Les agressions de Cologne et l'appel à un Etat fort

Avec la nouvelle année, les médias et l'establishment politique allemands ont réenclenché le mode propagande. Impossible de regarder ou écouter les nouvelles ou d’ouvrir un journal sans tomber sur des demandes pour plus de police et de surveillance, des lois plus sévères et la déportation de «criminels étrangers». La chancelière Angela Merkel s’est mise à la tête de cette campagne en demandant qu’on envoie « un signal clair à ceux qui ne sont pas disposés à respecter notre ordre juridique ». 

L'occasion de cette dernière campagne de propagande qui a relégué tout le reste de l’actualité à l'arrière plan, est un incident s’étant produit à la Saint-Sylvestre à la gare de Cologne. Des groupes d'hommes apparemment en fort état d'ébriété ont harcelé, volé et agressé sexuellement de nombreuses femmes. 

Vu l'énorme attention que ces événements ont reçue des médias, il faut noter que huit jours plus tard, on n’a toujours que peu de détails concrets. La police de Cologne et le ministère de l'Intérieur de l'Etat de Rhénanie du Nord Westphalie ont attendu jusqu'à aujourd’hui pour les commenter à nouveau. Mais malgré l'absence d'informations, il est clair qu'une campagne calculée est en train d’être montée. 

Une seule chose est certaine à ce jour. Un millier de personnes s’était rassemblé sur la place entre la gare principale et la cathédrale de Cologne pour célébrer le Nouvel An. Lorsque certains de ceux présents ont commencé à lancer des feux d'artifice dans la foule, la police a chassé tout le monde de la place une demi-heure avant minuit, disant qu'elle voulait « éviter une panique de masse. » Peu de temps avant une heure du matin, elle a permis une fois de plus l'accès à la gare. 

A ce moment, un certain nombre de femmes ont commencé à déposer plainte pour vol. Selon la police, certaines d'entre elles ont aussi signalé des agressions sexuelles par des groupes sur des passantes. La police a dépêché près de 150 policiers sur la place accompagnant quelques-unes des femmes menacées à la gare, il y avait soixante-dix autres policiers fédéraux dans la gare. 

Le lendemain matin, la police a annoncé qu'il n'y avait pas eu d'événements inhabituels. «Malgré la pause imprévue dans les célébrations, la situation était détendue », déclarait un communiqué. Dans les médias sociaux, les attaques de la Saint-Sylvestre n'ont pas été soulevées comme un problème, comme l’ont montré par la suite des recherches de la Süddeutsche Zeitung. C'est seulement dans la presse locale de Cologne que des cas isolés de harcèlement sexuel sont apparus. 

Le 2 janvier, la police a mis en place une équipe d'enquête pour examiner les incidents. Selon la presse locale, à ce moment plus de 30 femmes se sont fait connaître de la police et les enquêteurs supposaient que le nombre des auteurs était de quarante. 

Il était pour la première fois question «d'hommes d'apparence nord-africaine ». La police soupçonnait qu'elle avait affaire à des gens connus d’elle depuis des mois comme pickpockets et à des escrocs qui bousculent leurs victimes ou leur indiquent une fausse direction pour les voler. Parfois, le harcèlement sexuel et les attouchements sont utilisés comme moyen de détourner l'attention. 

Les événements de Cologne n'ont figuré dans les médias nationaux que quatre jours plus tard, lorsque la maire de Cologne Henriette Reker et le chef de la police Wolfgang Albers ont tenu une conférence de presse. Ils dominent l’actualité depuis. 

Le nombre de plaintes est monté à 121, trois quarts d'entre elles pour harcèlement sexuel, 50 aussi pour vol. Dans deux cas, desquels on ne sait pour le moment rien de plus, la police enquête sur des accusations de viol. Entre temps, la police a identifié 16 suspects à partir d'enregistrements vidéo. La plupart d'entre eux ne sont pas connus de la police. Il n'y a eu à ce jour aucune arrestation. 

Si on rassemble toutes ces maigres informations, il semble que les activités des pickpockets, pour lesquels la zone autour de la gare de Cologne est notoire, se sont déroulées dans une ambiance de consommation excessive d'alcool et en présence d'une foule importante et compacte. Certaines de ces femmes disent avoir subi une fustigation avec des attouchements de plusieurs côtés.

Cela est répugnant, mais pas nouveau en Allemagne. Lors de grandes manifestations où il y a une forte consommation d'alcool, comme l'Oktoberfest en Bavière, des excès semblables se produisent souvent, quoique d’une façon moins concentrée.

