Au moins soixante-deux soldats syriens sont morts et 100 ont été blessés samedi lorsque l'aviation américaine a bombardé une base sur la montagne Al-Tharda, près de Deir ez-Zor. Fait remarquable, le Commandement central américain n'a toujours pas présenté d'excuses, bien que ce bombardement ait permis à la milice Etat islamique (EI) d'attaquer la base et de la capturer peu après.
Ce massacre est un acte flagrant de guerre qui menace de faire dégénérer le conflit syrien en une guerre totale opposant l'OTAN à la Syrie et ses alliés, dont la Russie. Tout porte à croire que l'attaque, commise quelques jours après le début d'un cessez-le-feu américano-russe en Syrie ouvertement critiqué la semaine dernière par les généraux américains, a été délibérément commise par des factions du gouvernement américain hostiles à la trêve.
Le refus du Pentagone de présenter des excuses officielles est téméraire. Les troupes syriennes combattant l'opposition islamiste luttent à côté d'unités iraniennes, chinoises, et russes. Le Pentagone signale à ces pays, qui non seulement ont des forces puissantes en Syrie, mais, dans le cas de la Chine et de la Russie, possèdent leurs propres armes nucléaires, que leurs troupes peuvent à tout moment devenir des cibles des USA, car elles opèrent aux côtés des forces syriennes.
Les responsables syriens et russes ont dénoncé le bombardement, le qualifiant d'aide à l'EI ; Moscou a convoqué une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU pour exiger des explications. Le ministère syrien des Affaires étrangères a déclaré: «À 17h00, le 17 septembre, 2016, cinq avions américains ont lancé des frappes aériennes féroces sur les positions de l'armée syrienne sur la montagne al-Tharda dans les environs de l'Aéroport de Deir ez-Zor. L'attaque a duré une heure ».
Il a accusé Washington de complicité avec l'EI: « L'attaque lancée par les terroristes EI sur le même site, en prenant le contrôle d'elle ... met en évidence la coordination entre cette organisation terroriste et les Etats-Unis ».
Ce qui ressort des récits contradictoires du bombardement fournis par les factions de la machine militaire américaine est qu'on a préparé et exécuté le massacre de sang-froid.
Des hauts responsables américains anonymes ont déclaré que le gouvernement Obama avait exprimé ses regrets pour la « mort involontaire de forces syriennes » à Damas via Moscou. Cependant, le commandement central (Centcom), responsable des opérations du Pentagone au Moyen-Orient, a publié une déclaration de pure forme sans faire d'excuses à l'armée syrienne.
« La coalition a immédiatement mis fin à l'attaque aérienne lorsque des responsables russes ont fait savoir aux responsables de la coalition que les personnels et les véhicules ciblés faisaient partie de l'armée syrienne », a-t-il déclaré, ajoutant que « La Syrie est en une situation complexe avec de différentes forces militaires et milices à proximité les unes des autres, mais la coalition ne frapperait pas intentionnellement une unité militaire syrienne connue ... La coalition examinera cette attaque et les circonstances qui l'entourent pour voir si on peut en tirer des leçons ».
Ces affirmations américaines selon lesquelles les chasseurs américains ne savaient pas qui ils bombardaient ne sont pas crédibles, elles et sont carrément contredites par d'autres rapports.
Un responsable anonyme de Centcom a dit au New York Times que leurs avions de surveillance avaient suivi les unités syriennes « « endant plusieurs jours" avant le bombardement. « L'attaque a duré environ 20 minutes, pendant lesquelles les avions ont détruit des véhicules et abattu des dizaines de personnes en plein désert », a-t-il dit. « Peu après, un appel urgent est arrivé au centre de commandement militaire américain au Qatar ... C'était un responsable russe qui a dit que les avions américains bombardaient les troupes syriennes et qu'il fallait cesser d'attaquer immédiatement ».
Toutefois, l'aviation américaine a continué à bombarder la base pendant plusieurs minutes avant de mettre fin à l'attaque, selon le responsable de Centcom.
