Les actions Deutsche Bank ont plongé hier suite à des commentaires parus dans un magazine d’information allemand comme quoi la chancelière Angela Merkel aurait exclu toute aide à la banque après que le Département de la Justice américain (DoJ) a imposé une amende de 14 milliards de dollars en lien avec ses transactions sur le marché des prêts hypothécaires subprime durant la période qui a précédé la crise financière de 2008.
L’hebdomadaire munichois Focus a rapporté vendredi, en citant des responsables gouvernementaux non identifiés, que Merkel avait catégoriquement affirmé que le gouvernement n’interviendrait pas et que la chancelière avait fait connaître son point de vue lors de discussions avec le PDG de la banque, John Cryan.
Les actions Deutsche Bank ont chuté de 7 pour cent, en tombant à leur niveau le plus bas depuis 1983 en dépit d’une déclaration de Cryan que la banque n’avait pas sollicité l’aide du gouvernement dans ses négociations avec le DoJ. Les actions de Deutsche Bank, qui avait été embarrassée par des rapports persistants concernant sa mauvaise santé financière, ont dévissé de 55 pour cent au cours de l’année passée.
Selon un commentaire paru dans le Financial Times, la banque se situe actuellement, sur la base de la capitalisation boursière, à la 78e place des banques mondiales, « juste derrière Public Bank de Malaisie et Itausa Investimentos Itau du Brésil. »
Le mois dernier, le Fonds monétaire international avait qualifié Deutsche Bank de lien le plus faible du système financier mondial et sa position n’a fait qu’empirer depuis l’amende imposée par le DoJ.
L’amende encourue par Deutsche Bank est le triple de ce que la banque avait mis de côté à cette fin. Selon le rapport de la BBC, si elle était intégralement payée, elle « exercerait une pression mortelle sur les finances de la banque » vu qu’elle ne vaut que 18 milliards de dollars. Même si le montant n’était que de moitié, ceci poserait tout de même un « grave problème. »
Les problèmes de Deutsche Bank n’ont cessé de croître tout au long de l’année et sa position financière a soulevé des inquiétudes durant la période de perturbations qui avaient touché le marché en janvier et en février lorsque les actions bancaires avaient chuté fortement dans le monde entier. En février, Cryan avait publié une déclaration dans le but de rassurer le personnel et les investisseurs en disant que la position de la banque était « solide comme du béton. »
Cependant depuis lors, sa position n’a fait qu’empirer vu que les efforts entrepris pour rétablir sa rentabilité en réduisant les coûts se sont révélés infructueux. Puis vint l’amende du DoJ. Celle-ci a suscité la crainte que les affaires censées lui procurer une relance n’auront pas lieu étant donné que des contreparties seront réticentes à traiter avec la banque et qu’elle commencera à perdre des rentrées en raison des mauvaises nouvelles à son sujet.
Comme le Daily Telegraph britannique l’a signalé, si le gouvernement allemand n’appuie pas la banque, alors d’autres banques et institutions financières commenceront à être très frileuses pour traiter avec elle. « Comme nous en avons fait l’expérience en 2008, une fois que la confiance commence à s’évaporer, une banque aura de très, très gros problèmes » et « si Deutsche Bank s’effondre, il semble de plus en plus probable que Merkel partira avec – et vraisemblablement l’euro aussi ».
Tout comme une bande de vautours, les fonds spéculatifs esquissent de grands cercles au-dessus en réduisant la quantité de leurs actions Deutsche Bank dans l’attente de leur chute rapide.
Quel que soit le montant final de l’amende, Deutsche Bank devra très certainement lever du capital supplémentaire pour la régler. Mais, c’est là qu’elle connaîtra un problème majeur par ce que le régime de taux d’intérêt faible ou même négatif appliqué par la Banque centrale européenne a touché les modèles commerciaux de toutes les grandes banques. Un commentateur de la chaîne de télévision financière américaine CNBC avait remarqué : « Comment faire pour lever davantage de capitaux si vos bénéfices sont en baisse ? »
Les remous que connaît Deutsche Bank ne sont que l’expression la plus nette de la crise qui a frappé l’ensemble du système bancaire européen suite à l’effondrement financier de 2008. S’exprimant lundi, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a dit qu’il y avait une « surcapacité des banques en Europe » et que le gouvernement devrait créer les conditions juridiques nécessaires à une consolidation.
« Voulez-vous vraiment avoir un système qui n’atteigne la bonne dimension qu’après des faillites prolongées ? Les banques en Europe doivent être fortes et rentables. L’une des raisons de la faible rentabilité est précisément la surcapacité, » a-t-il dit.
Si Deutsche Bank devait faire faillite, elle n’en resterait pas là. En raison de ses liens avec d’autres banques et institutions financières, les effets causés se feraient ressentir sur l’ensemble du système financier européen et s’étendraient de par le monde entier. Personne ne connaît l’entière portée des conséquences mais certains commentateurs ont déjà signalé la possibilité d’un moment de type Lehman (« Lehman moment ») – une référence à l’effondrement de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers qui avait été à l’origine de l’effondrement mondial de 2008.
Le premier en ligne pour une crise majeure serait le système bancaire italien où 360 milliards d’euros de créances douteuses pèseraient sur le bilan, quatre fois le niveau de 2008 en comprenant 17 pour cent des prêts non remboursés.
En sus des problèmes économiques grandissants, la crise que connaît Deutsche Bank renferme une composante politique majeure. Il est significatif que l’action menée contre les banques n’ait pas été lancée par l’autorité de régulation, la Commission de Sécurité et d’Echanges, mais par un organe de la Maison Blanche, le Département de la Justice.
La taille de l’amende va dans le même sens. « Le DoJ exige 10 fois de Deutsche Bank ce qu’il a demandé de toutes ses concurrentes américaines – c’est du racket, » a dit au Financial Times, Davide Serra, le fondateur d’une société qui investit dans la dette des banques européennes.
L’imposition de cette amende survient en plein milieu de tensions politiques et économiques grandissantes entre les États-Unis et l’Union européenne et en particulier l’Allemagne. La décision prise par l’UE d’infliger à Apple le remboursement rétroactif de 13 milliards d’euros d’impôts impayés concernant un marché avec le gouvernement irlandais avait suscité une forte opposition de la part de grandes entreprises et du trésor américains.
La dispute au sujet d’Apple a donné lieu à des déclarations de la France et de l’Allemagne qui ont littéralement mis fin aux négociations sur l’effort américain pour tenter d’établir un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) afin de couvrir ses échanges commerciaux et financiers en Europe.
Conjointement avec le Partenariat trans-Pacifique (TPP) qui couvre la région de l’Asie, tout en excluant la Chine, les États-Unis considèrent le TTIP comme étant crucial au maintien de leur position de domination économique mondiale.
Au début du mois cependant, le ministre allemand des Finances, Sigmar Gabriel avait enterré les négociations en déclarant que « nous en tant qu’Européens ne pouvons évidemment pas nous soumettre aux exigences américaines ».
La crise à propos de Deutsche Bank indique deux processus interconnectés. Premièrement, loin d’être résolues, toutes les contradictions du système financier mondial qui a explosé il y a huit ans non seulement subsistent mais se sont aggravées. Deuxièmement, malgré tout le discours sur la coopération et la collaboration qui émane des réunions des principaux sommets économiques des dirigeants mondiaux, le système économique et financier mondial est de plus en plus en train de devenir un champ de bataille où toutes les nations s’affrontent les unes contre les autres.
(Article original paru le 27 septembre 2016)