General Motors a annoncé mercredi dernier des profits records avant impôts de 11 milliards $ pour l'année 2015. Le géant de l'auto basé à Detroit, le troisième plus gros constructeur automobile au monde, a engrangé 6,3 milliards $ de profits pour le quatrième trimestre seulement, excédant les prévisions de Wall Street.
Une fois de plus, GM a enregistré le gros de ses revenus dans ses opérations manufacturières en Amérique du Nord où depuis des décennies la société cherche à réduire les coûts, avec l'appui total de l'United Auto Workers (UAW, syndicat des Travailleurs unis de l'automobile), et surtout depuis 2009, lors de la restructuration de l'entreprise par l'administration Obama.
GM a eu une marge bénéficiaire de 10,3% en Amérique du Nord, atteignant son objectif de 10% un an plus tôt que prévu et dépassant les marges obtenues à ses entreprises associées en Chine. Ces résultats ont pu être accomplis grâce à l'exploitation des travailleurs qu'a imposée l'UAW, incluant l'augmentation incessante de la cadence de travail, des heures supplémentaires obligatoires et des salaires de misère pour une nouvelle génération de travailleurs qui ne peut pas se payer les voitures qu'elle construit. La journée même où GM annonçait ses profits, un travailleur qualifié a fait une chute mortelle à une usine GM dans la ville de Defiance en Ohio.
La crise économique mondiale a entraîné une baisse des profits pour GM en Chine et d'importantes pertes en Amérique du Sud et en Europe. Le constructeur automobile ferme des usines et supprime les emplois de milliers de travailleurs de production et de cols blancs au Brésil et en Allemagne. En Russie, GM met fin à ses opérations manufacturières.
Les ventes records de voitures aux États-Unis sont dues à la remontée de la demande qui avait été limitée après le krach de 2008, à la chute du prix de l'essence et aux faibles taux de prêts-auto. Cette situation a fait gonfler les revenus de GM, surtout du côté du marché très profitable des camionnettes et des VUS. Les gros investisseurs prévoient cependant la fin de ce boom des ventes de voitures en 2016 et la baisse des marges bénéficiaires. Cela a entraîné une liquidation des titres de GM mercredi, faisant diminuer sa valeur de 2,5%. Durant la dernière année, les actions de GM ont perdu 13% de leur valeur.
«Nous comprenons que nous sommes dans un domaine d'activité cyclique et qu'il est très difficile pour quiconque de prévoir une baisse», a dit le PDG Mary Barra à des investisseurs lors d'une téléconférence mercredi, «mais nous allons maximiser les gains tout au long du cycle». Elle a affirmé que GM prévoyait réduire ses coûts d'exploitation de 5,5 milliards $ d'ici 2018 et offrir 16 milliards $ en dividendes et rachats d'actions durant cette période.
La restructuration de GM par le gouvernement en 2009 et l'assaut continu, appuyé par l'UAW, sur les emplois, les salaires, les régimes de santé et de retraite des travailleurs de l'auto avaient pour but d'assurer une entrée constante d'argent pour les gros investisseurs dans quasiment n'importe quelles conditions du marché. Une grande part du revenu des travailleurs est basée sur le «partage des profits» et peut être réduite considérablement lors d'un ralentissement économique. L'UAW laisse aussi à l'entreprise la liberté de supprimer des emplois et fermer des usines selon les «conditions du marché».
L'automne dernier, l'UAW a forcé l'acceptation, malgré une opposition de masse, d'une nouvelle convention collective de quatre ans aux 49.600 travailleurs à taux horaire de GM aux États-Unis. Ce contrat, comme les ententes similaires chez Fiat Chrysler et Ford, maintient les deux échelles de salaires et d'avantages sociaux, multiplie la possibilité d'embauche de travailleurs temporaires à bas salaire, impose une franchise aux travailleurs plus âgés qui reçoivent des prestations du régime de santé et garde l'augmentation totale des coûts de main-d'oeuvre en dessous du taux d'inflation.
Pendant que la société offre des milliards à ses plus riches investisseurs, les résidents de Flint au Michigan – la ville d'origine de GM – sont empoisonnés au plomb, en grande partie à cause des toxines déversées dans la rivière Flint par le constructeur durant des décennies. Tandis que les représentants municipaux et de l'État faisaient fi des résidents qui se plaignaient du goût, de la couleur et de l'odeur de l'eau, GM a discrètement cessé de s'approvisionner à l'eau de la rivière à son usine de moteur en décembre 2014, en raison de l'effet corrosif de l'eau. Les fontaines et les machines à glace dont se servaient les employés de l'entreprise ont cependant continué d'utiliser l'eau empoisonnée.
