Review) publiée plus tôt la semaine dernière par la Banque centrale européenne (BCE), à la veille d'une réunion cruciale du conseil de gouvernance de la banque le 8 décembre.

Lors de cette réunion, le programme d'assouplissement quantitatif de la BCE, à travers lequel la banque achète pour 80 milliards d'euros par mois d'obligations afin de garder les taux d'intérêt à un plancher historique et maintenir la stabilité financière, sera revu. Bien que la fin de ce programme soit prévue pour mars prochain, on prévoit que la BCE va le prolonger et maintenir le flot de liquidités à très bon marché.

Mais son plan a été contrarié par la hausse marquée des rendements obligataires aux États-Unis après l'élection de Trump. Des milliards de dollars ont été transférés de la dette gouvernementale vers les marchés boursiers dans l'espoir que le programme de Trump entraîne une hausse considérable des profits sur la base du nationalisme économique et des importantes baisses d'impôt générées par la privatisation de projets d'infrastructure et la baisse directe des taux d'imposition des sociétés.

La BCE craint maintenant que ses efforts pour maintenir les taux d'intérêt bas dans la zone euro aillent se heurter à un mouvement dans la direction opposée aux États-Unis.

Mais les enjeux dépassent les variations immédiates dans les marchés monétaires. Même si Trump n'est pas directement mentionné par la BCE, les craintes des élites financières européennes quant aux implications de sa victoire électorale et ce que cela signifie pour l'évolution plus générale de la classe dirigeante américaine sont reflétées dans tout le rapport.

On pouvait lire dans un communiqué de presse de la BCE que «les risques à la stabilité financière de la zone euro liés à la possibilité de corrections des actifs mondiaux [une référence à la hausse marquée des rendements obligataires produite par un reflux des actifs dans le marché obligataire et la chute du prix des obligations] sont maintenant plus grands».

On pouvait ensuite lire: «Les implications au niveau de la stabilité financière pour la zone euro en raison des changements dans les politiques économiques des États-Unis sont très incertaines à ce point-ci. La zone euro pourrait être touchée directement via les circuits commerciaux et par de possibles retombées des attentes de plus hauts taux d'intérêt et d'inflation aux États-Unis.»

L'article a ajouté que les banques de la zone euro avaient d'importantes «vulnérabilités», les perspectives de profitabilité demeurant faibles à travers la région en raison d'un «environnement de faible croissance économique».

Le secteur financier non bancaire pourrait aussi être touché: de nombreux fonds de placement, qui ont «connu une croissance rapide dans les dernières années» – largement grâce aux politiques de liquidités à très bon marché de la BCE –, seraient maintenant exposés à un «décalage de liquidité». Autrement dit, les fonds de placement qui ont misé sur le maintien d'un régime à faible taux d'intérêt pourraient se retrouver en difficultés de liquidités avec la hausse des taux d'intérêt aux États-Unis.

L'article de la BCE a noté que la valeur mondiale des obligations avait chuté d'environ 1000 milliards d'euros dans la semaine qui a suivi l'élection présidentielle américaine. Bien que la perspective à court terme soit incertaine, «on doit s'attendre à plus de volatilité et le risque d'un changement abrupt demeure important avec le développement de l'incertitude politique à travers le monde et des vulnérabilités des marchés émergents».

Les marchés émergents sont sur la ligne de feu, car la hausse des taux d'intérêt et du dollar américain – maintenant à son plus haut niveau depuis 13 ans – augmente la valeur de leurs prêts qui sont en dollars et le fardeau de la dette associée.

Le changement dans la politique économique américaine, illustré par le programme de nationalisme économique de Trump, vient aussi intensifier les problèmes de la BCE qui tente de contenir la crise du système bancaire italien. Les banques italiennes ont pour environ 360 milliards d'euros de mauvaises créances, dont 200 milliards d'euros sont qualifiés de prêts non productifs.

L'ampleur de la crise financière est indiquée par la valeur des actions de deux grandes banques de la région de la Vénétie, l'une des régions les plus prospères du pays, comme l'a rapporté le Financial Times la semaine dernière. Dans le cas de l'une de ces banques, la valeur de l'action est passée de 40,75 € en 2015 à 10 cents aujourd'hui. Pour l'autre, l'action a dégringolé de 62,50 € à 10 cents.

Le système bancaire italien pourrait être déstabilisé davantage si le premier ministre Matteo Renzi perd le référendum constitutionnel du 4 décembre. Les partis populistes de droite, qui auront été renforcés par la victoire de Trump aux États-Unis, font campagne pour le «non». Certains craignent que si le «non» l'emporte et Renzi démissionne, comme il l'a averti, cela provoque une crise politique et entraîne l'instabilité financière.

Mais la crise en Italie n'est qu'une manifestation d'un énorme iceberg financier. Comme l'a noté l'article de la BCE: «Les principaux défis structurels d'une profitabilité bancaire continuent d'être liés au gros volume de prêts non productifs dans de nombreux pays», combinés à une «surcapacité dans certains secteurs bancaires de la zone euro».

Cette situation est le résultat de la décision prise par les élites financières européennes dans la foulée de la crise financière de 2008 de ne pas purger le système bancaire et de plutôt chercher à contenir les problèmes par l'intervention de la banque centrale, dans l'espoir qu'une meilleure croissance économique allait permettre au système financier de se rétablir peu à peu. Mais cette croissance n'est jamais arrivée et le malaise financier n'a fait que s'intensifier.

Les inquiétudes concernant le virage économique des États-Unis sous une présidence Trump ne se limitent pas aux marchés financiers, mais s'étendent aussi au commerce. Même si l'opposition de Trump au Partenariat trans-pacifique était bien connue avant l'élection, sa décision de placer la question de sa mise au rancart au cœur d'une brève vidéo diffusée lundi dernier a envoyé un message à plus grande portée: c'est maintenant le début d'une nouvelle époque dans les relations commerciales internationales, une époque basée sur la défense agressive par les États-Unis de leurs intérêts.

La force principale de ce programme et l'appui qu'il reçoit dans les cercles dirigeants américains sont enracinés dans des processus économiques. Cette année, la croissance du commerce mondial atteindra à peine 3%, moins que la moitié du taux atteint dans les années précédant la crise financière mondiale de 2008. Cela est la continuation d'une tendance à la baisse qui a commencé en 2011. La lutte pour les marchés et les profits du globe s'intensifie.

Dans une conférence de presse sur la Revue de la stabilité financière, le vice-président de la BCE Vitor Constâncio a exprimé ses inquiétudes sur la question du commerce, déclarant que «Nous sommes dans une nouvelle phase d'un commerce mondial plus faible. Si en plus il y avait une vague de mesures protectionnistes, la croissance et le commerce mondiaux en souffriraient.»

Comme l'histoire, et particulièrement celle des années 1930, l'a démontré, de tels troubles économiques créent les conditions pour la guerre. Même si le programme de Trump n'a pas encore été dévoilé dans sa totalité, l'appui qu'il a reçu de l'établissement financier et politique américain indique que son programme protectionniste agressif est l'expression d'une réorientation lourde de conséquences de la classe dirigeante américaine.

(Article paru en anglais le 26 novembre 2016)

 

 

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