Perspective

Documents publiés sur la connexion saoudienne dans les attentats du 11 septembre: le camouflage révélé

La diffusion vendredi 15 juillet d'une partie du rapport du Congrès sur les attaques du 11 septembre, gardée secrète pendant 13 ans, apporte une nouvelle preuve de ce qu’on a délibérément camouflé le rôle joué non seulement par le gouvernement saoudien, mais encore par les agences américaines de renseignement pour faciliter les attaques et dissimuler ensuite leur origine réelle. 

L’extrait long de 28 pages du rapport publié par l’« Enquête conjointe sur les activités de la communauté du renseignement avant et après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 » apporte d’abondantes et accablantes preuves du vaste soutien saoudien aux pirates du 11 septembre (15 sur 19 étaient des ressortissants saoudiens), dans la période ayant précédé les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, où ont péri près de 3.000 personnes. 

La Maison-Blanche d'Obama, la CIA, la monarchie saoudienne et les médias patronaux ont tous tenté de présenter les documents, publiés un vendredi après-midi pour garantir qu’ils passent le plus possible inaperçus, comme exonérant d’une certaine manière le régime saoudien de toute culpabilité dans les attentats. 

« Cette information ne change pas l'évaluation du gouvernement américain qu’il n'y a aucune preuve que le gouvernement saoudien ou des individus saoudiens aient financé al-Qaida », a déclaré Josh Earnest, le secrétaire de presse de la Maison Blanche vendredi, se vantant de ce que la principale signification de la publication d’une partie du rapport était qu’elle prouvait l'attachement du gouvernement Obama à la « transparence ».

En réalité, les 28 pages avaient été gardées sous clé depuis 2002 et seuls les membres du Congrès avaient le droit de les lire dans une salle souterraine de Capitol Hill; il leur était défendu de prendre des notes, de se faire accompagner de membres de leur personnel ou de révéler quoi que ce soit sur leur contenu. 

Le gouvernement Obama, comme celui de Bush avant lui, a maintenu ce secret pour plusieurs raisons. D'abord, il craignait que les documents ne mettent en péril ses relations avec l'Arabie saoudite qui, après Israël, est le plus proche allié de Washington au Moyen-Orient, un partenaire dans ses opérations sanglantes en Afghanistan, en Syrie et au Yémen, et le plus grand acheteur d'armes américaines au monde. 

En outre et surtout, il craignait que les 28 pages ne révèlent plus encore l’abjecte criminalité du rôle joué par le gouvernement américain pour faciliter les attaques du 11 septembre, puis les mensonges sur leur origine et leur exploitation pour justifier ses guerres d'agression brutales, d'abord contre l'Afghanistan puis contre l'Irak, qui ont coûté plus d'un million de vies. Le discours fallacieux créé autour des attentats du 11 septembre reste le pilier idéologique de la campagne mondiale de militarisme menée par les Etats-Unis au nom de la «guerre contre le terrorisme ». 

Les informations des médias sur ces 28 pages parlent invariablement d’une absence de « preuve irréfutable », ce qui serait probablement quelque chose comme un ordre signé par le roi saoudien d’attaquer New York et Washington. Les preuves sont qualifiées de « non concluantes ». On ne peut qu'imaginer ce qu’aurait été la réaction si, à la place du mot « saoudien », les documents avaient parlé d’actions irakiennes, syriennes ou iraniennes. On aurait alors déclaré la même preuve un argument irréfutable pour la guerre. 

Parmi ceux qui ont participé à la préparation du rapport John Lehman, ancien secrétaire à la Marine, contredit directement la réponse officielle à la publication de la section précédemment censurée. « Il y avait une participation terriblement nombreuse des Saoudiens pour soutenir les pirates de l'air, et certaines de ces personnes travaillaient dans le gouvernement saoudien, » a-t-il dit. « Notre rapport n'aurait jamais dû être lu comme exonérant l'Arabie Saoudite ». 

L'ancien sénateur de Floride Bob Graham qui présida le comité chargé de l'enquête a lui, suggéré que l'information publiée vendredi n’était que le début. « Je considère les 28 pages presque comme, en quelque sorte, le bouchon de la bouteille de vin. Et une fois qu'il est sorti, nous espérons que le reste du vin lui-même va commencer à couler, » a-t-il dit.

Ce qui ressort clairement du document nouvellement publié, intitulé « Résultats, discussions et récit concernant certaines questions sensibles de sécurité nationale », c'est qu'il y avait de multiples indications de financement et de soutien aux pirates du 11 septembre et à Al-Qaïda en général, mais que les enquêtes ont été soit arrêtées, soit jamais commencées en raison des liens étroits entre Washington et la monarchie saoudienne et entre les agences de renseignement américaines et saoudiennes.

