L' AECG (Accord économique et commercial global, Comprehensive Economic and Trade Agreement – CETA) entre l’Union européenne (UE) et le Canada, qui devait être signé vendredi à Bruxelles, est en suspens et pourrait bientôt se désagréger après que deux des quatre gouvernements régionaux de la Belgique ont exigé des changements.
Le 14 octobre, le parlement régional de Wallonie francophone a voté contre l’octroi au gouvernement fédéral belge du droit d’approuver l’accord. Il a depuis été rejoint dans son rejet de l’AECG par la région de Bruxelles. La Wallonie s’est opposée à l’effet qu’aura l’accord sur son agriculture si elle devait se trouver en concurrence avec les importations en provenance du Canada, l’un des plus grands exportateurs agricoles du monde.
D’autres questions entrent en jeu cependant, y compris les frictions profondes entre les élites dirigeantes francophones et flamandes de la Belgique, et les préoccupations que l’AECG renforcera le pouvoir des entreprises transnationales au détriment de l’État-nation capitaliste.
Lundi, le Premier ministre belge Charles Michel a annoncé que son gouvernement ne pouvait pas signer l’accord. Cela faisait suite à des discussions de la dernière chance pendant le week-end, des responsables de l’UE essayaient d’amadouer les Belges pour qu’ils signent l’accord, tout en exhortant le Canada à ne pas abandonner prématurément ses efforts pour obtenir la ratification de l’AECG.
Vendredi dernier, la ministre du Commerce du Canada Chrystia Freeland a claqué la porte des négociations, déclarant que l’UE ne pouvait pas obtenir le soutien unanime requis de ses États membres. Avant de partir pour le Canada samedi après des entretiens avec le président du Parlement européen, Martin Schulz, Freeland a tempéré ses propos, disant que le Canada avait tout fait et que la balle était désormais dans le camp de l’Europe.
Jeudi, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a maintenu l’espoir que la cérémonie de signature puisse avoir lieu, et le Premier ministre canadien Justin Trudeau a dit qu’il se rendrait à Bruxelles aujourd’hui de toute façon. Cependant, au dernières nouvelles mercredi soir, les pourparlers entre les gouvernements régionaux belges et le gouvernement fédéral n’étaient pas parvenues à obtenir une approbation de l’AECG, bien que les parties aient apparemment convenu d’une formule en vertu de laquelle la Belgique ou l’une de ses régions pourraient signer l’accord avec des réserves les laissant libres de quitter l’AECG à tout moment.
L’AECG, comme l’accord de libre-échange qui se négocie entre l’UE et les États-Unis, est un plan réactionnaire pour stimuler les bénéfices des entreprises en éliminant les droits de douane et pour accorder des pouvoirs sans précédent aux sociétés d’intenter des procès contre les États qui mettent en œuvre des politiques contre leurs intérêts. Ces échanges et accords d’investissement iraient loin dans l’élimination du peu qui reste de la protection du travail, des garanties salariales, des réglementations environnementales et de la protection des consommateurs.
Que la transaction soit finalisée ou non, les conflits au sujet de l’AECG ont encore une fois révélé au grand jour l’état avancé de décomposition de l’UE.
Les principaux politiciens de l’UE considèrent intolérable l’impasse actuelle. Bernd Lange, le président social-démocrate de la Commission du commerce du Parlement européen, a déclaré à Spiegel Online que l’échec de la signature de l’AECG est « une étape supplémentaire dans la destruction de l’UE ».
Manfred Weber, président du groupe conservateur du Parti populaire européen au Parlement européen et proche allié de la chancelière allemande Angela Merkel, a appelé à limiter les pouvoirs des États nationaux sur le commerce extérieur, en déclarant mardi que le droit des parlements régionaux et nationaux pour bloquer de tels accords n’avait « rien à voir avec plus de démocratie ».
Leur préoccupation n’est pas seulement l’AECG, mais l’effet que le retard aura sur la capacité de l’UE à conclure des accords commerciaux plus importants avec les États-Unis (le Transatlantic Trade and Investment Partnership – TTIP, ou Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) et avec la Chine. La progression du TTIP apparaît déjà très douteuse, puisque les dirigeants politiques, y compris le président français François Hollande et le vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel, ont déclaré que les pourparlers ont échoué en raison de l’approfondissement de divisions transatlantiques.