Cette attaque montre que Washington et ses alliés ne cherchent pas un cessez-le-feu, et la paix encore moins. Ils poursuivent la même stratégie en Syrie depuis 2011: le changement de régime, mené par des milices islamistes comme l'EI ou Al Nosra contre le régime du président syrien Bachar al-Assad. La dernière attaque montre que, même après que l'EI a monté des attaques terroristes en Europe et aux États-Unis, une collaboration existe encore entre les Etats-Unis et les forces de l'EI.
Après l'attaque de samedi, des responsables des groupes de réflexion américains sont rapidement montés au créneau pour tenter de limiter les dégats. Aaron David Miller du Wilson Center a averti le New York Times que les frappes aériennes « nourriraient les théories du complot selon lesquelles Washington est de mèche avec l'EI».
C'est de la propagande cynique. Les hauts fonctionnaires et journalistes américains ont soutenu les milices terroristes islamistes en Syrie en connaissance de cuase. Le journaliste du Times, C. J. Chivers a dédié une vidéo amicale de 2012 à la milice des Lions de Tawhid, qui faisaient exploser des camions piégés dans les villes syriennes. Des dizaines de milices d'opposition ont commis des atrocités à travers la Syrie, y compris l'EI, dont les opérations en Syrie n'ont commencé à être ciblées que l'année dernière, après qu'ils ont mené des attentats terroristes répétés en Europe.
Les factions dominantes à Washinton veulent la guerre ; la stratégie de Moscou de négocier de trêves avec les USA, et de soutenir Assad tout en acceptant les opérations américaines en Syrie, a échoué. Hostile envers le sentiment anti-guerre de la classes ouvrière, surtout aux Etats-Unis, le Kremlin cherche à faire face à aux ardeurs belliqueuses de Washington par le biais de pourparlers. Cette stratégie a échoué face l'opposition au cessez-le-feu de l'armée américaine.
Après la réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU convoquée par Moscou, l'ambassadeur russe à l'ONU, Vitaly Churkin, a chargé que l'attaque américaine était une tentative délibérée de faire dérailler le cessez-le-feu américano-russe, en montrant le timing « très suspect » de l'attaque.
« C'est tout à fait significatif et nullement accidentel, le fait que cela soit arrivé seulement deux jours avant que les arrangements russo-américains fussent censés entrer pleinement en vigueur," a-t-il dit. "Le début des travaux du Groupe conjoint de mise en œuvre était censé être le 19 septembre. Donc, si les États-Unis voulaient mener une attaque efficace sur Al Nusra ou l'EI, à Deir ez-Zor ou ailleurs, ils pourraient attendre deux jours et coordonner avec nos militaires et être sûr qu'ils frappent les bonnes personnes ... au lieu de cela ils ont choisi de mener cette opération téméraire ».
«Il faut conclure que la frappe aérienne a été menée afin de faire dérailler le fonctionnement du Groupe conjoint et effectivement de l'empêcher d'être démarré", a ajouté M. Churkin.
Cette évaluation a été reprise par la publication DEBKA File, étroitement liée au renseignement israélien : "Le Pentagone et l'armée américain ne suivent pas les ordres de leur commandant en chef Barack Obama dans l'exécution de l'accord de coopération militaire en Syrie conclu par le secrétaire d'Etat américain John Kerry et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov à Genève le 12 septembre ».
Les responsables militaires américains se seraient inquiétés que le cessez-le-feu permettrait à la Russie « d'étudier les méthodes et les tactiques des forces aériennes et de la marine américaines, dans des réelles conditions du champ de bataille». Le Pentagone s'y oppose donc : "Des sources de Washington rapportent que secrétaire à la Défense Carter soutient qu'il ne peut pas agir contre une loi adoptée par le Congrès. Il évoquait ainsi la loi qui interdit toute relation directe entre l'armée américaine et la russe suite à l'annexion de Moscou de la Crimée, en Ukraine ".
(Article paru en anglais le 19 septembre 2016)