Le document commence par ces mots: « Alors qu'ils étaient aux États-Unis, certains des pirates de l'air du 11 septembre étaient en contact avec, et ont reçu un appui ou une assistance, de personnes qui pourraient avoir des liens avec le gouvernement saoudien ». Il cite des sources du FBI qui indiquent que certaines de ces personnes étaient « des agents de renseignement saoudiens ».

Il indique ensuite que les enquêtes du FBI et de la CIA sur ces liens ne furent ouvertes qu’en réponse à la demande d’enquête du Congrès. « [C]e fut seulement après le 11 septembre que le gouvernement américain a commencé à enquêter de façon agressive sur cette question », indique le rapport. « Avant le 11 septembre, le FBI n'a apparemment pas concentré les sources de l’enquête sur [expurgé] des ressortissants saoudiens aux Etats-Unis en raison du statut de l'Arabie Saoudite comme allié américain.»

Le rapport se concentre en partie sur le rôle d'un certain Omar al-Bayoumi, qu’on avait décrit au FBI comme un agent de renseignement saoudien ayant, selon les dossiers du FBI, « fourni une aide substantielle aux pirates de l'air Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi après leur arrivée à San Diego en février 2000. »

Le rapport d'enquête traite du rôle d’al-Hazmi et al-Mihdhar seulement à partir de leur arrivée en Californie et ne dit rien des circonstances où ils ont été autorisés à entrer dans le pays en premier lieu. Tous deux étaient surveillés par la CIA alors qu'ils assistaient à une réunion de planification d’Al-Qaïda en 2000 à Kuala Lumpur, Malaisie, et placés sur une « liste de surveillance » du FBI au cas où ils entreraient aux États-Unis. Les deux hommes furent néanmoins autorisés à entrer aux États-Unis le 15 janvier 2000, à l'aéroport international de Los Angeles, pour aller ensuite à San Diego. A partir de là, on leur a permis d’opérer librement, de fréquenter l'école de pilotage en vue de leur rôle dans les détournements du 11 septembre 2001.

Al-Bayoumi, constate le rapport, « a reçu le soutien d'une société saoudienne affiliée au ministère saoudien de la Défense, » recevant un salaire pour un emploi fictif. Le rapport indique que la société avait aussi des liens avec le chef d'Al-Qaïda, Oussama ben Laden.

Selon le rapport, al-Bayoumi avait déjà travaillé pour l'Association de l'Aviation civile saoudienne et, dans la période précédant le 11 septembre, était « en contact fréquent avec l'émir responsable de la régulation du trafic aérien au ministère saoudien de la Défense. » Les enregistrements téléphoniques ont démontré qu’il avait appelé des agences gouvernementales saoudiennes 100 fois entre janvier et mai 2000.

Des documents du FBI ont également établi que les $465 de « frais » qu’al-Bayoumi avait reçus par le biais de l'entrepreneur militaire saoudien, a bondi à plus de $3.700 peu après l'arrivée d'al-Hazmi et al-Mihdhar. Pendant cette période, al-Bayoumi a initialement permis aux deux futurs pirates de l'air de rester dans son appartement avant de leur trouver un logement propre – avec un informateur du FBI à San Diego – cosignant leur bail et payant la caution et le premier mois de loyer.

Le rapport déclare que les enquêtes du FBI après le 11 septembre indiquaient qu’al-Bayoumi avait « des liens avec des éléments terroristes.» Sa femme, quant à elle, recevait une allocation mensuelle de $1.200 de la princesse Haifa Bint Sultan, l'épouse du prince Bandar, alors ambassadeur saoudien aux États-Unis et plus tard chef du renseignement dans son pays.

On cite aussi dans le document comme probable agent de renseignement saoudien un dénommé Oussama Bassnan, qui habitait en face des deux pirates de l'air dans la même rue à San Diego et était en contact téléphonique avec al-Bayoumi plusieurs fois par jour au cours de cette période. Il a apparemment mis les deux hommes en contact avec un pilote de ligne saoudien pour des discussions sur « la formation au pilotage d’avions à réaction Boeing », selon un rapport du FBI. La femme de Bassnan recevait elle aussi une allocation mensuelle, de $2.000 par mois, de la princesse Haifa, l'épouse de l'ambassadeur saoudien. En outre, le FBI a trouvé un chèque de $15.000 signé par Bandar lui-même en 1998 à l’ordre de Bassnan. Le rapport dit que les informations du FBI indiquaient que Bassnan était « un extrémiste et partisan d'Oussama Ben Laden, » et parlait du chef d'Al-Qaïda, « comme si c’était dieu ».

