Le samedi 4 septembre, Jeremy Corbyn a remporté une énorme victoire populaire dans sa réélection en tant que chef du Labour (Parti travailliste britannique). Son triomphe a été obtenu face à une chasse aux sorcières féroce par l’aile droite du parti, dont le refus du droit de vote à plus de 180 000 membres et sympathisants inscrits. Il a gagné grâce à la mobilisation politique des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes qui cherchent à régler les comptes avec les héritiers politiques de Tony Blair et Gordon Brown et à soutenir l’objectif déclaré de Corbyn de faire en sorte que le Labour s’engage contre l’austérité, le militarisme et la guerre.
Pourtant, seulement quatre jours plus tard, la victoire de Corbyn aurait très bien pu ne jamais avoir lieu. Il a prononcé le discours de clôture mercredi à une conférence du Labour au cours de laquelle ses adversaires l’ont emporté sur chaque question importante.
Plus révélateur encore, le secrétaire à la Défense dans le cabinet ministériel « fantôme » de Corbyn, Clive Lewis, a approuvé non seulement publiquement le renouvellement du système d’armes nucléaires Trident, mais a promis qu’un gouvernement travailliste allait « respecter nos engagements internationaux, y compris ceux de l’article 5 » de la constitution de l’OTAN. Cela engage le Royaume-Uni à venir en aide à tout membre de l’OTAN victime d’une attaque. Compte tenu de l’escalade des provocations américaines dirigées contre la Russie, impliquant l’Ukraine, la Pologne et les États baltes, c’est un engagement à mener une guerre nucléaire contre une puissance nucléaire.
Cela a permis au chef adjoint de Labour, Tom Watson, de fanfaronner que le parti « réaffirme notre engagement envers l’OTAN, un projet socialiste, comme notre porte-parole de la Défense, Clive Lewis, nous l’a rappelé hier, et d’essayer de convaincre nos collègues de l’UE de faire de même ».
Le ministre Labour fantôme des finances John McDonnell a présenté une politique économique fondée sur des mesures protectionnistes pour faire en sorte que l’industrie britannique soit compétitive au niveau mondial. Watson lui a fait des louanges pour avoir « habilement », expliqué que « le Labour est un parti socialiste de marché ».
Il a ajouté : « Je ne sais pas pourquoi nous avons mis l’accent depuis les six dernières années sur ce qui était erroné avec les gouvernements Blair et Brown […] Le capitalisme, camarades, n’est pas l’ennemi ».
Les heures qui ont précédé l’apparition finale de Corbyn ont été monopolisées par un ancien rival pour la direction du parti, Andy Burnham, qui exigeait que le parti s’oppose à la libre circulation des travailleurs en Europe et reconnaisse que les travailleurs « ont un problème » avec « la migration illimitée, non financée, de personnes non qualifiées qui portent atteinte à leurs propres niveau de vie ».
Après une telle prestation, toute nouvelle protestation de la part de Corbyn, tout refus d’approuver telle ou telle mesure, ne fait que souligner qu’il est un homme de paille à la rhétorique de gauche à la tête d’un parti de droite qui défends le militarisme et la guerre.
Corbyn a clairement souligné à quel point il cherche à employer la rhétorique de gauche pour dissimuler le vrai caractère du parti et d’empêcher la classe ouvrière de le délaisser. Son discours a été une fois de plus truffé d’appels à l’unité avec l’aile droite dans une « famille travailliste » reconstruite.
Il y eut encore plus révélateur : sa façon d’énumérer les préoccupations politiques qui l’interrogent. Le soutien qu’il a gagné, a-t-il expliqué, n’a pas été « un cas spécifique à la Grande-Bretagne ». Il a souligné qu’« à travers l’Europe, l’Amérique du Nord et ailleurs, les gens en ont marre du système du marché dit libre qui a produit une inégalité grotesque, la stagnation du niveau de vie pour la majorité, les guerres étrangères calamiteuses sans fin, et une arnaque politique qui laisse la grande majorité des gens exclus du pouvoir ».
Il a poursuivi : « Depuis le krach de 2008, la demande pour une alternative et une fin à l’austérité contre-productive a conduit à l’émergence de nouveaux mouvements et partis dans un pays après l’autre ».
Ce qu’il a accompli selon lui était de faire en sorte que « En Grande-Bretagne, cela s’est produit au cœur de la politique traditionnelle, dans le Labour, ce dont nous devrions être extrêmement fiers ».
En empêchant une rupture avec le Labour au moment d’une telle crise sévère du capitalisme britannique et mondial, Corbyn pouvait se vanter que « Nous nous réunissons cette année comme le plus grand parti politique en Europe occidentale, avec plus d’un demi-million de membres ».
