Malgré les nombreux autobus verts qui transportaient les derniers rebelles islamistes appuyés par les États-Unis en dehors de la ville d'Alep jeudi, le secrétaire d'État John Kerry a pris la parole lors d'une conférence de presse du département d'État afin de décrire la situation dans la ville du nord de la Syrie comme étant «impensable» et afin de dénoncer le gouvernement syrien du président Bachar Al-Assad pour ne perpétrer «rien de moins qu'un massacre».
Les dénonciations de Kerry, qui ciblent également les alliés de la Syrie que sont la Russie et l'Iran, expriment la colère et le désespoir grandissants de l'armée américaine et de l'appareil de renseignement concernant la débâcle de l'opération de changement de régime en Syrie qui dure depuis 5 ans. Avec l'expulsion des milices d'Al-Qaïda qui ont été armées et financées par la CIA, les soi-disant «rebelles» ont perdu leur dernier point d'appui dans une région urbaine importante et les chances que ces forces en sous-main puissent renverser Assad sont pratiquement disparues.
Kerry n'a pu faire plus que de demander la «cessation des hostilités» à Alep au moment même où un cessez-le-feu conclu entre la Russie et la Turquie – Washington n'a pas reçu de préavis officiel des rencontres et n'y a pas participé – semblait tenir jeudi tandis que l'évacuation des «rebelles» et des civils prenaient place dans l'ordre.
Kerry a haussé le ton: «La chute d'Alep, si elle survient, ne met pas un terme à la guerre. Elle va continuer.» Cette déclaration équivaut à une menace, dans des conditions où l'administration Obama a récemment émis une clause dérogatoire concernant la loi sur le contrôle des exportations d'armes américaines (US Arms Export Control Act) afin de permettre à la CIA d'acheminer plus d'armes à des «forces irrégulières» en Syrie. Même avec ces armes, cependant, il est difficile de voir comment les «rebelles» pourraient regagner du terrain.
L'hypocrisie des dénonciations américaines des méthodes brutales employées par le gouvernement syrien et ses alliés à l'est d'Alep est mise en lumière par le déroulement d'un autre siège, similaire dans sa sauvagerie, qui est dirigé par le Pentagone contre la population de Mossoul, une ville beaucoup plus grande qu'Alep et deuxième en importance de l'Irak. Environ 1,5 million de personnes vivent toujours dans cette région métropolitaine, qui a été abandonnée par l'armée irakienne aux mains de l'État islamique de l'Irak et de la Syrie (ÉI) en juin 2014.
Tandis que l'offensive appuyée par les États-Unis contre Mossoul dure depuis près de deux mois, les conditions pour les résidents de la ville deviennent de plus en plus désespérées et le nombre de civils tués continue d'augmenter.
Des reportages épars provenant des médias de la région fournissent un aperçu du carnage à Mossoul. L'agence de presse turque Anadolu a rapporté qu'une famille entière de neuf personnes a été massacrée mardi lorsqu'un missile envoyé par un drone américain a frappé une maison du quartier al-Falah de Mossoul. «Neuf membres de la famille ont été tués dans l'attaque», a dit un policier irakien à l'agence.
Le journal The New Arab (Al-Araby Al-Jadeed) a rapporté jeudi: «Au moins 40 civils ont été tués incluant des femmes et des enfants et des douzaines d'autres ont été blessés dans des frappes aériennes et des tirs d'artillerie dans l'est du bastion de Mossoul du groupe État islamique, ont rapporté des sources locales et médicales. Les civils ont été tués mercredi et plusieurs des blessés sont encore piégés sous les décombres...»
Tandis que des reportages similaires de souffrance humaine à Alep ont bénéficié d'une couverture sans arrêt dans les médias occidentaux au milieu des dénonciations officielles de la Syrie et de la Russie, les reportages des massacres à Mossoul sont en réalité censurés.
