L’armée japonaise a fait décoller d’urgence hier un avion de chasse au moment où la force aérienne chinoise envoyait plus de 40 avions militaires dans le Pacifique occidental via le détroit de Miyako près de l’île Okinawa dans le chapelet d’îles ancré au sud du Japon. L’exercice chinois et la réaction japonaise sont un nouveau signe des vives tensions qui règnent dans le nord-est de l’Asie sur fond du « pivot vers l’Asie » des États-Unis et du renforcement militaire en cours dans la région.
Alors que Beijing a décrit ses exercices comme relevant de la routine, le nombre d’avions impliqués est exceptionnellement élevé. Un porte-parole militaire, Shen Jinke, a dit que différents types d’avion en faisaient partie dont des bombardiers H-6 K stratégiques de longue portée, des avions de chasse Su-30 et des avions ravitailleurs. La manœuvre consistait à effectuer « des missions de reconnaissance et d’alerte précoce, des attaques contre des cibles à la surface de la mer et des ravitaillements en vol pour tester la capacité de combat de la force aérienne en haute mer ».
Le ministère japonais de la Défense a reconnu qu’aucun des avions chinois n’avait empiété sur l’espace aérien japonais mais a indiqué qu’un chasseur japonais a décollé d’urgence au moment où huit avions chinois survolaient le détroit. L’avion est passé entre l’île d’Okinawa et l’île Miyako, qui est l’une des îles la plus méridionale du Japon. Le détroit de Miyako est l’une des voies navigables internationales par laquelle passent les navires et les avions allant de la Mer de Chine orientale vers le Pacifique occidental.
L’armée chinoise est gênée par ce qu’elle appelle le premier chapelet d’îles : la série d’îles au large du continent chinois qui court des îles russes des Kouriles au nord, en passant par les îles japonaises jusqu’à Taïwan, puis aux Philippines et Bornéo au sud. Dans le cadre de leur expansion militaire, les États-Unis ont renforcé leurs liens avec leurs alliés militaires, le Japon et les Philippines.
Les États-Unis avaient officiellement occupé Okinawa, qui occupe une position stratégique, jusqu’en 1972, année de son retour au Japon. Environ 26 000 soldats américains sont stationnés sur l’île, répartie sur 32 bases et 48 camps d’entraînement couvrant quelque 25 pour cent du territoire.
Les avions de la force aérienne chinoise avaient pour la première fois survolé le détroit de Miyako en mai de l’année dernière. L’exercice de dimanche eut lieu suite à une manœuvre plus tôt ce mois-ci lors de laquelle des bombardiers, des chasseurs, des avions d’alerte avancée et des avions ravitailleurs chinois avaient survolé le détroit de Bashi entre Taïwan et l’île de Luçon au nord des Philippines. L’armée chinoise a annoncé à l’issue de cette manœuvre que la force aérienne pratiquerait régulièrement des exercices au-delà de ce premier chapelet d’îles.
Le tout récent vol chinois viserait ainsi à adresser un message au Japon après que le ministre de la Défense Tomomi Inada a déclaré la semaine passée que la marine japonaise effectuerait des patrouilles conjointes avec des bâtiments de guerre américains en Mer de Chine méridionale. Les États-Unis ont au cours de ces cinq dernières années délibérément envenimé des conflits territoriaux en Mer de Chine méridionale entre la Chine et ses voisins en encourageant notamment les Philippines en faisant valoir plus résolument leurs revendications envers Beijing.
Le Japon est d’ores et déjà impliqué dans une acerbe confrontation avec la Chine au sujet des îles contestées en Mer de Chine méridionale qui sont appelées Senkaku au Japon et Diaoyu en Chine. Avec l’appui des États-Unis, Tokyo a accentué en 2012 le différend en achetant à un propriétaire privé japonais ces îles rocailleuses. Depuis son arrivée au pouvoir, le premier ministre Shinzo Abe a refusé de même reconnaître qu’un conflit existait avec la Chine au sujet de ces îles.
En conséquence, des navires et des avions chinois et japonais sont régulièrement impliqués dans des quasi-accidents dans les eaux territoriales des îles Senkaku/Diaoyu. Durant l’année fiscale qui s’est achevée en mars 2016, la force aérienne japonaise avait ordonné aux chasseurs de décoller d’urgence 571 fois en réaction à des avions militaires et de reconnaissance chinois. Un grand nombre de ces incidents se seraient produits dans les environs des îles contestées.
Le risque qu’un incident ne résulte en un conflit a été mis en évidence en juin lorsque le ministre chinois de la Défense a accusé des chasseurs japonais d’avoir « verrouillé », c’est-à-dire braqué un radar de conduite de tir sur des bombardiers chinois SU-30 survolant la Mer de Chine méridionale. À l’époque, Ian Storey, un analyste de l’Institut des Études d’Asie du sud-est, avait dit au Financial Times que le verrouillage radar était « très dangereux » parce l’avion ciblé n’avait que quelques secondes pour décider à la fois s’il était attaqué et comment réagir.
Alors qu’une énorme attention médiatique a mis l’accident sur le risque de heurts en Mer de Chine méridionale, le conflit entre le Japon et la Chine en Mer de Chine orientale est tout aussi dangereux. Le président américain Barack Obama a affirmé que le traité de sécurité avec le Japon couvrirait les îles Senkadu/Diaoyu. En d’autres termes, les États-Unis et leur arsenal nucléaire soutiendraient le Japon dans une guerre avec la Chine au sujet de ces petits îlots inhabités.
Un récent sondage réalisé par le Pew Research Centre, qui a son siège à Washington, a établi que 35 pour cent des interrogés étaient « très inquiets » et 45 autres pour cent étaient « un peu inquiets » que le différend au sujet des îles Senkaku/Diaoyu ne dégénère en un conflit ouvert avec la Chine.
Dans son rapport annuel d’avril au congrès sur l’armée chinoise, le Département américain de la Défense a affirmé que les vols des forces aériennes chinoises dans le Pacifique occidental étaient susceptibles de mettre les troupes américaines sur l’île de Guam en risque d’être ciblées par des missiles de croisière lancée par des bombardiers à longue portée.
Cette affirmation représente le monde à l’envers. Depuis qu’Obama a annoncé le « pivot vers l’Asie » en 2011, le Pentagone a rapidement lancé le redéploiement de 60 pour cent de son personnel aérien et maritime dans la région Asie-Pacifique qui sera complété d’ici 2020. Ce renforcement militaire est allé de pair avec le renforcement systématique de liens et de partenariats militaires à travers l’Asie dans le but d’encercler la Chine en vue de préparer la guerre.
La réaction à l’exercice de dimanche de l’aviation chinoise souligne le risque qu’une erreur, de calcul ou autre, puisse précipiter un conflit de bien plus grande envergure.
(Article original paru le 26 septembre 2016)