Comme une série de documents officiels publiés depuis le vote pour le Brexit le montrent clairement, la France et surtout l’Allemagne sont déterminées à faire valoir plus agressivement leurs intérêts au moyen de l’UE, à la fois par la conclusion d’accords commerciaux et en procédant à une politique étrangère autonome de Washington. Merkel a dit que la question était de savoir comment « faire valoir nos intérêts économiques, sociaux, écologiques, de politique étrangère et de sécurité politique contre la concurrence mondiale ».
Ce programme fut résumé par Tusk au Parlement européen jeudi. Il a averti que la position mondiale de l’Europe serait endommagée si elle ne pouvait pas parvenir à un accord commercial avec le Canada, « le pays le plus européen à l’extérieur de l’Europe et un allié et ami proche ».
De même, le Spiegel Online Allemand a qualifié le blocus de l’AECG par la Wallonie de peut-être « la plus grande débâcle dans l’histoire de sa politique de commerce extérieur ».
Trudeau a fait des avertissements similaires plus tôt ce mois. Qualifiant faussement l’AECG de « progressiste », il a déclaré dans une conférence de presse conjointe avec le Premier ministre français Manuel Valls : « Dans cette situation post-Brexit un grand nombre de questions se posent sur l’utilité de l’Europe. Si l’Europe n’arrive pas à signer cet accord, alors cela envoie un message très clair et pas seulement à l’Europe, mais au monde entier ».
L’échec de l’AECG serait aussi un revers majeur pour l’élite dirigeante du Canada, qui désire fortement accroître ses liens économiques avec l’Europe et l’Asie. L’économie du Canada est parmi les plus dépendantes du commerce mondial, mais les deux principaux accords commerciaux voulu par Ottawa, l’AECG et le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) mené par les USA, sont en danger.
Les classes dirigeantes du monde entier se tournent vers des politiques protectionnistes et la bourgeoisie canadienne est également confrontée à la perspective d’une renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) après l’élection présidentielle américaine. Le républicain Donald Trump a ouvert la voie à des attaques contre l’ALENA et la démocrate Hillary Clinton a également exprimé des réserves à ce sujet.
L’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper a lancé les négociations sur l’AECG, dans l’espoir de faire de l’Europe un important marché d’exportation pour les produits agricoles canadiens et le pétrole. Cet objectif est devenu plus tangible avec les sanctions imposées à la Russie après le coup d’État de février 2014 en Ukraine soutenu par l’Occident et la montée de tensions géopolitiques explosives entre Moscou et l’OTAN.
Les libéraux de Trudeau ont approuvé l’AECG, en lui donnant une priorité plus importante, au moins publiquement, qu’au TPP. Après le vote du Brexit en juin dernier, des sections du grand patronat canadien ont fait valoir que la mise en œuvre de l’AECG était d’autant plus important puisque la Grande-Bretagne ne serait plus une passerelle fiable vers les marchés européens.
Quant aux cercles dirigeants britanniques, ils voient la crise de l’accord AECG avec une préoccupation croissante. Les partisans du Brexit avaient précédemment souligné l’accord commercial Canada-UE comme un modèle possible pour l’avenir des relations GB-UE, mais les négociations de l’AECG durent depuis sept ans et pourraient maintenant aboutir à un échec.
James Moore a écrit dans l’Independent sur les pièges potentiels dans les négociations commerciales de l’UE et de la Grande Bretagne : « Il se peut bien que les Espagnols décident de mettre des bâtons dans les roues à moins qu’il y ait un certain mouvement sur la question de Gibraltar. Vous pouvez difficilement blâmer les Polonais pour freiner des quatre fers étant donné la façon dont la Grande-Bretagne a traité les citoyens de ce pays qui vivent ici. Peut-être que les Français vont décider que c’est le moment d’un certain retour de bâton pour l’obstructionnisme britannique passé ».
Le Financial Times a fait remarquer mardi que l’augmentation de la pression des parlements nationaux pour avoir leur mot à dire sur les accords commerciaux signifiait qu’un pays comme la Grande-Bretagne essayant de conclure un accord avec l’UE serait « confronté à un défi très difficile ».
(Article paru en anglais le 27 octobre 2016)