Barack Obama a conclu son discours à la Convention nationale démocrate à Philadelphie mercredi soir en se déclarant prêt à « transmettre le flambeau » à la candidate désignée du parti et son ancienne ministre des affaires étrangères, Hillary Clinton. Des comptes-rendus du discours dans les grands médias ont mentionné à plusieurs reprises le fait que le président américain a présenté Clinton comme la dépositaire de son « héritage » et sa continuatrice.
Mais quel est l’héritage d’Obama ? En termes politiques essentiels, il consiste en sa réussite à surmonter les divisions internes qui ont tourmenté le Parti démocrate depuis un demi-siècle sur la question de la guerre. Son gouvernement marque le retour des démocrates à leurs origines en tant que premier parti de l’impérialisme américain, un statut que le parti a conservé à travers deux guerres mondiales et la guerre froide qui suivit avec l’Union soviétique.
Obama, qui a été porté au pouvoir par une vague populaire de sentiment anti-guerre, se verra accorder la distinction douteuse d’être le premier président à avoir maintenu les États-Unis en guerre tout au long de ses deux mandats.
Il a continué les guerres dont il a hérité en Afghanistan et en Irak, tout en en lançant une autre qui a renversé le gouvernement et décimé la société de la Libye ; il a orchestré une guerre par procuration pour un changement de régime en Syrie où des troupes américaines sont maintenant déployées ; et mené des attaques en Somalie, au Yémen, au Pakistan et ailleurs.
Avec son « pivot vers l’Asie » et le renforcement progressif de forces américaines de l’OTAN en Europe de l’Est, la puissance militaire de Washington a été de plus en plus dirigée contre la Russie et la Chine dans une quête incessante pour l’hégémonie mondiale qui pose le danger croissant d’une troisième guerre mondiale.
On se souviendra du gouvernement Obama également pour sa vaste expansion de la guerre par drones, des assassinats ciblés et les listes de cibles à tuer, ainsi que des attaques brutales contre les libertés individuelles et la militarisation de la police américaine.
Ce qui est extraordinaire, compte tenu de tout cela, c’est que la guerre n’était même pas un sujet discuté à la Convention de Philadelphie. Le silence sur cette question a été assuré par le faux candidat d’opposition, Bernie Sanders, qui a soutenu publiquement les guerres d’Obama pendant sa campagne et officiellement mis fin à sa « révolution politique » en soutenant aveuglément Clinton, la candidate de choix à la fois pour Wall Street et pour le massif appareil militaire et du renseignement des États-Unis.
À l’approche des deux conventions des partis majeurs, il y avait beaucoup de comparaisons dans les médias entre cette année d’élection présidentielle et celle de 1968, avec des prévisions qu’une fois de plus il pourrait y avoir des violences dans les rues.
S’il ne fait aucun doute que la campagne de Trump a intensifié l’atmosphère de violence dans la politique américaine, ces analogies largement superficielles ignoraient totalement la question centrale qui avait provoqué les violences d’il y a 48 ans : l’opposition populaire de masse à la guerre du Vietnam, qui a fini par déchirer le Parti démocrate.
Lyndon Johnson, le président démocrate sortant, fut incapable de se présenter à sa réélection en raison de l’hostilité au sein de son propre parti contre la guerre au Vietnam, exprimée d’abord par l’appui pour la candidature d’Eugene McCarthy, puis pour celle de Robert Kennedy, qui avait rompu avec Johnson sur la question.
Si l’assassinat de Robert Kennedy fut suivi par la nomination du vice-président Hubert Humphrey, un partisan de la guerre, et sa défaite ultérieure par le républicain Richard Nixon, le Vietnam a brisé les fondements idéologiques de l’ancien Parti démocrate, fondés sur le sale arrangement du libéralisme de la guerre froide : un soutien de façade à la réforme sociale à l’intérieur combiné avec un soutien sans faille pour l’impérialisme américain à l’étranger.
