La coalition dirigée par l’Arabie saoudite a ajouté à ses crimes de guerre au Yémen un raid aérien lundi contre un hôpital dirigé par Médecins sans frontières (MSF), tuant au moins onze personnes et faisant au moins dix-neuf blessés. Comme MSF avait fourni les coordonnées GPS de l’établissement médical à toutes les parties du conflit, le ciblage était délibéré.
L’Arabie Saoudite et ses alliés régionaux mènent depuis mars 2015, avec l’assistance des États-Unis, une guerre aérienne illégale sur le territoire du Yémen suite à la saisie de la capitale Sana'a par les rebelles chiites houthis. Le régime saoudien a accusé son rival régional iranien de soutenir les Houthis et cherche à rétablir le gouvernement en exil du président Abd-Rabbu Mansour Hadi.
Le bombardement de l'hôpital d’Abs dans la province septentrionale de Hajjah fait partie d'une campagne délibérée pour terroriser la population houthie dans le nord du Yémen. La guerre sous conduite saoudienne a tué plus de 6.500 civils et détruit une grande partie de l'infrastructure sociale du pays, y compris quelque 250 centres médicaux, 800 écoles et des centaines de centrales électriques et d’entrepôts de carburant.
Le directeur de l’hôpital, Ibrahim Aram, a dit au New York Times par téléphone que trois membres du personnel de MSF – un garde yéménite, un logisticien et un électricien – ont été tués dans l’attaque. Un autre garde, un technicien en radiologie et une infirmière ont eu des membres amputés suite à leurs blessures. Trois médecins étrangers ont subi des blessures relativement mineures.
Ayman Ahmed Mathkoor, directeur de la santé de la province de Hajjah, a rapporté que le raid avait détruit le service des urgences de l’hôpital. Il a annoncé un bilan de quinze tués et vingt blessés. Un responsable du ministère de la Santé ayant visité le site lundi, Ibrahim Jafari, a dit au New York Times que les urgences étaient pleines de patients au moment de l’attaque et que la plupart des victimes avaient été gravement brûlées. Il a dit qu’il n’y avait pas de forces militaires près de l’hôpital.
Teresa Sancristoval, la responsable du programme d’urgence de MSF pour le Yémen, a déclaré que c’était la quatrième attaque contre des établissements médicaux soutenus par MSF au Yémen au cours de l’année écoulée. D’autres frappes aériennes ont ciblé l’hôpital Shiara de Razeh dans la province nord de Saada, le 10 janvier, tuant six personnes; l’hôpital Taïz, dans la ville de Taïz, le 2 décembre; et l’Hôpital Haydan dans la province de Saada, le 26 octobre.
« Nous assistons une fois de plus aujourd’hui aux conséquences tragiques du bombardement d’un hôpital. Encore une fois, un hôpital entièrement opérationnel plein de patients et de membres du personnel national et international de MSF a été bombardé dans une guerre qui n’a montré aucun respect pour les installations médicales ou les patients, » a dit Sancristoval dans un communiqué.
D’autres organismes d’aide ont condamné l’attaque. « Ce fut une attaque horrible, tuant des malades et des blessés, le personnel médical essayant désespérément de les aider. Le monde ne peut pas fermer les yeux au moment où les plus vulnérables souffrent dans ce conflit international, » a déclaré Sajjad Mohammad Sajid, le directeur d’Oxfam au Yémen.
La coalition dirigée par l’Arabie saoudite a dit à l’Associated Press que son équipe d’évaluation des incidents conjoints était « au courant de rapports d’un raid aérien sur un hôpital dans la province de Hajjah au nord du Yémen » et avait ouvert une enquête, dont le but sera sans aucun doute de blanchir une fois de plus la coalition. Un rapport saoudien, publié ce mois-ci, a affirmé que l’hôpital MSF frappé en octobre avait été utilisé par les rebelles houthis à des fins militaires.
Samedi, un raid aérien sur une école à Saada a tué au moins dix enfants et en a blessé vingt-huit, selon des responsables locaux et des travailleurs humanitaires. Le personnel de MSF a traité les victimes, âgées de 6 à 15 ans. L’armée saoudienne a dit que l’attaque avait frappé un camp d’entraînement de la milice, mais n’a donné aucune preuve de son allégation.
La porte-parole du département d’État américain, Elizabeth Trudeau a dit dans une discrète déclaration de préoccupation quant à l’attaque de lundi : « Les frappes contre les installations humanitaires, y compris les hôpitaux, sont particulièrement inquiétantes ». Elle ajouta, « Nous appelons toutes les parties à cesser immédiatement les hostilités. Des actions militaires continues ne font que prolonger les souffrances du peuple yéménite. »
Des remarques on ne peut plus hypocrites. Les États-Unis ont soutenu à fond la guerre de l’Arabie saoudite, déployant conseillers militaires et agents des renseignements pour coordonner les opérations avec leurs homologues saoudiens et aider les frappes aériennes par des données de ciblage et de ravitaillement en vol. En mai, le Pentagone a annoncé le déploiement de petites équipes des Forces spéciales au Yémen en soutien aux opérations saoudiennes. Les États-Unis mènent leur propre guerre de drones prolongée et illégale au Yémen, nominalement contre Al-Qaïda dans la péninsule arabique.
La semaine dernière, le département d’État américain a approuvé la vente de 150 chars de combat Abrams à l’Arabie Saoudite, faisant partie d’un ensemble d’armes américaines valant 1,15 milliard de dollars. Celui-ci comprend une gamme de matériel militaire supplémentaire, dont des fusils Gatling et une formation extensive pour l’armée saoudienne. On estime les ventes d’armes américaines à l’Arabie Saoudite, un des principaux alliés au Moyen-Orient, à 20 milliards de dollars par an.
Les commentaires en sourdine du Département d’État sur l’attaque de lundi sont en contraste flagrant avec la campagne de propagande des médias américains et internationaux sur de présumées atrocités commises par les avions de guerre russes et syriens contre les milices islamistes soutenues par les États-Unis sur le territoire syrien.
L’armée américaine est responsable de l’attaque criminelle d’un hôpital de MSF à Kunduz, dans le nord de l’Afghanistan en octobre dernier, qui a tué quarante-deux civils. Un avion à canonnière AC-130 avait déchaîné sa puissance de feu destructrice sur le centre médical pendant plus d’une heure. Certaines victimes furent calcinées vivantes dans leurs lits et d’autres fauchées alors qu’elles tentaient de fuir. Le rapport final du Pentagone, publié en avril, était une dissimulation effrontée qui niait qu’un crime de guerre avait été commis. Aucun des militaires impliqués ne fut accusé ou cité devant une cour martiale.
Le bombardement d’un hôpital yéménite est une preuve supplémentaire de l’intensification de la guerre de l’Arabie saoudite au Yémen, qui suit la rupture de négociations parrainées par l’ONU entre le gouvernement houthi et le gouvernement en exil dirigé par le président Hadi. Le régime saoudien, soutenu et armé jusqu’aux dents par Washington, est déterminé à imposer ses intérêts au Yémen.
(Article paru d’abord en anglais le 16 août 2016)