Vendredi, l’ancien Premier ministre Alain Juppé, le favori des primaires du parti Les Républicains (LR) de droite pour les élections présidentielles de 2017, a déclaré au Monde ses inquiétudes sur l’hystérie anti-immigrés et anti-musulmans qui domine la campagne électorale. Juppé a déclaré que les principaux candidats incitaient à tant de haine ethnique que la France risquait de sombrer dans la guerre civile.
Juppé a dit au Monde : « Il faut absolument apaiser le climat qui règne aujourd’hui en France. Le simple mot de “musulman” suscite une hystérie disproportionnée ! » Il a ajouté : « Il faut calmer le jeu. Si nous continuons comme ça, nous allons vers la guerre civile. Moi, je veux la paix civile ».
Cette remarque extraordinaire survient après les attaques profondes sur les Musulmans en France au cours des deux dernières années, après les attentats terroristes en France et en Belgique par des réseaux islamistes qui combattent pour la guerre par procuration de l’OTAN en Syrie. Des milliers de foyers musulmans ont été perquisitionnées sous l’état d’urgence. Le Président François Hollande du Parti socialiste (PS), qui a imposé l’état d’urgence, a invité à plusieurs reprises Marine Le Pen, présidente du Front national (FN) néo-fasciste, à l’Élysée. Le FN devrait se qualifier facilement au second tour de la présidentielle en mai.
Depuis l’attentat contre Charlie Hebdo de janvier 2015, les Français ont été soumis à une propagande incessante, y compris du propre parti LR de Juppé, dénonçant les Musulmans. Ainsi, dans un commentaire après l’attaque de Charlie Hebdo, le chroniqueur de L’Obs Jean Daniel a écrit que : « Oui, nous sommes en guerre, et qui plus est en guerre de religion ».
Près de deux ans plus tard, un ancien premier ministre de la France avoue que l’état d’urgence a cultivé une atmosphère hystérique qui a porté les tensions ethniques et religieuses au comble de la frénésie.
La cible immédiate des remarques de Juppé fut les commentaires provocateurs de son principal rival pour la nomination des LR, l’ancien président Nicolas Sarkozy, qui construit sa campagne sur des appels au sentiment néo-fasciste et le culte de l’identité ethnique française.
Lundi dernier, Sarkozy a déclaré : « Si l’on veut devenir français, on parle français, on vit comme un Français. Nous ne nous contenterons plus d’une intégration qui ne marche plus, nous exigeons l’assimilation ». Dans une référence réactionnaire et bizarre à l’ancienne Gaule, la région de l’Europe qui englobe la plupart des France actuelle et qui a été d’abord habitée par les peuples celtiques, Sarkozy a déclaré « Dès que vous devenez français, vos ancêtres sont gaulois. J’aime la France, j’apprends l’histoire de France, je vis comme un Français ».
Cette déclaration viole les principes juridiques fondamentaux selon lesquels la citoyenneté française est un droit et non une relation ethnique ou de sang, et va à l’encontre des grandes populations de la France d’ethnies arabe, africaine, italienne, et portugaise. La promotion par Sarkozy d’opinions selon lesquelles l’identité française est un lien de sang fait écho aux conceptions de Charles Maurras du mouvement antisémite Action Française avant la Seconde Guerre mondiale. Elles sont conformes aux opinions de son ancien conseiller principal, Patrick Buisson, ancien rédacteur en chef du magazine d’extrême droite Minute qui est connu pour être un adepte de Maurras.
Les remarques de Juppé reflètent une préoccupation croissante dans des sections de l’élite dirigeante qui, au milieu de la plus profonde crise du capitalisme européen et mondial depuis les années 1930, du fait que leur promotion de longue date des préjugés anti-musulmans et sécuritaires ont pris des dimensions entièrement nouvelles.
Depuis 2003, les politiciens bourgeois français de tous bords ont soutenu l’interdiction du voile dans les écoles publiques, ou de la burqa. Ces campagnes anti-musulmans ont été promues non seulement par les forces de droite, mais aussi par le PS et ses alliés de la pseudo-gauche comme le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), Lutte ouvrière (LO), et Le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon.
Aujourd’hui, après près d’une décennie de crise économique intense, cependant, et la montée du sentiment anti-musulman après les attentats terroristes de Paris et sous l’état d’urgence, le niveau des tensions est beaucoup plus élevé. Les appels à l’interdiction du burkini et au démantèlement des camps de réfugiés à Calais reflètent l’émergence croissante du nationalisme anti-musulman politisé comme une force clé dans la politique bourgeoise française.
