Roussef chassée, le vice-président assemble un gouvernement de droite au Brésil

Jeudi dernier, Michel Temer, le vice-président et l'ancien allié politique de la présidente Dilma Roussef du Parti des travailleurs (Partido dos Trabalhadores, PT), qui a été chassée du pouvoir, a pris formellement la direction de Planalto, les bureaux présidentiels à Brasilia. Il a déclaré que ce sera un gouvernement de «salut national» et il a assemblé un cabinet de politiciens et d'économistes capitalistes de droite qui proviennent des secteurs banquiers et financiers. 

Après une session qui a duré toute la nuit, le sénat brésilien a voté jeudi matin pour commencer les procédures de destitution contre Rousseff. Elle est donc suspendue de son poste pour toute la durée du procès qui se poursuivra probablement jusqu'en septembre ou octobre. Même si une simple majorité était nécessaire pour faire démarrer le processus, il y a eu majorité écrasante de 55 contre 22, ce qui est plus des deux tiers de la majorité ultimement requise pour chasser la présidente du PT de son poste. 

Étant donné que la base des accusations pour la destitution – la manipulation présumée par Roussef des comptes budgétaires afin de masquer des manques à gagner temporaires – a été clairement utilisée comme un prétexte, une condamnation semble inévitable. 

Le Brésil est le plus grand pays d'Amérique latine et la septième plus grande économie dans le monde. Rousseff a reçu 54 millions de votes en 2014 lorsqu'elle a été réélue comme présidente pour un deuxième mandat. Cette élection est maintenant renversée par une conspiration politique antidémocratique au plus haut niveau de l'élite dirigeante brésilienne. 

Lors de son premier discours a la nation, Temer, entouré d'une pléiade de politiciens provenant de presque tous les partis hormis le PT et qui arboraient un sourire en coin, a souligné que son gouvernement travaillerait pour «améliorer l'environnement pour les investissements du secteur privé» et qu'il mettrait en oeuvre des «réformes fondamentales» conçues pour faire porter le fardeau de la profonde crise économique du pays encore plus directement sur le dos des masses de travailleurs brésiliens. 

Il y avait plus qu'un relent de fascisme dans les commentaires du nouveau président par intérim. Il a déclaré que son but était de «pacifier et d'unifier» le Brésil et que la devise de son gouvernement serait «Ordeme Progresso», ou Ordre et Progrès, qui sont les mots figurants sur le drapeau brésilien. 

Provenant du philosophe français Auguste Comte, le slogan a été introduit dans le lexique politique du Brésil pour la première fois vers la fin du 19e siècle par des membres de hauts rangs de l'armée qui étaient influencés par le positivisme de Comte. Ils sont devenus les mots d'ordre pour l'unité nationale et la suppression de la lutte des classes, qui ont été imposées le plus efficacement sous la dictature militaire, appuyée par les États-Unis, qui a dirigé le pays de 1964 à 1985. 

Les commentaires de Temer suggèrent que le Brésil doit retourner à ces vieilles «valeurs». La devise sur le drapeau «ne pourrait être plus actuelle que si elle avait été écrite aujourd'hui.» 

Temer a dit à son auditoire qu'il était passé récemment en voiture devant une station-service et qu'il avait remarqué que son propriétaire avait mis une affiche où il était inscrit: «Ne parlez pas de la crise, travaillez.» Il a ajouté qu'il aimerait voir ce slogan s'étendre à «10, 20 millions de pancartes à travers le Brésil». Il a dit que le slogan servait à promouvoir l'«harmonie» et l'«optimisme.» 

Il a prononcé ces mots dans des conditions où 11 millions de travailleurs sont maintenant sans emploi et où les congédiements se poursuivent à un rythme de 100.000 par mois. L'effondrement du boom des matières premières et des marchés émergents a plongé le pays dans sa pire crise économique depuis un siècle. 

La réponse de Temer à cette crise est l'austérité sans équivoque. Il s'est vanté que ses premières actions ont été de couper le nombre de ministères gouvernementaux et il a indiqué qu'une suppression en masse des emplois du secteur public suivrait. Il a aussi déclaré que son gouvernement était voué à des «réformes fondamentales», surtout dans le système de sécurité sociale du pays et dans les lois encadrant le travail. 

Le cabinet qui a été mis sur pied par Temer est un ramassis de personnalités réactionnaires et propatronales. Jose Serra, qui a été nommé ministre des Affaires étrangères, est parmi les membres les plus importants. Serra est un membre de haut rang du parti droitiste PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne). Il a servi comme sénateur, maire de São Paulo et a été deux fois le candidat défait du PSDB. Il a perdu deux fois devant le PT, en 2002 et 2010. Serra était mentionné dans un câble de l'ambassade américaine divulgué par Wikileaks où il était favorable à la privatisation du géant étatique de l'énergie, Petrobras, et à l'ouverture des gisements d'hydrocarbures au large des côtes brésiliennes à l'exploitation par les grandes firmes basées aux États-Unis. 

