Le conflit au sein du gouvernement américain et de l’appareil de renseignement sur les allégations d’intervention russe dans l’élection américaine s’est intensifié lundi avec l’intervention directe de la Maison Blanche et de la campagne électorale de Clinton.
Depuis que la Maison Blanche a annoncé vendredi avoir commandé une enquête sur des allégations selon lesquelles la Russie aurait piraté les mails du Parti démocrate pour manipuler l’élection, les factions opposées de l’État ont pris des positions de plus en plus intransigeantes, liées à des conflits sur la politique étrangère du nouveau gouvernement Trump.
Lors d’une conférence de presse lundi, le porte-parole de la Maison Blanche Josh Earnest a déclaré que la campagne de Trump avait été stimulée par l’intervention du gouvernement russe dans l’élection. « Vous n’aviez pas besoin d’une autorisation de sécurité pour comprendre qui a bénéficié de la cyber-activité malveillante russe », a-t-il déclaré.
Au sujet de Trump, Earnest a ajouté : « Il a fait appel à la Russie pour pirater Clinton. Donc, il avait certainement une bonne idée d’à qui cette cyber-activité allait bénéficier. »
Le président de campagne de Hillary Clinton, John Podesta, a également annoncé lundi son soutien à une demande de dix membres majoritairement démocrates du Collège électoral pour une séance d’information par la CIA sur les affirmations concernant une intervention russe dans l’élection.
« Nous savons maintenant que la CIA a établi que l’ingérence de la Russie dans nos élections était dans le but de faire élire Donald Trump », a déclaré Podesta. « Les Grands électeurs ont une responsabilité solennelle en vertu de la Constitution et nous appuyons leurs efforts pour que leurs questions soient traitées. »
Le caractère frénétique de la campagne dirigée par le Parti démocrate, accusant le président russe Vladimir Poutine de manipuler les élections américaines et de présenter Trump comme son agent, a été résumé par la déclaration de l’ancien directeur intérimaire de la CIA, Michael Morell, qui a qualifié la supposée intervention russe de « l’équivalent politique du 11 septembre. »
Morell, ainsi que de nombreux anciens responsables du renseignement, s’opposa publiquement à Trump et appuya Clinton pendant la campagne électorale.
Trump a réagi à cette offensive renouvelée en réitérant son rejet des affirmations de la CIA concernant le piratage et l’intervention russes pour son compte. « Pouvez-vous imaginer », a-t-il demandé, « si les résultats des élections étaient le contraire et nous avions essayé de jouer la carte Russie / CIA ? On appellerait cela de la théorie du complot ! »
Les divisions au sein de l’État ne sont pas simplement le reflet des lignes de parti. Lundi, des membres républicains du Congrès de premier plan, dont les sénateurs Lindsey Graham et John McCain, ont rejoint les appels des démocrates pour une enquête bipartite sur le piratage présumé. McCain avait auparavant traité Poutine de « voyou, tyran et meurtrier ».
L’escalade du conflit interne est liée à deux développements au cours des derniers jours. Premièrement, il a été annoncé la semaine dernière que Trump allait probablement nommer Rex Tillerson, le PDG d’ExxonMobil, pour être son secrétaire d’État (ministre des Affaires étrangères). Cette nomination a été confirmée lundi soir par l’équipe de transition Trump et devrait être officiellement annoncée mardi matin.
Tillerson a été critiqué par certains républicains, dont McCain et Marco Rubio, le sénateur de Floride, et une flopée de démocrates pour ses relations amicales avec Poutine et ses relations d’affaires importantes avec Moscou. Un certain nombre de républicains, y compris McCain, ont suggéré qu’ils pourraient s’unir avec les démocrates pour bloquer sa confirmation au Sénat.
Les démocrates ne font pas d’objection à l’installation du dirigeant multimillionnaire d’un conglomérat pétrolier à la tête du Département d’État. Ils concentrent entièrement leur opposition sur les relations soi-disant trop étroites de Tillerson avec la Russie.
