Le projet de loi sur la réforme du droit du travail divulgué la semaine dernière dans les médias en avance de sa présentation officielle par le gouvernement PS de François Hollande le 9 mars est une attaque fondamentale contre les droits sociaux des travailleurs. Alors que la France vit sous l'état d'urgence, le projet de loi donne au patronat un instrument de dictature économique sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.
Elaboré sous la responsabilité de la ministre du Travail PS Myriam El Khomri, il doit être débattu au parlement au mois d’avril. Cette réforme, dont l'objectif déclaré est de garantir et développer la compétitivité des entreprises opérant en France, entérine la préparation par le PS d'une véritable contre-révolution sociale en France.
Le Code du Travail doit être remplacé par des accords d’entreprise négociés avec les syndicats qui deviendront « le principe de droit commun ». Ceux-ci prévaudront tant contre les droits individuels des travailleurs que contre les accords de branche.
Autre mesure phare, la montée et la flexibilisation à outrance du temps de travail. Les 35 heures officielles mises en place par le gouvernement Jospin en 1999 sont abolies. Le temps de travail maximal passe de 44 heures hebdomadaires et 10 heures par jour à 48 (et même soixante heures dans certains cas) et 12 heures par jour.
Le nouveau maximum peut être imposé sur des semaines. Associé au CDD, cette mesure permet à l’employeur de faire travailler un salarié 48 heures par semaine pendant de nombreux mois, puis de s’en débarrasser. L'entreprise pourra réduire ses temps de repos selon ses besoins. Cette mesure ne se limite pas aux entreprises en difficulté mais s’applique aussi à celles désirant « améliorer leur compétitivité ».
Le paiement des heures supplémentaires est fixé au taux de 10 pour cent, au lieu de 25 pour cent pour les premières huit heures supplémentaires.
Les entreprises pourront organiser des « referendums » pour « débloquer les situations difficiles ». Un syndicat éventuellement minoritaire aura la charge d’organiser un référendum dont le résultat sera contraignant pour tous. Ceci permettra aux patrons d'établir un chantage aux emplois permanent, en menaçant de fermer les sites qui refusent les conditions qu'ils proposent.
Un autre aspect majeur est que les licenciements économiques (collectifs), relativement contrôlés juridiquement, seront énormément facilités et même encouragés. Les entreprises pourront effectuer des licenciements économiques sur la base de « tout élément de nature à justifier [leurs] difficultés ».
Les cas où elles pourront licencier sans opposition juridique des salariés ou même de contrôle juridique tout court incluront toutes sortes de vagues motifs, de la « mutation technologique » à « la réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité ». Les licenciements seraient ainsi justifiés en cas de simple baisse des bénéfices.
Une entreprise transnationale n’aurait plus à démontrer qu’elle doit licencier à cause de sa situation globale, mais sur le seul plan national. Un grand groupe peut alors facilement organiser une « situation difficile » pour une filiale en France et licencier sur cette base.
Une avocate spécialisée dans le droit du travail, Judith Krivine, citée par l’Express, dit: « C'est une catastrophe pour les salariés, une façon d'augmenter considérablement les licenciements pour motif économique ».
Si l’entreprise devait encore payer des indemnités ordonnées par un tribunal des prud’hommes, le projet de loi enlève ces indemnités à l’appréciation du juge ; elles deviennent fixes et calculables à l’avance. Europe1 écrit, « Ce qui fait dire à certains que les sociétés les moins scrupuleuses vont pouvoir rationaliser leurs comportements illégaux. »
Plus sinistres encore sont les accords, cyniquement appelés « de développement de l’emploi », pour augmenter le temps de travail et réduire la paye des salariés afin de « partir à la conquête de nouveaux marchés ». Ils peuvent s’étendre sur deux ans.
Même une entreprise rentable pourra, ce qu’interdit le Code du travail actuel, payer ses salariés moins et les faire travailler plus pour décrocher un nouveau contrat. Un salarié qui refuserait alors la modification de son contrat de travail pourrait être licencié non pas pour motif économique mais pour ‘cause réelle et sérieuse’, c'est-à-dire en perdant ses indemnités.
La préparation d'un pareil projet de loi est un signe que le patronat français prépare des attaques sociales sans précédent contre les travailleurs. Alors que les marchés financiers dévissent et qu'une nouvelle crise mondiale se dessine, le Medef, l'Etat, et les appareils syndicaux prévoient des réductions de salaire et des licenciements de masse.
C'est cette crise socio-économique qui explique la surenchère sécuritaire et l'état d'urgence par lesquels la bourgeoisie a réagi aux attentats du 13 novembre. Miné par ses dettes et par son manque de compétitivité, la capitalisme français compte imposer des mesures sans légitimité démocratique aucune, même dans le contexte biaisé du « dialogue social » actuel entre le patronat et des bureaucraties syndicales aux ordres.
Hollande prépare donc d'un côté l'état d'urgence pour étrangler l'opposition sociale, et de l'autre le sabotage du Code du travail pour dynamiter ce qui reste des protections sociales en France.
Quand cette réforme était en préparation l'automne dernier, la presse la comparait aux lois Hartz IV en Allemagne, qui ont dopé la compétitivité allemande au prix d'une cure d'austérité énorme, ou à l'Administration Reagan qui a brisé le syndicat PATCO aux USA en 1981. En isolant cette grève des aiguilleurs du ciel, les syndicats américains avaient franchi un pas décisif dans leur transformation en appareils corporatistes qui imposent les attaques de la bourgeoisie aux ouvriers.
Cette action menée par un gouvernement PS, élu avec le soutien des syndicats et de leurs soutiens politiques, tels le PCF et le NPA, souligne le vide béant qui existe actuellement à gauche en France. Les partis prétendument de « gauche » sont en fait violemment hostiles aux intérêts des travailleurs, et conscients de leur évolution très loin à droite. Ils veulent imposer des mesures interdites par le Code du travail, auquel ils veulent substituer l'arbitraire de l'aristocratie financière et des marchés spéculatifs.
« Bienvenue à droite, Myriam El Khomri », écrivait le 18 février sur Twitter, un conseiller régional Les Républicains (LR) Pierre-Yves Bournazel.
Le numéro un du Medef, Pierre Gattaz, a dit que le projet allait « dans le bon sens » et a appelé le gouvernement à « aller jusqu’au bout » pour « déverrouiller » le marché du travail.
Les syndicats français ont poussé les hauts cris dès la révélation des nouvelles mesures, mais l’indignation subite de la CFDT, de la CGT et de FO est tout, sauf crédible. Il est clair que le gouvernement n’a pas élaboré ces mesures sans les avoir discutées en détail avec eux.
La CFDT, qui se plaint aujourd'hui que la réforme fait « la part trop belle à une vision un peu dogmatique de la flexibilité », déclarait à l'automne que la réforme allait « assurer une meilleure clarté du droit du travail pour les salariés et renforcer le dialogue social. »
La collaboration des syndicats est prévue par la réforme dans tous les types d’accords d’entreprise. Patronat et gouvernement ont manifestement entière confiance qu’ils pourront se mettre d’accord avec eux pour imposer ces attaques.
(Voir aussi : La France prépare une refonte drastique du Code du travail )