Dans un geste extraordinaire et sans précédent, le Federal Bureau of Investigation (FBI) a fait son entrée dans la campagne présidentielle de 2016, seulement 11 jours avant les élections, en envoyant une lettre au Congrès qui annonce de nouvelles «mesures d’enquête» liées à l’utilisation par Hillary Clinton d’un serveur privé pour ses courriels.
La lettre, qui fait trois paragraphes, envoyée par le chef du FBI, James Comey, à huit comités du Congrès vendredi est remarquablement vague. Elle mentionne qu’«en lien avec un dossier qui n’est pas relié, le FBI a appris l’existence de ces courriels qui semblent être pertinents pour l’enquête» du serveur privé de courriels de Clinton. Comey note lui-même qu’il avait auparavant dit au Congrès que l’enquête était «terminée».
Il déclare qu’il a accepté de «permettre aux enquêteurs de vérifier ces courriels afin de déterminer s’ils contiennent de l’information classée secrète et évaluer leur importance en lien avec notre enquête». Il reconnaît que le FBI «ne peut dire maintenant si, oui ou non, ce matériel est significatif».
La question évidente qui émerge est, pourquoi, étant donné le fait que le FBI ne sait même pas si ces courriels additionnels contiennent de l’information significative liée à l’affaire des courriels de Clinton, l’agence doit en faire une question publique, à quelques jours de l’élection. Des commentateurs dans les médias ont indiqué que la lettre viole une interdiction informelle, en place depuis longtemps, selon laquelle le FBI ne peut faire des annonces politiquement sensibles à moins de 60 jours des élections.
Suite aux reportages sur la lettre de Comey, les médias, citant des responsables anonymes liés à des agences policières fédérales, ont dit que les courriels en question ont été trouvés sur un ordinateur portable partagé par la conseillère de Clinton, Huma Abedin et son mari, l’ancien membre de la Chambre des représentants, Anthony Weiner.
Weiner fait l'objet d'une enquête du FBI parce qu’il aurait envoyé des messages textes sexuellement explicites à une mineure. Abedin a annoncé sa séparation de Weiner plus tôt cette année après que le dernier épisode impliquant Weiner et des activités en ligne sexuellement explicites soit devenu public.
La lettre de Comey a été louangée par Donald Trump et des représentants du Parti républicain comme étant l’équivalent d’une réouverture officielle de l’enquête du FBI et de la résiliation de la décision de Comey en juillet selon laquelle aucune accusation ne serait portée contre la candidate présidentielle du Parti démocrate.
Clinton a parlé brièvement à la presse vendredi soir. Elle a demandé que le FBI fournisse plus d’informations sur le contenu de ce qu’il vérifiait, incluant s’il y avait un lien avec son utilisation d’un serveur privé pour ses courriels. Elle a fait remarquer que plus de 15 millions de personnes ont déjà voté et que des millions de plus vont se rendre aux urnes cette semaine dans le cadre du vote par anticipation. En réponse aux questions, elle a indiqué que le FBI ne l’avait pas contactée et qu’elle a appris pour la première fois de l’existence de la lettre par les médias.
À ce stade, il est impossible de déterminer avec précision les motivations derrière la lettre de Comey et les forces politiques pour lesquelles il parle. Cependant, sa tentative de présenter cette lettre comme une réponse politique désintéressée à la découverte de nouvelles informations n’a aucune crédibilité.
L’intervention directe dans l’élection par la principale agence de police et de renseignement ne peut être que l’expression d’une crise et de tensions profondes au sein de la classe dirigeante américaine et de l’État. Toute l’élection a été dominée par la montée de la colère sociale et des sentiments anti-establishment, mais elle a culminé en un concours entre deux représentants de droite des 1 pour cent les plus riches qui sont méprisés par de vastes couches de l’électorat.
Elle a atteint les bas-fonds de la dégradation politique chez les deux candidats – le milliardaire fascisant Trump a tenté de canaliser le mécontentement populaire derrière les politiques les plus à droite, chauvines et racistes; la multimillionnaire Clinton s’est tournée vers des scandales sexuels et des attaques à la McCarthy contre Trump en le dénonçant comme un agent du président russe Vladimir Poutine afin d’étouffer les révélations accablantes de corruptions et de mensonge et d’amener l’opinion publique derrière une politique d’escalade militaire et de confrontation avec la Russie, qui a l’arme nucléaire.
Tout le processus électoral est entouré d’une aura de violence et d’un effondrement de la confiance du public envers le système politique. Il se déroule dans des conditions d'intensification de crise économique, de tensions internationales et de crise de l’impérialisme américain partout dans le monde: la débâcle en cours de la guerre de Washington pour un changement de régime en Syrie, des signes de chaos dans le «tournant vers l’Asie» anti-chinois, l’émergence de conflits ouverts avec les «alliés» impérialistes en Europe, particulièrement avec l’Allemagne.
La convergence de ces crises génère des conflits intenses au sein même de la classe dirigeante américaine sur les politiques à adopter. Et cela est amplifié par une vague montante d’opposition sociale aux États-Unis.
Que l’intention de la lettre de Comey ait été d’infliger un coup fatal à la candidature de Clinton, de consolider des majorités républicaines précaires au Sénat et à la Chambre des représentants ou d’envoyer un coup de semonce contre une future administration Clinton, tout cela montre clairement que la prochaine administration sera embourbée dans des crises dès sa première journée au pouvoir.
Un ancien responsable du département de la Justice a indiqué que Comey subissait une pression interne intense au sein du FBI sur sa déclaration précédente selon laquelle aucun procureur compétent ne porterait des accusations contre Clinton quant à son utilisation d’un serveur privé. Si cela est vrai, ça veut dire que des sections de l’agence de police fédérale sont en rébellion ouverte contre la candidate qui pourrait très prochainement devenir leur «commandante en chef».
L’intervention du FBI à la veille des élections de 2016 représente une accélération d’une tendance dans la politique américaine qui a émergé pour la première fois dans une série d’enquêtes menées par les républicains contre l’administration de Bill Clinton, qui avait abouti à sa destitution en 1998. Cela a été suivi par l’élection volée de 2000, lorsque la Cour suprême est intervenue par une majorité de 5 contre 4 pour arrêter le recomptage des voix en Floride dans le but de remettre la Maison-Blanche à George W. Bush, le perdant dans le vote populaire.
Le système bipartite aux États-Unis a toujours été un instrument de la classe dirigeante, dominé par la grande entreprise. La croissance sans précédent des inégalités sociales pendant les quatre dernières décennies a creusé le gouffre entre le système politique et la grande majorité de la population. De plus en plus, la vie politique officielle tourne autour d’intrigues de palais, dans laquelle les médias et l’appareil militaire et de renseignement jouent un rôle central. L’utilisation constante de scandales et de fuites calculées est maintenant la norme.
Une chose est sûre: aucune de ces attaques et contre-attaques entre les factions capitalistes rivales n’est liée à la défense des droits démocratiques et des intérêts sociaux des travailleurs. Pour le système capitaliste bipartite, le peuple américain n’est qu’un objet destiné à être manipulé par la démagogie et le scandale.
(Article paru d'abord en anglais le 29 octobre 2016)