Le second développement est la déroute imminente des forces d’opposition syriennes soutenues par les États-Unis, qui sont sur le point d’être chassées de leur ancien bastion d’Alep par les forces gouvernementales syriennes soutenues par la Russie. La CIA, en particulier, a investi d’énormes ressources dans l’opération américaine de changement de régime contre le président syrien et l’allié russe Bachar al-Assad. Plusieurs personnes dans l’équipe de Trump, dont son conseiller à la Sécurité nationale, Michael Flynn, ont critiqué l’opération ratée de la CIA.
Dans un éditorial lundi, le New York Times a fait clairement apparaître les objectifs de la faction Clinton. « Hillary Clinton, la candidate démocrate, avait clairement indiqué que son gouvernement aurait redoublé d’efforts pour punir et isoler Moscou pour ses crimes de guerre dans la guerre civile en Syrie et son agression envers l’Ukraine et d’autres voisins », a écrit le journal. Il a cité favorablement les déclarations de Clinton au cours de la campagne qu’elle avait « croisé le fer avec Poutine » et « continuerait à le faire en tant que présidente ».
Tandis que les forces derrière Clinton ont concentré leurs menaces sur la Russie, Trump a indiqué un changement d’axe plus immédiat sur l’intensification de la pression militaire et économique sur la Chine. Plus tôt ce mois-ci, il a passé un appel téléphonique au président de Taïwan et a dit plus tard qu’il serait disposé à réviser la politique de One-China (une seule Chine) qui a été le fondement des relations sino-américaines pendant presque 40 années.
Dans leur campagne intensifiée contre Trump, les démocrates et les médias qui les soutiennent, notamment le New York Times, ne disent pratiquement rien sur le fait que Trump a perdu le vote populaire (par pas moins de trois millions de voix). Ils ne font pas un scandale non plus au sujet du cabinet ministériel d’ultra-droite qu’il met en place, composé de milliardaires, de patrons d’entreprises et d’anciens généraux.
Tout en répétant sans cesse des accusations non fondées de piratage russe, les démocrates ont largement laissé tomber toute référence à l’agence de l’État qui était, elle, clairement intervenue dans un effort pour faciliter l’élection de Trump – le FBI. Au lendemain de l’élection, la campagne de Clinton a cité l’intervention du directeur du FBI James Comey dans le scandale des courriels de Clinton comme un facteur important dans sa défaite. Cela est maintenant minimisé en faveur de la dénonciation de la Russie.
Quelles que soient les tentatives du gouvernement russe d’influencer le résultat des élections américaines, elles ont été éclipsées par les machinations systématiques et secrètes des agences de renseignement américaines telles que le FBI et celles du Parti démocrate. La documentation interne du Parti démocrate publiée par WikiLeaks, que la campagne de Clinton a cherché à étouffer en condamnant la Russie pour les fuites, a révélé un complot entre l’équipe de Clinton et l’establishment du Parti démocrate pour saboter la campagne des primaires de son concurrent Bernie Sanders. Les autres documents comprenaient des transcriptions des discours serviles et généreusement rémunérés de Clinton devant les banquiers de Wall Street.
Ce qui apparaît maintenant, ce sont les problèmes que les deux campagnes ont cherché à cacher au cours de l’élection de 2016 : les préparatifs de grande ampleur pour une escalade de guerre mondiale et les désaccords virulents sur l’orientation de la politique étrangère prédatrice de Washington.
Il n’y a pas une once de contenu démocratique dans les positions de l’une ou l’autre des factions de l’État et des appareils de renseignement. Il n’y a pas à choisir entre l’archi-réactionnaire Trump et la va-t-en-guerre confirmée Clinton. Quelle que soit la manière dont ces conflits se résoudront, le résultat en sera une escalade massive de la guerre à l’étranger et de l’attaque sur la classe ouvrière aux États-Unis. Les événements de ces derniers jours ont vivement fait ressortir la nécessité pour la classe ouvrière d’avancer sa propre solution politique, opposée aux deux partis et à l’élite dirigeante qu’ils défendent, face à l’aggravation de la crise.
(Article paru le 13 décembre 2016)