En 1972, le candidat anti-guerre George McGovern remporta l’investiture et fut battu par Nixon. Néanmoins, le Parti démocrate resta contraint de prendre en compte le sentiment anti – guerre dans ses calculs politiques pendant des décennies après la fin de la guerre du Vietnam.
Un gouffre s’était installé entre d’une part les cadres dirigeants du parti au sein de l’État capitaliste américain et des groupes d’experts de Washington, qui restaient des partisans engagés et des penseurs stratégiques de l’impérialisme américain, et d’autre part une base politique, y compris des universitaires et des couches supérieures de la classe moyenne, parmi lesquelles se maintenait une grande hostilité à la guerre.
Cela entraîna des conflits internes au sein du parti lors des élections ultérieures. Cela a également créé une situation dans laquelle chaque candidat démocrate a été obligé de se montrer comme étant suffisamment prêt à partir en guerre, non pas à cause de la politique de ces individus, mais à cause de la prévalence des sentiments anti-guerre qui existaient dans les couches auxquelles ils faisaient appel.
À la suite de l’élection de George W. Bush survinrent les manifestations anti-guerre de masse de 2003 et les tentatives ultérieures par diverses forces de pseudo-gauches de canaliser cette opposition de nouveau vers le Parti démocrate.
Avec l’élection présidentielle de 2004, Howard Dean émergea assez tôt comme favori, menant campagne comme le représentant de l '« aile démocratique du Parti démocrate » et faisant appel au sentiment anti-guerre au sein du parti. Même après que l’establishment du parti et les médias ont fait capoter sa candidature, John Kerry, qui avait soutenu la guerre, fut contraint à se présenter comme anti-guerre, et il s’embrouilla ainsi dans ses positions, ce qui permit la réélection de Bush.
Enfin, en 2008, la raison décisive pour laquelle Barack Obama remporta l’investiture et Hillary Clinton la perdit, ce fut le vote de Clinton en 2002 pour autoriser la guerre américaine en Irak.
Dans la promotion de la candidature d’Obama, son origine raciale a été présentée, en particulier par la pseudo-gauche, comme une sorte de diplôme de politique progressiste et anti-guerre, bien qu’un examen approfondi de son bilan politique montre qu’il n’était pas un adversaire du militarisme. Ses liens familiaux et professionnelles avec l’appareil du renseignement américain étaient, quant à eux, passés sous silence dans les médias.
Alors que l’élection d’Obama a été saluée par la pseudo-gauche comme « transformatrice », ce qui ressort de son mandat, c’est l’utilisation, facilitée par ces mêmes forces politiques, de la politique identitaire dans le développement de l’impérialisme américain.
Cette formule était à l’honneur lors de la convention de Philadelphie, où la politique identitaire – la promotion des origines ethniques, du genre et l’orientation sexuelle comme les caractéristiques déterminantes de la vie politique et de la vie sociale – était mêlée directement à une célébration éhontée du militarisme américain.
Cela s’est retrouvé dans des expressions soigneusement élaborées du discours d’Obama, y compris sa déclaration que « notre armée est ce qu’elle est, toutes les nuances de l’humanité, forgées en un service commun », une déclaration qui pourrait être faite au nom d’une autre force « de volontaires » combattants pour l’impérialisme, la Légion étrangère française.
Il a poursuivi en déclarant : « Quand nous mobilisons suffisamment de voix, alors les progrès sont au rendez-vous. Et si vous doutez de cela, alors […] demandez à un soldat de la Marine qui est fier de servir son pays sans cacher le mari qu’il aime. »
L’armée américaine a longtemps été un bastion de l’homophobie fanatique, avec plus de 114 000 membres des forces armées renvoyés pour manquement à l’honneur sur cette question entre la Seconde Guerre mondiale et la mise au rebut de la doctrine du Don’t ask ; don’t tell [on ne vous demande rien, vous ne dites rien] en 2011. L’idée que permettre l’intégration des homosexuels dans l’armée éroderait la discipline avait été un article de foi pour le commandement américain.