Le ministère de l'Éducation a été décerné à Mendonça Filho du parti d'extrême droite Démocrates (DEM), le successeur d'ARENA, le parti dirigeant officiel de l'ancienne dictature militaire. Il est le fils d'un membre important d'ARENA qui est aussi un grand propriétaire terrien dans l'État de Pernambuco, au nord du pays. 

Le ministère de la Sécurité institutionnelle, qui inclut les services de renseignements brésiliens, a été placé sous la direction de l'ancien général de l'armée brésilienne, Sérgio Westphalen Etchegoyen. Lorsque son père a été identifié par la commission sur la vérité comme étant l'un des officiels responsables des meurtres, des disparitions et de la torture sous la dictature, il a protesté férocement et a qualifié les accusations de «frivoles». 

Comme ministre de l'Agriculture, Temer a nommé Blairo Maggi, une personnalité milliardaire de l'agroalimentaire connu sous le surnom de «roi du soya» et qui est reconnu comme celui qui a fait plus pour détruire la forêt amazonienne que n'importe qui sur la planète. 

Et le poste de ministre de la Justice a été décerné à Alexandre de Moraes, le secrétaire de la sécurité publique de l'État de São Paulo, qui est un défenseur de la répression par l'État. Le ministère des droits de l'homme a été intégré à celui de la justice et placé aussi sous sa direction. Plus tôt, le nom d'une députée de droite reconnue pour son opposition à l'avortement, même dans les cas de viols, avait été proposé pour être chef du ministère des droits de l'homme. 

Plusieurs de ceux qui feront partie du nouveau cabinet sont aux prises avec des accusations de corruption, incluant en lien avec le scandale de corruption massive et de pot-de-vin impliquant des contrats avec Petrobras. Même le quotidien O Estado de S. Paulo, qui a appuyé la destitution, a été forcé d'admettre que les chefs du nouveau gouvernement, «avec la participation de ceux qui sont spécialement impliqués dans les scandales de corruption passés et présents, prétendent qu'ils vont tout changer, alors qu'en réalité, ils vont tout laisser pareil». 

La personne la plus importante du nouveau cabinet est Henrique Meirelles, qui va prendre le poste de ministre des Finances et diriger l'austérité. L'aide sociale sera apparemment placée dans son cahier des charges, indiquant ainsi l'intention du gouvernement d'opérer des changements radicaux. Le rôle de Meirelles souligne la continuité fondamentale entre le nouveau gouvernement de droite et l'administration du PT qui l'a précédé. 

Ex-PDG de la Banque de Boston, Meirelles a été nommé chef de la banque centrale brésilienne lorsque le PT a pris le pouvoir pour la première fois sous la présidence de l'ancien chef du syndicat des métallos, Luiz Inacio Lula da Silva. Sa nomination a été un signal envoyé aux capitalistes brésiliens et étrangers pour dire qu'ils n'avaient rien à craindre de la rhétorique socialiste du PT. Lula avait proposé à Rousseff de faire entrer Meirelles dans son administration, même en tant que vice-président. 

Dans son discours jeudi matin, Rousseff a qualifié la destitution de «coup d'État» et a soutenu qu'elle n'était coupable d'aucun crime. «C'est la chose la plus brutale qui peut arriver à un être humain, a-t-elle dit, être condamnée pour un crime que vous n'avez pas commis. Aucune injustice n'est plus dévastatrice.» 

Elle a comparé son expérience avec la torture, dont elle a souffert en tant que prisonnière de la dictature militaire vers la fin des années 1960 et son combat contre le cancer. 

Même si elle a dénoncé l'attaque contre elle personnellement et la menace à la démocratie posée par la «destitution frauduleuse», elle n'a fait rien fait pour mettre en garde la classe ouvrière brésilienne contre les attaques brutales à venir, sans parler d'appeler à des actions concrètes des travailleurs contre le «coup d'État». 

C'est parce que, en dernière analyse, le PT était prêt à mettre de l'avant des attaques similaires, et il avait cherché à gagner l'appui du capital brésilien et étranger avec l'argument qu'il était le seul à être perçu comme étant un gouvernement «légitime» et qu'il pourrait utiliser la collaboration de la fédération des syndicats (CUT) pour étouffer la résistance des travailleurs. 

De plus, tous ceux qui ont perpétré le présumé coup d'État étaient, jusqu'à récemment, les alliés politiques les plus proches du PT, recevaient des postes dans le gouvernement, se présentaient sur des listes électorales communes et, comme ce fut révélé dans le scandale mensalao, ont obtenu de généreux salaires pour voter avec le gouvernement au congrès.

 

 

(Article paru d'abord en anglais le 13 mai 2016)

Loading