Plutôt, les reportages qui existent se concentrent sur les actes de terreur commis par I'ÉI contre la population locale. On décrit comment ils empêchent les civils de quitter leurs quartiers assiégés afin de les utiliser comme des «boucliers humains», des tactiques brutales employées de façon identique par les «rebelles» appuyés par l'Occident contre la population civile d'Alep, dont la situation désespérée serait, selon ces reportages, uniquement la faute du gouvernement syrien.
Lors d'une conférence de presse avec le secrétaire à la Défense des États-Unis, Ashton Carter, à la base aérienne de Qayara plus tôt cette semaine, le lieutenant général Stephen Townsend, qui est le principal commandant en Irak, a estimé que les forces appuyées par les États-Unis avaient «tué ou blessé sévèrement plus de 2000 combattants de l'ÉI depuis le début de l'offensive le 17 octobre.»
Aucune estimation n'a été fournie par rapport au nombre de civils qui ont été tués, mais, si on tient compte des tactiques qui sont employées, c'est-à-dire l'utilisation des unités de forces spéciales pour commander des frappes aériennes ainsi que des tirs d'artillerie et de chars d'assaut contres des maisons dans des quartiers urbains qui seraient occupés par les combattants de l'ÉI, il est inévitable que plus de civils meurent que de combattants.
Le Bureau onusien de la coordination des affaires humanitaires a rapporté que seulement dans la semaine qui s'est terminée le 11 décembre, 685 civils ont été blessés dans les affrontements. Ce chiffre est seulement une fraction du vrai nombre de morts et de blessés, étant donné que les victimes dans les régions contrôlées par l'ÉI ne sont pas comptabilisées par l'agence.
Les médecins et les infirmières dans la ville travaillent dans des conditions impossibles, sans accès à des médicaments, des pansements stériles et même de l'eau et de l'électricité, qui ont été coupées dans la majeure partie de la ville en raison des frappes aériennes.
Le gouvernement a rapporté que 100.000 personnes ont été déplacées par le siège, incluant au moins 35.000 enfants. Des préparatifs sont en cours pour qu'au moins 500.000 civils soient chassés de la ville.
Tandis que l'hiver s'installe, le mercure est passé sous le point de congélation dans des conditions où la population est laissée sans la capacité de chauffer ou d'éclairer leur maison. Ceux qui ont fui vivent dans des tentes. Les provisions de nourriture s'amenuisent et les prix explosent. Au bout du compte, l'assaut contre Mossoul pourrait faire plus de victimes par le froid, la faim et la maladie que par les bombes et les balles.
Malgré les conditions barbares qui ont été infligées par le siège, qui est appuyé par les États-Unis et d'autres puissances aériennes alliées ainsi que par une armée de 10.000 soldats des États-Unis, de l'OTAN et de sous-traitants de l'armée, personne en Occident ne parle de «crimes de guerre», sans parler d'appeler à un cessez-le-feu à Mossoul, comme ils le font à Alep.
Dans leur siège brutal contre une ville irakienne, les États-Unis et leurs alliés impérialistes défendent leurs intérêts et leur hégémonie, tandis qu'à Alep, ils font face à un retentissant recul dans leur tentative de défendre les mêmes intérêts par d'autres moyens, c'est-à-dire en utilisant des forces en sous-main qui sont des filiales d'Al-Qaïda armées par la CIA. C'est ce qui détermine le contraste frappant dans la réaction des médias à ces deux catastrophes humaines, qui se déroulent à moins de 500 kilomètres de distance.
Pendant ce temps, le groupe de surveillance basé à Londres, Airwars, estime à 2013 le nombre minimum de civils tués par les frappes aériennes américaines depuis que Washington a lancé son intervention en Irak et en Syrie à l'été 2014, mais le vrai nombre est probablement beaucoup plus élevé. Jusqu'à maintenant, le Pentagone a reconnu avoir tué 173 civils dans le cadre d'une campagne militaire comptant jusqu'à maintenant plus de 16.500 frappes aériennes.
(Article paru d'abord en anglais le 16 décembre 2016)