Le président nouvellement élu des États-Unis, Donald Trump, a de fait coulé le Partenariat Trans-Pacifique (PPT), le vaste accord sur le commerce et l’investissement qui constituait la pièce maîtresse du volet économique du « pivot vers l’Asie » contre la Chine du président Barack Obama. Dans sa brève vidéo de lundi sur les politiques qu’il suivra, Trump a confirmé son protectionnisme de « l’Amérique d’abord » en déclarant que le premier jour de sa présidence il émettrait une note d’intention de se retirer de l’accord.
L’annonce de Trump a été un camouflet pour les alliés des américains et les partenaires du TTP rassemblés au sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) du week-end dernier au Pérou. Ce sommet avait exhorté le président élu à reconsidérer sa position. La décision ne peut que renforcer l’incertitude dans les capitales asiatiques dans le sillage de l’élection de Trump qui a non seulement mis en question le « pivot » d’Obama, mais la base de l’ordre d’après-Seconde Guerre dans l’Asie-Pacifique, en particulier du Traité de sécurité américano-japonais.
Au cours de la campagne électorale américaine, Trump a critiqué à maintes reprises le Japon, ainsi que la Chine, comme des partenaires commerciaux déloyaux et, avec la Corée du Sud, a suggéré qu’ils ne payaient pas assez pour le coût des bases militaires américaines sur leur sol. Il a vertement critiqué l’alliance américaine avec le Japon en disant : « Si quelqu’un attaque le Japon, nous devons aller commencer la Troisième Guerre mondiale […] Si nous sommes attaqués, le Japon n’est pas obligé à nous aider ».
Quelques heures avant la sortie de la vidéo politique de Trump, le Premier ministre japonais Shinzo Abe a déclaré que le TPP serait « vide de sens sans les États-Unis ». Il a refusé les idées de continuer la formation du bloc sans participation américaine émises par d’autres partenaires du TPP qui assistaient à l’APEC. Sans les États-Unis et le Japon, respectivement la plus grande et la troisième plus grande économies du monde, le TTP ne sera qu’une ombre de lui-même, si jamais il survit.
En fait, le TTP n’a jamais été un accord de « libre-échange ». C’était le moyen par lequel Washington cherchait à saper l’influence économique chinoise et à consolider sa propre domination en Asie et à l’échelle internationale. Comme l’a déclaré Obama, le TPP devait veiller à ce que les États-Unis, et non la Chine, écrivent les règles de l’économie mondiale du XXIᵉ siècle. Il comprenait la protection de la propriété intellectuelle américaine, des dispositions pour que les sociétés américaines puissent poursuivre les gouvernements en justice si les réglementations nationales réduisent leurs bénéfices, et des mesures contre les entreprises publiques.
Le TPP a toujours fait partie intégrante de l’offensive diplomatique de l’administration Obama et des préparatifs militaires en Asie-Pacifique pour la guerre avec la Chine. Le secrétaire à la défense d’Obama, Ashton Carter, a souligné son importance stratégique en déclarant que le « TPP est aussi important pour moi qu’un porte-avions supplémentaire ». Le renforcement militaire en Asie a inclus le renforcement des alliances dans toute la région, l’extension des bases militaires en Australie, aux Philippines et à Singapour, et prévoit de placer 60 pour cent des actifs navals et aériens dans la région Asie-Pacifique d’ici 2020.
Loin de se retirer, Trump prépare une guerre commerciale contre la Chine qui intensifiera considérablement les tensions dans toute l’Asie et augmentera le danger de guerre. Il a menacé de qualifier officiellement la Chine de « manipulateur de devises », ce qui ouvrirait l’imposition de droits de douane punitifs allant jusqu’à 45 pour cent sur les exportations chinoises vers les États-Unis. Un éditorial du journal belliciste Global Times dont l’État chinois est le propriétaire a suggéré en représailles : « Un lot de commandes de Boeing sera remplacé par Airbus, les ventes d’automobiles et d’iPhones aux États-Unis subiront un recul et les importations américaines de soja et de maïs seront stoppées ».
Les mesures commerciales punitives de Trump auront un effet non seulement sur la Chine, mais aussi sur des alliés des États-Unis comme le Japon, la Corée du Sud et l’Australie, pour lesquels la Chine est le plus grand partenaire commercial. Selon Daiwa Securities, un droit de douanes de 15 % sur les marchandises chinoises entraînerait une chute de 1 % de la croissance économique chinoise et une baisse importante des taux de croissance de ses partenaires commerciaux.
Au milieu de l’incertitude aiguë qui suit l’élection de Trump, les gouvernements d’Asie et du monde entier sont contraints de réévaluer leurs stratégies économiques et militaires.
Le Premier ministre japonais Abe et d’autres dirigeants étrangers ont déjà prévenu que si Trump tue le TPP, ils seront obligés de travailler avec la Chine pour conclure son accord commercial rival, un partenariat économique régional (RCEP). Comme l’a souligné à juste titre Abe avant la réunion de l’APEC, le RCEP comprend la plupart des pays asiatiques ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande, mais pas les États-Unis.
En déclarant que le TPP serait « vide de sens » sans les États-Unis, Abe a effectivement exclu un bloc commercial que le Japon mènerait de facto et qui poserait ainsi un autre défi à l’hégémonie américaine en Asie. S’il se peut qu’Abe ne soit pas prêt à affronter Washington, d’autres dans l’élite dirigeante japonaise suggèrent déjà que Tokyo doit envisager une défense plus agressive de ses propres intérêts économiques et stratégiques.
Shigeru Ishibi, un personnage puissant au sein du Parti libéral-démocrate au pouvoir dont il a deux fois brigué la direction contre Abe, a déclaré lundi que le Japon devrait adopter une approche différente après l’arrivée au pouvoir de Trump. « Le Japon ne peut pas simplement rester assis et se soumettre aux ordres des États-Unis. Nous devons faire des propositions actives et réformer rapidement notre politique étrangère là où cela est nécessaire », a-t-il déclaré. Mais il n’a pas suggéré la fin du Traité de sécurité entre les États-Unis et le Japon. Ishibi a appelé à une préparation intégrale et à une plus grande fermeté de la part de Tokyo.
Les mesures agressives de guerre commerciale de Trump exacerberont considérablement les rivalités géopolitiques dans toute la région, elles pourraient mettre les États-Unis en conflit non seulement avec la Chine, mais aussi avec leurs alliés traditionnels comme le Japon. En déclin historique, Washington n’a plus le pouvoir économique pour imposer la loi en Asie ou ailleurs et est obligé de recourir à des moyens militaires.
Trump a déjà indiqué qu’il va se focaliser sur le renforcement militaire des États-Unis en élargissant l’armée de 90 000 personnes et la marine de 40 à 350 navires de guerre. Le conseiller de Trump Rudy Giuliani s’est vanté la semaine dernière : « À 350, la Chine ne peut pas nous égaler dans le Pacifique […] Si vous les affrontez avec une armée moderne, gigantesque, écrasante et incroyablement bonne dans la guerre conventionnelle et asymétrique, ils pourraient bien la défier. Mais j’en doute.
En réalité, l’administration Trump s’apprête à lancer une guerre commerciale et une course aux armements en Asie qui risque de déclencher un conflit militaire ouvert. Les racines de cette poussée accélérée vers la guerre ne se situent pas dans la personnalité de Trump, mais dans la crise profonde du capitalisme mondial qui pousse les puissances mondiales et régionales à en imposer le fardeau à leurs rivaux à l’étranger et à la classe ouvrière à l’intérieur.
(Article paru en anglais 25 novembre 2016)