Les informations qui nous arrivent depuis le début de la semaine sont difficiles à supporter. Les articles qui font état d’attaques racistes contre un bus de réfugiés arrivant dans la commune de Clausnitz en Saxe, dans l’Est de l’Allemagne, provoquent l’écœurement. Mais pires encore sont le cynisme et l’hypocrisie des politiciens et des commentateurs.
Le porte-parole du gouvernement Steffen Seifert a déclaré lundi matin que le gouvernement allemand condamnait sans équivoque les protestations xénophobes contre les foyers de réfugiés. Ce qui s’est passé à Clausnitz était « profondément honteux », a-t-il dit. Prenant la pose de l’homme indigné, le porte-parole de Merkel a dit: « A quel point faut-il être insensible et lâche pour s’attrouper devant un bus rempli de réfugiés et brailler et insulter les gens qui s’y trouvent, dont beaucoup de femmes et d’enfants, pour leur faire peur. »
Cette indignation feinte est révoltante. Les attaques racistes survenues à Clausnitz et dans plusieurs autres villes et communes d’Allemagne sont le produit direct de la politique xénophobe pratiquée par le gouvernement fédéral.
On pourrait demander à Seibert en retour: « A quel point un gouvernement doit-il être brutal, indifférent et malhonnête pour prétendre être solidaire des gens dans le besoin et les traiter ‘avec décence et compassion’ et en même temps limiter le droit fondamental à l’asile, supprimer le regroupement familial, fermer hermétiquement les frontières extérieures de l’UE et déployer dans la Mer Egée les navires de guerre de l’OTAN pour repousser les embarcations des réfugiés? »
Que s’était-il passé à Clausnitz?
Le 18 février au soir, un groupe de manifestants d’extrême-droite en colère a tenté d’empêcher qu’une vingtaine de réfugiés ne rejoignent un foyer dans une commune de Saxe. Une horde d’extrémistes de droite a bloqué le bus en hurlant « Nous sommes le peuple! » Spiegel Online a montré les faits sur une vidéo d’amateur. Parmi les phrases entendues sur l’enregistrement il y avait : « Voyons quel genre de vermine va débarquer ici ! » « Débarrassons-nous de cette racaille ! » et « Canaille de réfugiés ! »
Dans le bus, il y avait des réfugiés intimidés et effrayés qui en raison des menaces proférées ne voulaient pas descendre. La vidéo montre alors comment un policier a brutalement obligé les réfugiés à descendre du bus. L’image d’un garçon en pleurs évacué violemment du bus par un policier a circulé sur Internet et soulevé une vague d’indignation.
Un reportage de la télévision régionale MDR a révélé que le directeur du foyer de réfugiés de Clausnitz, Thomas Hetze, était membre du parti xénophobe AfD (Alternative pour l’Allemagne) et qu’il avait à plusieurs reprises ouvertement et violemment critiqué la politique d’asile du gouvernement fédéral. Son frère serait l’un des organisateurs de cette action de protestation raciste.
Un deuxième incident eut lieu dans la ville de Bautzen où un incendie s’est déclaré dimanche soir dans un bâtiment destiné à accueillir des réfugiés. Selon les indications de la police, entre 20 et 30 personnes s’étaient rassemblées durant l’incendie. Un porte-parole de la police a dit que certaines avaient commenté l’incendie par des « propos dépréciatifs et en manifestant ouvertement leur joie. » Plusieurs personnes avaient essayé d’empêcher les pompiers d’éteindre le feu.
Le fait que les actions de la police à Clausnitz n’aient pas été dirigées contre les manifestants et nervis d’extrême droite mais contre les réfugiés a suscité de véhémentes protestations, notamment sur les forums de discussion en ligne. C’est pourquoi le chef de la police locale, Uwe Reißmann, a organisé le 20 février une conférence de presse où il a vivement rejeté toute critique de la police.
Reißmann a souligné que le recours « à la force directe » contre les réfugiés n’était pas seulement justifié mais encore « absolument nécessaire. » Il a accusé les réfugiés d’avoir aggravé la situation. Ils avaient pris des vidéos de l’intérieur du bus et provoqué la foule par des gestes obscènes et c’est ce qui avait fait escalader massivement la situation, a-t-il dit.
Le syndicat de la police a lui aussi justifié l’opération. Le but avait été de conduire les réfugiés en toute sécurité au foyer, a dit le syndicat.
Dimanche, le ministre allemand de l’Intérieur Thomas de Maizière, CDU (Union chrétienne-démocrate) a lui aussi défendu la police. De Maizière, a lui-même été ministre de l’Intérieur de la Saxe de 1999 à 2005. Il a dit lors de l’émission d’information de la télévision publique ARD « Informations berlinoises » que la police « à [son] avis a agi correctement en évacuant les gens du bus. Ils ont été mis en sécurité au foyer. Je ne comprends pas les critiques contre cette opération de police. »
Les événements de Clausnitz sont le produit direct d’une politique xénophobe et droitière. La CSU (Union chrétienne-sociale), qui fait partie du gouvernement fédéral, réclame depuis des mois qu’on traite les réfugiés de façon plus agressive. Elle a réclamé une limitation du nombre de réfugiés autorisés à entrer dans le pays et une fermeture de fait des frontières. Le ministre-président de Saxe, Stanislaw Tillich (CDU) soutient ce cours droitier. « On ne doit pas autoriser plus longtemps des arrivées incontrôlées, » avait-il dit l’an dernier au congrès régional du parti. Il fallait déporter plus rapidement les demandeurs d’asile ayant commis des délits.
La chancelière Angela Merkel est bien contre une fermeture des frontières par chaque nation individuellement mais elle est aussi pour une réduction drastique des réfugiés et pour des déportations accélérées. Elle bénéficie en cela de l’appui du Parti social-démocrate, des Verts et de Die Linke (La Gauche). On ne parle quasiment jamais plus des étrangers sans y associer le mot « criminel » et tous les partis réclament l’accélération du processus de déportation des étrangers auteurs de délits.
A la mi-janvier, Sahra Wagenknecht, la présidente du groupe parlementaire de Die Linke a rejoint la campagne de propagande contre les réfugiés et s’est associée à l’appel à un Etat fort en disant: « Celui qui abuse du droit à l’hospitalité a perdu le droit d’être un invité. » Il est important de noter que Wagenknecht fut immédiatement félicitée par l’AfD pour ses remarques. « Madame Wagenknecht a parfaitement résumé la situation, » a dit Alexander Gauland, le vice-président du parti d’extrême droite.
Pour les Verts, Boris Palmer, le maire de Tübingen a réclamé un cours beaucoup plus dur pour les réfugiés. Dans une interview au Spiegel il a dit « l’époque de la politique à la Pippi longues-chaussettes ou Ferme des poneys » est révolue. Il fallait rétablir des contrôles frontaliers efficaces et élever des barrières aux frontières partout où c’était nécessaire.
Cette coalition tous partis contre les réfugiés apporte de l’eau au moulin de l’extrême-droite. Elle renforce les partis d’extrême-droite tels l’AfD et Pegida et crée le genre d’atmosphère de pogrome qu’on a pu voir dernièrement à Clausnitz et Bautzen.
(Article original paru le 24 février 2016)