Après que les événements de Cologne ont commencé à dominer l’actualité, plusieurs dizaines de plaintes pour agression sexuelle pendant le réveillon ont aussi été déposées à Hambourg et à Stuttgart.

Ces événements ont beaucoup à voir avec la crise sociale dans les grandes villes allemandes mais absolument rien avec l'afflux de près d'un million de réfugiés au cours de l'année écoulée. Ces derniers détestent tout autant la violence contre les femmes que la grande majorité des Allemands. Mais cela n'a pas empêché politiciens et médias d’utiliser ces évènements pour lancer contre les réfugiés une campagne de dénigrement accompagnée de la demande de plus de pouvoirs pour l'État.

Le ministre fédéral de la Justice Heiko Maas, du parti social-démocrate SPD, a parlé d'«une toute nouvelle dimension de la criminalité organisée». Sans fournir aucune preuve que les événements de Cologne aient été planifiés, il a déclaré au Berliner Morgenpost, «Quand des milliers de gens se rassemblent comme une horde sans retenue, et cela était apparemment l’intention, ce n’est rien moins qu'une rupture temporaire de civilisation ». Le terme « rupture de civilisation » est associé traditionnellement en Allemagne à l'Holocauste.

Le Secrétaire général de l’Union chrétienne-sociale (CSU) Andreas Scheuer a accusé à l’emporte-pièce des «jeunes migrants» d’être responsables des agressions de Cologne. Il est «inacceptable que les femmes soient sexuellement maltraitées et dépouillées la nuit dans la rue et dans les lieux publics des grandes villes allemandes par de jeunes migrants », a-t-il dit au Rheinische Post.

Le ministre de l’Intérieur de Rhénanie du Nord Westphalie, Ralf Jäger, (SPD) a déclaré dans le style de l'extrême-droite et du mouvement anti-immigrés Pegida, « Nous n’acceptons pas que des groupes de Nord-africains s’organisent pour humilier des femmes sans défense par des attaques sexuelles éhontées ».

Les échos du stéréotype nazi du sous-homme étranger qui souille les femmes allemandes sont sans équivoque dans les deux déclarations.

Sur Twitter, l'ancienne ministre de la Famille Kristina Schröder, de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), a déclaré qu’il fallait se confronter aux « normes qui légitiment les violences masculines dans la culture musulmane», qui avaient longtemps été un sujet «tabou».

Si le ministre fédéral de l'Intérieur Thomas de Maizière a dit qu'il ne devrait y avoir «aucune suspicion générale manifestée envers les réfugiés» il a enchaîné en disant que si les Nord-africains étaient les auteurs, on ne pouvait pas « simplement l’ignorer ».

La campagne de dénigrement contre les «Nord-africains», la «culture musulmane» et les «jeunes migrants» est immanquablement accompagnée de l’appel à plus de police, à des lois plus sévères et à l'expulsion des réfugiés. La chancelière Angela Merkel a annoncé qu'il y aurait une « réponse dure de l’Etat de droit.» Les représentants de tous les partis parlementaires ont réagi de même, y compris le Parti de Gauche. Son premier ministre-président, celui de Thuringe, Bodo Ramelow, a ordonné une évaluation des risques pour sa région et averti qu'il ne pourrait y avoir « aucune zone de non droit ».

Suite aux événements de Cologne, la direction de la CDU appelle à la mise en œuvre de vastes opérations de contrôle dont « des contrôles sans suspicion », quand il y a « danger important pour la sécurité et l'ordre public ». Le parti devait adopter une telle résolution, samedi, à sa conférence à Mayence.

Le syndicat de la police a exigé que les politiciens montrent « plus de courage dans l'application des règlements d'expulsion existants», et le ministre de la Justice Maas a donné l'assurance que les demandeurs d'asile peuvent être expulsés après avoir fait l’objet d’une peine de prison d’un an.

Les événements de Cologne sont le prétexte et non la raison de l'appel à plus de pouvoirs pour l'Etat. Des organes de presse clés comme Die Zeit ont longtemps prôné un « Etat fort ». Ceci est aussi inextricablement lié au retour de l'Allemagne au militarisme et à une politique étrangère agressive. Les opérations de guerre en Afghanistan, en Syrie et au Mali, ainsi que la montée de l’inégalité sociale, provoquent une résistance croissante. C’est elle que visent des pouvoirs d’Etat renforcés.

Malgré une propagande intensive il n’a pas encore été possible de briser l'opposition profonde de larges couches de la population à la guerre ni la sympathie populaire pour les réfugiés. On exploite à présent la question de la violence contre les femmes pour atteindre cet objectif.

(Article paru en anglais le 9 janvier 2016)

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