Un attentat-suicide commis samedi dans la ville de Kayseri, au centre de la Turquie, a tué 15 soldats et blessés 54 autres, dont des civils. Douze des blessés sont en soins intensifs, dont trois en état critique.
Personne n’a revendiqué la responsabilité de l’attentat, qui visait un autobus transportant des civils et des militaires en permission. Cependant, il est largement attribué aux Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK), un rejeton du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) nationaliste.
Il y a une semaine, le 10 décembre, les TAK avaient organisé des attentats jumelés à la bombe près d’un stade de football à Istanbul, tuant 44 personnes et en blessant 155. Les TAK ont revendiqué cette attaque, affirmant que c’était en représailles aux opérations turques dans les régions turques de Turquie et pour protester contre l’emprisonnement du dirigeant du PKK, Abdullah Ocalan, depuis 1999.
Après l’attaque de Kayseri, le président Recep Tayyip Erdo&;an a noté que les attaques terroristes en Turquie étaient liées aux guerres en Syrie et en Irak. « Nous combattrons résolument ces organisations terroristes dans un esprit de mobilisation nationale », a-t-il déclaré.
Le Premier ministre Binali Yildirim a déclaré : « Ces incidents ne peuvent pas affaiblir notre combat, mais cela augmente notre détermination ». Il a dit que les « forces étrangères » étaient impliquées dans ces attaques successives à la bombe.
Le chef du Parti populaire républicain (CHP), Kemal Kiliçdaroglu, a déclaré que les organisations terroristes seraient battues « si les gens se tiennent droits et fiers après l’attaque », tandis que Devlet Bahceli, chef du Parti du Mouvement nationaliste (MHP), a appelé à intensifier la lutte contre le terrorisme.
Le chef d’état-major général turc Hulusi Akar s’est joint à cela pour dire à l’agence de presse publique Anadolu : « L’armée turque est déterminée à combattre les terroristes jusqu’à ce que le dernier terroriste soit neutralisé ».
Le Parti démocrate populaire pro-kurde (HDP), le troisième plus grand parti au Parlement turc et principal objectif de la prétendue « guerre contre le terrorisme » du gouvernement turc, a également publié une déclaration dans laquelle il « condamnait fermement l’attaque ». Cependant, des attroupements de droite ont attaqué des bureaux de HDP dans des villes à travers la Turquie. Le gouvernement d’Erdo&;an, quant à lui, poursuit ses attaques contre les nationalistes kurdes.
L’ambassade des États-Unis, l’ambassadeur britannique en Turquie et les ministères des Affaires étrangères de l’Allemagne et de la France, ainsi que le ministre russe des Affaires étrangères, Serge Lavrov, ont condamné l’attaque.
Les attaques terroristes de Kayseri et d’Istanbul, la dernière d’une série d’attentats à la bombe en Turquie, ne servent qu’à désorienter les masses populaires et à renforcer les forces sociales les plus réactionnaires. Ces attaques terroristes successives sont enracinées avant tout dans les interventions impérialistes dirigées par les États-Unis au Moyen-Orient et les conséquences sanglantes de décennies de guerre en Irak et maintenant en Syrie – auxquelles le gouvernement turc participe aussi.
Washington et ses alliés européens et du Moyen-Orient se sont surtout appuyés sur une série de milices islamistes pour mener des attentats terroristes dans les premières phases du conflit, puis pour mener une longue guerre par procuration contre le gouvernement du président Bachar el-Assad.
La dépendance des puissances impérialistes à l’égard des milices nationalistes kurdes comme forces intermédiaires en Syrie a fait éclater la tentative d’Erdo&;an de développer un « processus de paix » avec le PKK et d’autres forces nationalistes kurdes.
Étant donné l’obscurité de l’organisation et son identité, la revendication par les TAK de l’attentat d’Istanbul résout à peine la question de savoir qui est derrière ces attaques. Le régime turc lui-même a dit que des forces plus larges étaient impliquées que simplement les nationalistes kurdes. Le vice-premier ministre turc, Numan Kurtulmus, a déclaré à la chaîne d’information privée NTV : « Derrière ces organisations terroristes se trouvent les différents soutiens de plusieurs pays ».
Il est bien sûr possible que ces attaques à la bombe aient été réalisés par des forces nationalistes kurdes. Elles ont été actives dans les combats en Syrie et contre la répression par l’armée turque des zones kurdes en Turquie, ainsi que contre son offensive dans le nord de la Syrie. À la fin du mois d’août, Ankara a lancé son opération « Bouclier de l’Euphrate » contre le Parti de l’Union démocratique kurde (PYD) et les unités de protection du peuple (YPG), la principale force mandatée par les États-Unis en Syrie.