Comparaissant devant l'enquête du Congrès en octobre 2002, l’adjoint du directeur exécutif du FBI pour le contre-terrorisme Pasquale D'Amuro a réagi avec un cynisme et un mépris non dissimulés lorsqu'on l’interrogea sur les paiements de la femme de l'ambassadeur saoudien aux épouses des deux agents de renseignement considérés être en rapport avec les pirates de l'air du 11 septembre.

« Elle donne de l'argent à un grand nombre de groupes et de personnes différents partout dans le monde,» a-t-il dit. « Nous avons été en mesure d’en découvrir un certain nombre... mais peut-être que si nous pouvons établir qu'elle donne à 20 groupes radicaux différents, eh bien, oh là là, peut-être bien qu’il y aurait là une tendance. » Ainsi s’exprime un homme qui se croit au-dessus la loi en défendant un personnage qu'il estime clairement intouchable.

Dans le rapport se trouvait aussi le compte-rendu d'un interrogatoire par le FBI de Saleh al-Hussayen, un responsable de premier plan du ministère de l'Intérieur saoudien, qui séjournait dans le même hôtel en Virginie que trois des pirates de l'air la nuit avant les attaques du 11 septembre. Alors qu'il a affirmé ne pas connaître les pirates de l'air, les agents du FBI « croyaient qu'il voulait les tromper ».

Selon le compte-rendu, al-Hussayen « a feint une crise » et a été libéré pour aller à l'hôpital, qu’il a quitté plusieurs jours plus tard pour prendre un vol retour vers l'Arabie saoudite, sans être interrogé davantage. Au cours de la même période, près de 1.200 personnes, sans lien avec les attaques, étaient arrêtées et détenues sans contact avec l’extérieur du simple fait qu’elles étaient arabes ou musulmanes.

Dans le rapport, il y avait également le fait qu'un carnet de numéros de téléphone avait été trouvé appartenant à Abu Zubaydah, membre d’Al-Qaïda toujours détenu à Guantanamo après une longue torture aux mains de la CIA. Ce carnet contenait les numéros de sociétés ne figurant pas à l’annuaire, qui organisaient et assuraient la sécurité du séjour dans le Colorado du prince Bandar, l'ambassadeur saoudien, ainsi que le numéro d'un garde du corps de l'ambassade d'Arabie Saoudite dont, dit le rapport, « certains ont allégué qu’il pourrait être un [mots expurgés] ».

Des expurgations de ce genre se répètent tout au long du document pour des Saoudiens individuels, ce qui suggère leur appartenance à une sorte de service secret dont le nom ne doit pas être mentionné. Ce n’est là qu’une partie de ce que le matériel secret cache encore. Des membres du personnel de l'enquête auraient protesté, en colère, face à l'incapacité de présenter clairement la preuve de l'implication saoudienne; cela a conduit au renvoi d'au moins un membre de ce personnel.

Si le gouvernement est déterminé à continuer de protéger ces connections saoudiennes, c'est sans doute parce qu'elles révèleraient l'implication dans les événements du 11 septembre des services de renseignement américains eux-mêmes.

S’il est nécessaire d’étouffer de telles affaires, c’est parce que des éléments au sein du gouvernement des États-Unis étaient conscients de ce qu'Al-Qaïda préparait une opération sur le sol américain, ont fermé les yeux ou l’ont même facilitée parce qu'ils savaient qu'elle pourrait être utilisée comme prétexte pour mettre en œuvre les plans de longue date d’une guerre d'agression au Moyen-Orient.

La publication, même limitée, d’informations sur les connexions saoudienne et américaine dans les attentats du 11 septembre dévoile de façon dévastatrice les criminels au sein du gouvernement des États-Unis, tant George W. Bush que ses subordonnés, et les mensonges qu'ils ont employés pour organiser des guerres qui ont détruit la vie de millions de personnes.

Ces faits nouveaux exigent une enquête approfondie, impartiale et internationale ainsi que la mise en accusation et l'arrestation de hauts responsables, américains comme saoudiens. Seule une intervention puissante de la classe ouvrière internationale sur la base d'un programme socialiste fera que ces criminels de guerre soient traduits en justice.

(Article paru en anglais le 16 juillet 2016)

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