Faisant un appel direct à ses adversaires, il a dit : « Certains peuvent voir cela comme une menace, Mais je le vois comme une vaste ressource démocratique ».
Il n’y a rien de démocratique dans tout cela. Corbyn dirige les aspirations sincères à la démocratie, à la fin de l’austérité et la guerre, ressenties par des millions de travailleurs derrière un parti qui, de son propre aveu, considère ses nouveaux membres comme une « menace », et il fait cela parce que c’est un parti de l’État et de l’oligarchie financière.
De plus, Corbyn veut canaliser cette volonté de changement derrière les politiques qui sont entièrement adaptés aux intérêts du capitalisme britannique. Son appel s’est adressé au besoin d’un investissement d’État pour mettre fin à la situation dans laquelle « la Grande-Bretagne est en retard sur la France, l’Allemagne, les États-Unis et la Chine » dans la recherche et le développement ainsi que sur la productivité. « Un gouvernement travailliste ne pourra jamais accepter une solution de pis-aller pour la Grande-Bretagne », a-t-il déclaré. « Nous allons également insister sur notre propre programme de Brexit », a-t-il ajouté « y compris la liberté d’intervenir dans la gestion de nos propres industries […] ».
La défense par Corbyn de l’emprise du Labour sur la classe ouvrière et son opposition continue à toute lutte contre l’aile droite confirme la justesse de la position politique prise par le Socialist Equality Party (Parti de l’égalité socialiste).
Dès le début du premier effort de Corbyn pour prendre la tête du Labour l’année dernière et à travers les tentatives de l’éliminer, le SEP (Parti de l’égalité socialiste) s’est opposé à tous les efforts déployés par des groupes tels que le Socialist Workers Party (Parti socialiste des travailleurs) et le Socialist Party (Parti socialiste) pour dépeindre un soutien à Corbyn comme un moyen de transformer le Labour. Pour ne citer que trois exemples, nous avons écrit :
« Cependant, ceux qui cherchent dans une victoire de Corbyn une alternative à l’austérité seront cruellement déçu. La vraie mesure de sa campagne doit être jugée non pas sur les intentions déclarées, mais sur le critère essentiel des intérêts de classe défendus par le parti et le programme qu’il défend. Le Labour est un parti bourgeois de droite. Il est complice de tous les crimes de l’impérialisme britannique et a fonctionné comme le principal adversaire politique du socialisme depuis plus d’un siècle […] » What does the “Jeremy Corbyn phenomenon” represent ? (15 août, 2015)
« Personne ne peut sérieusement suggérer que ce parti qui, dans sa politique, son organisation et la composition sociale de son appareil, est conservateur sauf de nom, puisse être transformé en instrument au service de la classe ouvrière dans la lutte des classes. Le Parti travailliste britannique n’a pas commencé avec Blair. C’est un parti bourgeois depuis plus d’un siècle et un instrument avéré de l’impérialisme britannique et de son appareil d’État. Qu’il soit dirigé par Clement Attlee, James Callaghan ou Jeremy Corbyn, son essence reste inchangée ». Les questions politiques soulevées par l’élection de Corbyn à la tête du Parti travailliste.
« Les travailleurs et les jeunes qui se sont ralliés à Corbyn dans l’espoir qu’ils puissent « récupérer » le Labour des blairistes ont été induits en erreur. C’est la clique de la classe moyenne supérieure qui constitue le PLP [les députés parlementaires du Labour], et qui n’a de compte à rendre qu’à l’appareil du renseignement et militaire de l’État qui détermine le caractère de classe du Labour, et non pas ses membres ». Lessons of Labour’s leadership contest (septembre 24, 2016)
Notre évaluation n’a pas été puisée dans une estimation des intentions subjectives de Corbyn. Nous nous sommes basés sur une compréhension issue de l’histoire de la nature du Labour et d’une situation du monde contemporain dans laquelle les exigences de l’élite dirigeante pour une exploitation toujours plus grande de la classe ouvrière et la poursuite d’une offensive militaire pour obtenir le contrôle des ressources mondiales signifient qu’il ne peut y avoir aucun retour à un passé réformiste.
La tâche cruciale à laquelle sont confrontés les travailleurs et les jeunes est d’assurer leur indépendance politique face à tous ceux qui cherchent à les subordonner au système de profit, ce qui est la cause profonde de l’austérité et de la guerre. Nous exhortons tous les lecteurs du World Socialist Web Site à examiner le bilan du Socialist Equality Party et prendre la décision de se joindre à nous dans la construction de la nouvelle direction authentiquement socialiste et internationaliste qui est une nécessité urgente.
(article paru en anglais le 29 septembre 2016)