Les groupes nationalistes kurdes sont potentiellement menacés par le développement des liens entre la Turquie et la Russie, ainsi que le gouvernement syrien, à la suite du coup d’État du 15 juillet contre Erdo&;an. Avec les forces soutenues par l’OTAN dans la région en retraite, les nationalistes kurdes pourraient se retrouver isolés et affronter une offensive conjointe de Moscou, Ankara et Damas.
« La Turquie et la Syrie seront toujours plus importantes pour la Russie que l’expérience kurde de l’auto-gouvernance à laquelle s’opposent Ankara et Damas », a affirmé la chaîne de télévision allemande Deutsche Welle.
Il est concevable que des groupes liés au PKK aient décidé de monter une telle attaque comme un avertissement à Erdo&;an de ne pas s’opposer aux nationalistes kurdes en alliance avec d’autres puissances régionales.
D’autre part, chaque attaque terroriste menée par les TAK ou le PKK a fait le jeu de l’élite dirigeante turque. Ces attaques pourraient mener à la proclamation de la loi martiale, renforcer l’emprise de l’armée et menacer implicitement le gouvernement du Parti de la Justice et du Développement (AKP) après le coup d’État soutenu par l’OTAN le 15 juillet, ou renforcer la volonté d’Erdo&;an d’établir sa propre dictature présidentielle.
Un jour après l’attentat à la bombe d’Istanbul il y a une semaine, Yildirim, Kilicdaroglu (le chef du CHP) et le leader du MHP, Bahceli, avaient atteint un « consensus sur une position commune sur la lutte contre le terrorisme ». Lors d’une conférence de presse conjointe qui a suivi la réunion, ils ont affirmé que la lutte contre le terrorisme était « une question au-dessus de la politique ».
Dans leurs déclarations initiales après l’attentat terroriste à Istanbul, Yildirim et Erdo&;an ont promis que les auteurs « paieraient un prix plus lourd ». Après avoir visité les blessés le 11 décembre, Erdo&;an a dit : « Notre peuple ne devrait pas douter que nous continuerons notre lutte contre le fléau de la terreur jusqu’à la fin. S’ils cherchent à nous faire peur par de telles attaques, ils doivent savoir que nous n’avons pas décliné à un tel point que nous laisserions la terre à cette racaille. »
Depuis février 2016, le PKK et le TAK ont revendiqué 11 attentats suicides et attaques à la voiture piégée, tuant 103 personnes et en blessant environ 800 autres. Le gouvernement de l’AKP a intensifié ses attaques contre le HDP, le troisième plus grand parti au Parlement turc, en s’appuyant sur la colère populaire croissante contre ces attaques.
En mai, le Parlement turc a levé l’immunité de 138 représentants, en grande partie des partis d’opposition. Dans un contexte d’escalade des attaques contre les médias d’opposition et le HDP, le TAK a revendiqué un attentat à la voiture piégée dans le centre d’Istanbul le 7 juin 2016, donnant un autre prétexte au gouvernement pour son élan dictatorial et militariste. Ainsi, immédiatement après l’attaque, Erdo&;an a approuvé la loi levant l’immunité de 138 législateurs, ouvrant la voie à des poursuites pénales contre eux.
Sur la base des commentaires d’Erdo&;an et Yildirim après les dernières attaques, les procureurs ont ordonné la détention de quelque 400 personnes, dont deux députés du HDP. Toutes les détentions étaient fondées sur des « liens avec, ou faire de la propagande pour, des organisations terroristes ».
Cela a suivi l’arrestation le 4 novembre de neuf législateurs du HDP, y compris les coprésidents Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdag. Depuis les dernières élections générales de novembre 2015, des milliers de politiciens kurdes, tant du HDP que de son parti frère, le Parti pour la paix et la démocratie (BDP), ont été arrêtés sur des accusations telles que « propagande terroriste et liens avec le PKK ».
Cette série d’attentats terroristes a également permis à l’élite dirigeante turque de promouvoir la propagande nationaliste et militariste turque justifiant ses opérations militaires dans les villes kurdes du pays. Le prix des opérations dites antiterroristes qui ont duré plusieurs mois, a été la destruction totale de villes kurdes, laissant plus de 1000 morts et forçant quelque 400 000 personnes à fuir leurs foyers.
(Article paru d’abord en anglais le 19 décembre 2016)