Selon les estimations hier soir, François Fillon aurait remporté 67 pour cent des voix face à Alain Juppé au second tour de la primaire de la droite. L'ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy, un catholique pratiquant qui admire Margaret Thatcher et a présenté un programme violemment libéral, se retrouve ainsi avec de fortes chances d'affronter la candidate frontiste, Marine Le Pen, au second tour des présidentielles en mai.
Avec une participation en hausse d'environ 4 pour cent comparé au premier tour des primaires, auquel 4,2 millions d'électeurs avaient participé, Fillon a obtenu une victoire décisive. Il a remporté tous les départements et les DOM-TOM à part la Gironde, fief de Juppé, la Corrèze, et, dans l'outre-mer, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et la Guyane.
« Je félicite François Fillon pour sa large victoire », a déclaré Juppé à son QG de campagne. « Je lui souhaite bonne chance pour sa prochaine campagne présidentielle ».
Fillon a pris la parole pour saluer une « victoire de fond », appeler au rassemblement de tous les soutiens des divers candidats de droite, et critiquer le quinquennat « pathétique » de François Hollande. Il a ajouté, « Je mesure la gravité de la situation et les attentes de mes compatriotes. Je vais aller à leur rencontre tout au long des prochains mois. Je relèverai avec eux un défi original en France : celui de la vérité et celui d’un changement de logiciel complet. Je donne rendez-vous à tous ceux qui savent que le bonheur est une conquête ».
Moins de trois semaines après l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis, l'émergence de Fillon en tant que candidat des Républicains (LR) signifie un tournant important vers la droite, avec une austérité et une incitation du nationalisme intensifiées. Il a proposé €110 milliards d'économies, dont presque la moitié proviendrait de l'éventrement de la Sécurité sociale et du déremboursement de nombreux soins, ainsi que la suppression de 500.000 emplois publics.
Il a laissé entendre que l'avortement ne serait pas un droit « fondamental », et qu'il serait favorable à une persécution judiciaire accrue des minorités religieuses en France, avec une loi contre le burkini.
En politique étrangère, Fillon prône une escalade massive de la guerre au Moyen Orient dirigée contre l'Etat islamique (EI), qu'il a traité de « totalitarisme islamique ». Il a également observé que cette guerre menace de déclencher la « troisième guerre mondiale », même s'il tentait absurdement d'en faire porter la responsabilité à l'EI, qui ne contrôle qu'un territoire limité en Irak et en Syrie, non pas aux grandes puissances mondiales.
La candidature de Fillon intensifiera les rivalités économiques et stratégiques qui minent l'Union européenne, déjà menacée par la sortie de la Grande-Bretagne et un référendum en Italie auquel une réponse négative pourrait ensuite porter au pouvoir un gouvernement antieuro et anti-UE. Si Fillon a indiqué qu'il souhaite de meilleures relations avec la Russie, il a plusieurs fois asséné que le but de son action est de préparer la France à être la première puissance d'Europe. La cible de ces remarques est l'Allemagne, puissance hégémonique au sein de l'UE.
La victoire de Fillon aux primaires souligne l'effondrement de la démocratie française. Le PS est haï pour avoir assommé les travailleurs sans répit avec des mesures d'austérité et des guerres impopulaires. Et pourtant, le candidat qui part à présent favori veut imposer, sans légitimité aucune, un choc budgétaire thatchérien, qui utiliserait l'état d'urgence et la loi travail du PS pour intensifier la guerre et saborder les droits sociaux acquis par les travailleurs en France au 20e siècle.
De plus, la profonde crise économique et militaire mondiale, ainsi que la coloration des principaux candidats présidentiels en France, ne laisse pas entrevoir l'arrivée au pouvoir d'un candidat dont la politique serait sensiblement différente. Que l'élection soit remportée par Fillon, Le Pen, ou un candidat PS ou issue d'un parti lié au PS, actuellement peu probable vu le discrédit qui pèse sur Hollande, il faut s'attendre à une intensification des guerres, ainsi que de la guerre sociale menée contre les travailleurs en France.
Pour être victorieuse, l'opposition des travailleurs ne pourra s'organiser qu'indépendamment des appareils syndicaux et de satellites politiques du PS tels que le Nouveau parti anticapitaliste. Les dirigeants de ces tendances, qui ont mené l'opposition à la loi travail droit dans le mur cet été, laissent déjà entendre qu'ils considèrent que Fillon pourrait prétendre imposer son programme réactionnaire aux Français.
Interrogé sur la légitimité du programme d'une éventuelle présidence Fillon sur France Inter, où il était en difficulté à cause du soutien de sa centrale à Hollande en 2012, le patron de la CGT Philippe Martinez a répondu : « Bien sûr que c'est légitime, à condition que les promesses, on les tienne ... à condition qu'on n'issue de nouvelles propositions de loi ».
Tout laisse à croire que la nomination de Fillon en tant que candidat LR facilitera aussi la montée du vote FN aux présidentielles. Bien sûr, il y a dix ans, Sarkozy a remporté l'élection présidentielle en flattant les préjugés antimusulmans, et en faisant des appels de pied vers le FN. Des électeurs ont à cette époque préféré voter pour Sarkozy que pour le candidat frontiste Jean-Marie Le Pen, afin de voter pour un candidat « démocratique » non tâché pas des déclarations négationnistes ou favorables à l'Occupation nazie.
Fillon semble s'inscrire actuellement dans la lignée de la stratégie de Sarkozy. Toutefois, l'action de Sarkozy et plus particulièrement de Hollande, ainsi que l'évolution vers l'extrême-droite de la politique social-démocrate ou petite-bourgeoise, a fait sauter plusieurs verrous qui bloquaient un report massif de voix de la droite vers le FN.
En légitimant l'arsenal législatif du régime de Vichy et de la guerre d'Algérie, par ses déclarations sur la déchéance de nationalité et l'imposition de l'état d'urgence, le PS a installé un Etat policier en France qui brouille les distinctions entre les partis traditionnels de gouvernement et le FN.
De plus, Marine Le Pen a assumé la direction du FN, où elle a évité d'afficher de sympathies pronazies et a confié de hautes responsabilités à des personnalités liées à l'ex-membre du PS Jean-Pierre Chevènement, dont le vice-président du FN Florian Philippot. Ceux-ci tentent de donner une façade populiste et « sociale » au FN. La nomination d'un candidat LR ultralibéral leur facilitera la tâche de se poser démagogiquement en recours contre le pillage de la population que veut organiser Fillon dans l'intérêt des banques.
Hier soir, Philippot tentait d'attaquer Fillon depuis la gauche. « Fillon est clairement ultralibéral, clairement pour l'austérité », a-t-il dit. Fustigeant la « violence inouïe » de Fillon, il a ajouté : « Le programme de Fillon est dur : 500.000 fonctionnaires en moins, notamment dans la ruralité, et une hausse de la TVA ... Le bilan Fillon, c'est 12.500 postes de gendarmes et de policiers en moins, 700.000 chômeurs de plus ».
Hier, la presse canadienne prédisait qu'un second tour Fillon-Le Pen s'avérerait extrêmement serré. « Il n'est pas évident de dire que Fillon serait une personnalité de rassemblement attractive pour la gauche de la société française », confiait Paul Diggle, économiste pour Aberdeen Asset Management de Londres, au Globe and Mail. « Je dirais que ce serait kif-kif entre Le Pen et Fillon ».