Dans un article d’opinion du New York Times de vendredi, Michael Morell, ancien haut fonctionnaire de la CIA, a publiquement approuvé la candidate démocrate à la présidentielle, Hillary Clinton. Dans l’article, Morell a stigmatisé l’adversaire républicain de Clinton, Donald Trump, comme un pion du président russe Vladimir Poutine.
Morell a pris sa retraite de la CIA en 2013 après une carrière de 33 ans, ayant passé deux décennies à des positions de haut niveau à Washington. Ses fonctions comprenaient la préparation du Briefing quotidien du président George W. Bush. Pendant trois ans, il fut directeur adjoint, gérant l’agence au jour le jour, et il a remplacé le directeur deux fois : pendant trois mois en 2011 et pendant quatre mois en 2012-2013.
Les crimes auxquels Morell est associé sont légion. Il était un haut responsable pendant toute la période des enlèvements de la CIA (les renditions) dont les victimes étaient ensuite détenues et torturées dans des prisons secrètes. Il a aidé à diriger la CIA quand l’agence effectuait des assassinats par missiles tirés depuis des drones et d’autres formes de terrorisme d’état secret. Tout au long de son mandat à Langley, en Virginie, la CIA a été engagée dans des crimes de guerre en Afghanistan, en Irak, en Libye, au Yémen, en Syrie et dans de nombreux autres pays.
Après le départ de Morell de l’agence, Obama le nomma au Groupe d’examen du Président sur le renseignement et les technologies de communication, qui a préparé le blanchiment de l’espionnage mené par l’Agence nationale de sécurité (NSA) suite aux révélations d’Edward Snowden. Il est ensuite passé tout naturellement à une position de commentateur médiatique bien payé pour CBS News, tout en se joignant à la campagne d’anciens responsables de la CIA pour bloquer la publication du rapport du Comité du renseignement du Sénat sur la torture pratiquée par la CIA.
Qu’un tel individu se prononce publiquement en faveur d’Hillary Clinton en dit long sur la nature de la campagne présidentielle démocrate et le type de gouvernement que Clinton dirigera si elle remporte l’élection en novembre.
L’article de Morell est titré : « J’ai géré la CIA. Maintenant, je soutiens Hillary Clinton ». En ce qui concerne le New York Times, le soutien à Clinton venant d’une organisation qui est identifiée de par le monde avec la torture et l’assassinat devrait être claironné. On peut en être fier, c’est un appui positif pour la candidate démocrate.
L’ancien responsable de la CIA déclare que Clinton est « hautement qualifiée pour être commandant en chef », il loue « sa croyance que l’Amérique est une nation exceptionnelle qui doit mener dans le monde », et fait remarquer que, dans les discussions internes sur l’intervention américaine dans la guerre civile syrienne, « elle était une fervente partisane d’une approche plus agressive ».
Morell dénonce Trump comme inapte à être président, en partie à cause de sa personnalité volatile et de son manque d’expérience de la sécurité nationale, mais surtout à cause de ses liens supposés avec la Russie.
Il écrit : « Le président Vladimir V. Poutine de la Russie était un agent de renseignement professionnel, formé pour identifier les vulnérabilités d’un individu et de les exploiter. Voilà exactement ce qu’il a fait au début des primaires. M. Poutine a joué sur les vulnérabilités de M. Trump en le félicitant. Il a réagi juste comme M. Poutine l’avait calculé…
« M. Trump a également pris des positions politiques compatibles avec les intérêts de la Russie, pas avec ceux des États-Unis, en approuvant l’espionnage russe contre les États-Unis, en soutenant l’annexion russe de la Crimée et en donnant le feu vert à une éventuelle invasion russe des pays baltes. Dans le domaine du renseignement, nous dirions que M. Poutine avait recruté M. Trump comme agent involontaire de la Fédération de Russie ».
Cette allégation extraordinaire alimente encore la campagne lancée par les experts pro-Clinton comme le chroniqueur du New York Times Paul Krugman, qui dépeignent Trump comme un « candidat sibérien » dont la campagne représente une intervention russe dans les élections américaines [par référence au roman de Richard Condon – The Manchurian Candidate, sorti en français sous le titre Un crime dans la tête, ndt].