Des adeptes de l’Action Française, qui a constitué la base essentielle du régime collaborationniste de Vichy, jouent un rôle de plus en plus visible en tant que conseillers et associés du PS et de la pseudo-gauche. En particulier, Mélenchon a développé des liens étroits avec Buisson et le journaliste d’extrême droite Eric Zemmour, qui a été promu par Mediapart, site d’actualités qui a des liens avec le NPA.
La défense des droits démocratiques en France et à travers l’Europe ne peut pas être laissée à une faction de cet establishment politique totalement corrompu et réactionnaire. C’est une tâche qui incombe à la classe ouvrière dans la lutte pour un programme socialiste.
Juppé lui-même a tenu à rassurer Le Monde que ses critiques limitées de l’hystérie anti-musulmans ne signifient pas qu’il ne réprimerait pas fermement les Musulmans et la population en général. « Bien sûr, je mesure la gravité de la situation », a-t-il dit, citant des sondages de l’Institut Montaigne prétendant démontrer que « plus des deux tiers des musulmans de France acceptent les lois de la République […] Mais un quart d’entre eux ne le font pas ».
L’affirmation de Juppé selon laquelle un quart des Musulmans français, bien plus d’un million de personnes, sont en rébellion contre le système juridique de la France est ridicule. En le faisant, Juppé a montré qu’il aide lui-aussi a attiser l’hystérie répressive contre les Musulmans. Il a continué en appelant à « une action majeure de dé-radicalisation à entreprendre, avec les responsables de la communauté musulmane ».
De plus, alors qu’il exprime ses réserves sur l’hystérie anti-musulmans, Juppé n’a pas d’alternative viable à proposer, et il approuve lui-même des mesures ciblant les musulmans et les immigrés. Tout en se distanciant des incidents anti-musulmans plus scandaleux comme l’expulsion d’une étudiante musulmane de son école pour avoir porté une longue jupe ou l’interdiction des burkinis sur les plages, Juppé a soutenu l’interdiction de certains types de vêtements dits musulmans.
Juppé a faussement présenté ces interdictions comme n’étant pas des appels au racisme, mais comme de simples mesures de police. Il a dit au Monde, « Sur le niqab, le Conseil d’État a pris une position : il doit être interdit pas pour des raisons religieuses, mais parce qu’il est contraire à la nécessité d’identifier tous les visages dans un endroit public. [Mais si l’on accepte les interdictions religieuses,] La prochaine chose qui se pose est la question de l’interdiction des voiles dans les universités, des « burkinis », ou même un jour des jupes longues… »
Les lignes de base des politiques d’État policier et d’austérité de Juppé sont pratiquement impossibles à distinguer de celles de Hollande et du PS, et il y a peu de doute que, au cas où il serait élu, lui aussi compterait sur la rhétorique anti-musulmans, comme Hollande l’a fait, pour désorienter l’opposition populaire.
Juppé prévoit une escalade des mesures de maintien de l’ordre : « Je propose la création de 10 000 nouvelles places et le lancement, sous l’autorité du ministre de la justice, d’une police pénitentiaire qui ferait du renseignement dans les prisons et qui soutiendrait les surveillants. Enfin, il faut des quartiers de dé-radicalisation ».
Avec la stagnation de l’économie française, ses déficits budgétaires devraient augmenter. Il faut donc mettre en œuvre de nouvelles réductions budgétaires pour maintenir le déficit en dessous de la limite de 3 pour cent, du PIB fixée par l’Union européenne. Juppé promet donc de mener des attaques profondes sur les dépenses sociales, s’il devait arriver au pouvoir.
« Après l’élection, on ne sera pas à 2,7 % de déficits mais plutôt à 3,5 % si on additionne toutes les promesses du gouvernement » a-t-il dit. « J’engagerai dès le début de mon quinquennat les réformes de structure majeures qui ont trop longtemps été repoussées, comme celle de la retraite à 65 ans ou l’assouplissement du marché du travail. En tout, je compte réaliser 80 milliards d’euros d’économie, qui permettront de financer 30 milliards d’allégements d’impôts et de réduire de 50 milliards le déficit structurel ».
(Article paru en anglais le 26 septembre 2016)