Au cœur du soutien pour changer cette politique, il y avait la reconnaissance à la fois par l’establishment politique au pouvoir et des couches décisives de la hiérarchie militaire que cela s’avérerait politiquement utile pour obtenir un soutien envers l’armée, parmi une couche de la classe moyenne supérieure privilégiée qui s’était identifiée au libéralisme américain.
Le message à la convention était explicite : « Ce sont vos troupes. Ce sont vos guerres. Elles sont menées dans vos intérêts ».
Des questions similaires de politique identitaire ont été employées par le gouvernement Obama dans ses tentatives pour attiser l’hystérie anti-russe qui était affichée à Philadelphie. Ainsi, des campagnes bien orchestrées ont été montées autour du groupe Pussy Riot et des déclarations faites par Poutine au sujet des homosexuels pendant les Jeux olympiques d’hiver à Sochi.
En réaction à cette rhétorique intense à la convention, le chroniqueur du Washington Post sur les questions sécuritaires a écrit un billet intitulé, « Clinton a maintenant fait des démocrates le parti anti-russe. » Il a noté : « Dans leur zèle à représenter Donald Trump comme une menace dangereuse pour la sécurité du pays, la campagne de Clinton a adopté une position extrêmement anti-russe, qui inverse complètement les rôles des deux grands partis américains sur les relations américano-russes, ce que Hillary Clinton va maintenant être tenue de suivre, si elle devient présidente. »
La campagne anti-russe a été intensifiée fortement en réaction à la publication par WikiLeaks des courriels du Comité national démocrate (DNC) qui a révélée la collaboration entre la direction du DNC et la campagne Clinton dans la tentative de saboter la campagne de son rival, Bernie Sanders, et de truquer la nomination.
Clinton et ses partisans ont tenté d’étouffer toute discussion sur le contenu accablant de ces e-mails en dépeignant leur publication comme une question de « sécurité nationale », avec l’accusation absurde que Vladimir Poutine serait le véritable auteur de la fuite, dans le but de saboter les élections américaines.
La même méthode, il faut le rappeler, a été employée en réponse à des révélations antérieures sur des crimes de l’impérialisme américain à l’étranger et l’espionnage massif contre le peuple américain, avec comme conséquence la persécution brutale, l’incarcération et/ou l’exil de Chelsea Manning, Julian Assange et Edward Snowden.
L’opposition à cette répression implacable, ainsi qu’à la guerre, n’a trouvé aucune expression dans la convention démocrate. Inutile de dire que Clinton a non seulement soutenu les deux, mais y a participé.
Encore plus révélateur, il y a le fait que toute une couche politique, communément appelée les « néoconservateurs », qui rompit avec les démocrates dans les années 1960 et 1970 et occupa des positions de premier plan dans les gouvernements de Reagan et Bush, est maintenant retournée au bercail, publiant des lettres ouvertes et déclarations en soutien pour Hillary Clinton.
Cette évolution politique du Parti démocrate n’est pas seulement une question de machinations au sein de la direction du parti et de l’appareil d’état. Elle a une base sociale au sein d’une couche sociale privilégiée qui s’est tournée brusquement vers la droite, fournissant une nouvelle base pour la guerre et l’impérialisme. La fixation systématique sur les questions d’ethnie, de genre et d’orientation sexuelle – délibérément opposée à celles de classe – a fourni un fondement idéologique clé pour ce virage réactionnaire.
La convention à Philadelphie a révélé un parti qui vire en opposition directe à, et s’apprête à une confrontation avec, une radicalisation de la classe ouvrière américaine.
La prochaine période, à mesure que la lutte de classe émerge avec force, verra une résurgence de l’opposition des travailleurs américains à la guerre.
Le SEP (Parti de l’égalité socialiste) est le seul parti à préparer et donner une expression politique consciente à ce développement, en combattant pour l’indépendance politique de la classe ouvrière et la construction d’un mouvement international de masse contre la guerre sur la base d’un programme socialiste révolutionnaire. Nous exhortons tous nos lecteurs à soutenir et à construire la campagne du SEP de Jerry White pour la présidence et Niles Niemuth pour la vice-présidence.
(Article paru en anglais le 29 juillet 2016)