La campagne de Clinton a adopté et promu ces calomnies dignes de McCarthy, en publiant une vidéo vendredi qui pose la question : « Quel est le lien entre Donald Trump et Vladimir Poutine ? » La vidéo, disponible sur YouTube, se compose d’extraits de personnalités de droite des médias, y compris Joe Scarborough, Charles Krauthammer et George Will, dénonçant Trump pour ses louanges de Poutine, entrecoupés de questions suggérant que Trump a des liens d’affaires secrets en Russie et serait financé par les oligarques russes.
Dans le style et le contenu politique, la vidéo rappelle les divagations de la John Birch Society, l’organisation anticommuniste des années 1950 et 1960 qui affirmait que des personnalités politiques américaines de premier plan, y compris le président Eisenhower, étaient des agents soviétiques.
Cela souligne le tournant radical vers la droite dans l’orientation politique du Parti démocrate. Il ne s'oppose pas à Trump à cause de son militarisme ou son mépris autoritaire pour les droits démocratiques. Au contraire, la campagne de Clinton se présente comme le parti fiable du complexe militaire, du renseignement et de l’establishment politique, faisant appel à des milliardaires, des militaires hauts gradés et aux agences de renseignement.
Sous la forme d'un affrontement entre Trump et Clinton, le système électoral américain a fourni aux travailleurs le « choix » entre un démagogue ouvertement fasciste et une représentante avouée du Pentagone, de la CIA et de l’establishment financier résolue au lancement de nouvelles guerres impérialistes.
Le barrage d’affirmations par les médias que Trump, par rapport aux politiciens américains « normaux » serait dérangé ne mérite que le mépris. Trump et Clinton sont les ennemis mortels de la classe ouvrière. Ils peuvent être opposés l’un à l’autre dans la campagne électorale, mais cela n’est pas un argument pour que les travailleurs y prennent parti. Au contraire, les travailleurs et les jeunes doivent tirer la conclusion que le système politique entier est profondément dysfonctionnel et doit être balayé.
Le Parti démocrate fait appel, non pas à l’opposition de masse et au dégoût envers Trump de la part des travailleurs, mais à l’opposition à Trump au sein de l’élite dirigeante américaine, dont la principale préoccupation est que des gestes amicaux du candidat républicain envers Poutine, son questionnement public de la valeur de l’OTAN, et ses réserves exprimées au sujet des guerres américaines au Moyen-Orient mettent un bâton dans les roues du consensus de la politique étrangère bipartite à Washington.
Cela pose d’immenses dangers pour la classe ouvrière. La logique de la campagne anti-Trump des démocrates est de canaliser l’opposition de masse contre Trump derrière les préparatifs de guerre avec la Russie, une puissance possédant des armes nucléaires. En cas de victoire démocrate – ce qui est de plus en plus probable selon les sondages de cette semaine – Clinton réclamera un mandat pour des politiques de guerre qui ne peuvent être réalisées que par un assaut frontal sur les niveaux de vie et les droits démocratiques des travailleurs américains. Cela démontre que les différends entre Clinton et Trump sont purement tactiques : la meilleure façon de subordonner la classe ouvrière à la marche vers la guerre de l’impérialisme américain.
Comme le World Socialist Web Site l’a déjà souligné, Trump n’a pas émergé des égouts de Manhattan ou d’un bar à bière de Munich. Il a émergé du cercle de nantis corrompus des spéculateurs de l’immobilier à New York, où il entretenait les liens les plus étroits avec la machine du Parti démocrate. Il a été façonné et promu depuis des décennies par les médias de la grande entreprise et l’establishment politique. Lui et les Clinton sont de vieux amis : il les a invités à l’un de ses mariages ; ils lui ont demandé son argent pour leurs campagnes politiques et leurs organismes de bienfaisance de façade.
Si Trump est soudainement stigmatisé comme un monstre qui doit être écarté de la Maison-Blanche, c’est seulement parce que l’aristocratie financière américaine et l’appareil de renseignement militaire ont un autre monstre à l’esprit, celui qu’ils considèrent comme plus fiable : Hillary Clinton. Elle est le monstre qui est fidèle à ligne du parti – à savoir sur l’Ukraine, la Russie, l’OTAN et le « pivot vers l’Asie » anti-chinois. Elle connaît les bons généraux à saluer et les milliardaires à flatter. Elle est une personne « digne de confiance », ce qui signifie qu’on peut lui faire confiance pour cibler les bonnes personnes à tuer.
Tel est le sens de l’approbation de Clinton par Michael Morell de la CIA et, plus généralement, de la vague de soutien pour sa campagne de la part des milliardaires, des républicains, des généraux et des médias.
(Article paru en anglais le 6 août 2016)