Flint a besoin d'une mobilisation massive de ressources pour réagir aux dommages irréversibles qu'ont subis les enfants et d'autres résidents, mais les 80 millions $ qu'a promis Obama pour Flint équivalent à moins de trois jours de profits de GM l'an dernier.
Les profits records de GM viennent s'ajouter à des annonces similaires qui ont été faites par Ford et Fiat Chrysler (FCA) la semaine dernière. FCA a fait état d'un profit de 410 millions $ pour 2015, une baisse par rapport à 2014 en raison d'un plus grand nombre de rappels et des coûts d'investissement plus élevés.
Lors d'une téléconférence, le PDG de FCA Sergio Marchionne a dit aux investisseurs que la société mettrait fin à sa production de modèles plus petits et moins profitables, la Dodge Dart et la Chrysler 200, pour se concentrer sur les véhicules plus gros. Marchionne a affirmé que FCA pourrait «s'associer» avec d'autres constructeurs automobiles pour continuer à vendre de plus petits modèles. Dans les nouvelles conventions collectives, l'UAW a approuvé la délocalisation de la production des petites voitures à des usines à plus bas salaire au Mexique et a promis de rouvrir les conventions locales et d'imposer des accords «concurrentiels» pour maintenir la production de plus petites voitures aux États-Unis.
Les énormes profits chez GM sont l'expression du complot entre l'entreprise, le gouvernement et les syndicats contre la classe ouvrière, et de la domination de l'aristocratie financière sur presque tous les aspects de la vie aux États-Unis.
En 2009, l'administration Obama a essentiellement offert GM et Chrysler aux spécialistes du «redressement» de Wall Street. L'an dernier, le gestionnaire de fonds spéculatif Harry Wilson, ancien membre de l'«Auto Task Force» d'Obama, a fait pression pour que GM accorde 5,7 milliards $ aux actionnaires, y compris 3,5 milliards $ en rachats d'actions et 2,2 milliards $ de dividendes. GM dit maintenant aux investisseurs qu'il va étendre un programme de rachats d'actions de 5 à 9 milliards $ d'ici fin 2017. L'UAW, qui est détenteur du plus grand bloc d'actions de GM, a salué la mesure.
Pendant que ces parasites de la finance engrangent de vastes fortunes, l'entreprise crée la désolation dans son sillage: non seulement pour les travailleurs de l'auto et leur famille, mais aussi pour des centaines de clients qui ont été tués ou blessés en raison d'interrupteurs d'allumage défectueux.
Au cours de la restructuration de 2009, l'administration Obama a essentiellement immunisé la société et ses plus riches actionnaires contre les conséquences des décisions criminelles prises par la direction. Le département du Trésor a scindé l'entreprise en deux entités: un «vieux» GM, responsable du gros des dettes encourues par les poursuites au sujet de pièces défectueuses ou de la pollution causée par les usines de GM, et un «nouveau» GM, qui serait en mesure de faire parvenir les profits aux gros investisseurs en minimisant les déductions.
L'an dernier, l'administration Obama a donné une tape sur les doigts à GM en lui imposant une amende de 900 millions $ pour le scandale des interrupteurs d'allumage défectueux et aucun haut dirigeant impliqué dans la dissimulation de l'affaire n'a été poursuivi en justice.
Les luttes de masse des travailleurs de l'auto, y compris les grèves d'occupation à Flint dans les années 1930 qui ont mené à l'établissement de l'UAW, ont entraîné une importante hausse des conditions de vie des travailleurs et, en 1960, Flint avait l'un des revenus par personne les plus élevés aux États-Unis. La transformation de la «Ville du véhicule» en l'une des villes les plus pauvres du pays est le résultat des trahisons commises par l'UAW, qui, depuis la fin des années 1970, a étouffé toute résistance des travailleurs aux fermetures d'usines, licenciements et baisses de salaire au nom de la «compétitivité» et de la profitabilité des constructeurs automobiles américains.
(Article paru d'abord en anglais le 4 février 2016)