Alors que les turbulences immédiates sur les marchés financiers suite au résultat du referendum sur le Brexit se sont calmées, au moins pour l’instant, les conséquences à long terme de la décision britannique de quitter l’Union européenne commencent à émerger.
Les marchés d’actions ont largement récupéré la perte de trois mille milliards de dollars qu’ils ont subie pendant les jours suivant le vote, mais sur les marchés de change la livre sterling reste à son niveau le plus bas depuis près de 31 ans par rapport au dollar américain après avoir subi sa chute sur deux jours la plus importante de son histoire. Et il est à craindre que, tout comme les erreurs d’appréciation sur les marchés financiers concernant la possibilité d’une décision de quitter l’UE, qui ont ensuite conduit à une importante vente d’actifs, l’importance de ce qui a eu lieu puisse se révéler sous-estimée.
Au sein de la firme néerlandaise de services bancaires et financiers Rabobank, la stratège en chef pour les devises, Jane Foley, a déclaré au Financial Times que les prix du marché reflètent la conviction jusqu’au referendum du 23 juin que le Brexit ne se produirait pas, et que « les investisseurs risquent actuellement de ne pas vouloir faire face à la gravité des questions politiques et économiques qui se posent aujourd’hui au Royaume-Uni ».
« Le marché est rassuré par les attentes d’un nouvel assouplissement d’un éventail de banques centrales. Cependant, l’idée que de nouvelles mesures de la banque centrale sont une « panacée » est remarquablement de courte vue », a-t-elle dit.
Des opinions similaires ont été exprimées de l’autre côté de l’Atlantique. Comme un article dans le New York Times par Landon Thomas l’a fait remarquer, les investisseurs « s’attendaient encore une fois à ce que les banques centrales montent à la rescousse. Et cela pourrait bien être le problème. » Cela, parce qu’une autre série d’interventions de la banque centrale « aggraverait le sentiment d’aliénation, de frustration et de colère contre les élites mondiales qui ont encouragé une majorité des Britanniques à opter pour quitter l’Union européenne ».
Un autre article du New York Times, par Neil Irwin, exprimait également ce sentiment. « Ce qui rend le Brexit si troublant », a-t-il écrit, « c’est qu’il accentue et approfondit les forces mondiales qui s’accumulent depuis des années. Jusqu’à présent, les gouvernements ont été incapables de limiter tout cela. Et ces forces ont les dimensions d’un cercle vicieux auto-alimenté, ce qui en fait un moment particulièrement périlleux pour l’économie mondiale ».
Les tendances à long terme remontent à plus d’un quart de siècle. Au milieu du krach de Wall Street en octobre 1987, le président de la Réserve fédérale nouvellement installé Alan Greenspan a engagé la banque centrale à ouvrir les vannes financières et à inonder les marchés d’argent à bas prix. Cela est devenu la réponse standard aux tempêtes financières qui se sont développées par la suite, y compris la crise financière asiatique de 1997-98 et l’effondrement de la bulle des « dot.com » de 2000-2001.
Lorsque la bulle des hypothèques subprimes a éclaté en 2008, déclenchant un effondrement financier mondial, les banques centrales du monde entier ont déversé des milliards de dollars dans le système financier. Cependant, près de huit ans d’un tel « assouplissement quantitatif » ont non seulement échoué à apporter une reprise économique, mais ont aussi créé les conditions d’une nouvelle crise financière.
En même temps, le programme de distribution de l’équivalent de milliers de milliards de dollars d’argent à bon compte aux banques et aux spéculateurs financiers, tout en réduisant la position sociale de la classe ouvrière pays après pays, a conduit à une hostilité toujours plus profonde envers l’establishment politique qui s’est maintenant fortement exprimée dans le vote pour le Brexit.
Dans la zone euro, la production économique a à peine retrouvé les niveaux de 2007, alors qu’en Grande-Bretagne les salaires sont de £20 par semaine en dessous de leur niveau d'avant la crise compte tenu de l’inflation. Les coûts du logement ont été poussés vers le haut par la spéculation financière, tandis que les services sociaux ont été réduits.
L’une des expressions les plus fortes d’une nouvelle crise financière émergente est la chute des actions des banques européennes. Immédiatement après le vote, elles ont chuté de 16 pour cent, ce qui porte les pertes de l'année en cours à 33 pour cent. La plus grande banque allemande, Deutsche Bank, a chuté de plus de 20 pour cent dans les deux jours après le vote du Brexit. Depuis le début de l’année, ses actions ont perdu près des deux tiers de leur valeur.
On estime que le système bancaire italien fonctionne avec environ 360 milliards d’euros de prêts non performants, plus de 18 pour cent de tous les prêts. La plus grande banque italienne, UniCredit, a vu ses actions chuter de 16 pour cent après le vote, ce qui porte ses pertes totales pour l’année à plus de 60 pour cent. Le Premier ministre italien Matteo Renzi sollicite l’autorisation des autorités de l’UE pour une injection de 40 milliards d’euros dans le système financier. Mais étant donné l’ampleur des créances douteuses, c’est loin d’être suffisant.
La crise du système bancaire européen découle de la réponse à la crise financière de 2008. Plutôt que de reconnaître les pertes et de recapitaliser, les banques européennes ont caché les problèmes des mauvaises dettes dans l’espoir que la croissance économique les résoudrait. Elles craignaient que la dépréciation de capitaux affaiblisse leur position par rapport aux banques américaines et britanniques mieux capitalisées. Mais la reprise n’a pas eu lieu, l’économie italienne stagne, n’ayant connu aucune croissance de la productivité depuis 1999 – et les mauvaises créances ont continué à augmenter.
Une autre expression forte de l’aggravation du désordre financier se trouve au Japon, où le programme d’achat d’obligations de la Banque du Japon (BoJ), lancé dans un effort pour sortir l’économie de la déflation, a transformé le système financier.
Selon les données compilées par Bloomberg, la banque centrale détient désormais 34 pour cent des obligations d’État et est l’un des 10 premiers actionnaires de 90 pour cent des sociétés cotées à la bourse. Presque toutes les nouvelles émissions d’obligations sont achetées par la BoJ. En d’autres termes, sur les marchés des obligations d’État, un bras de l’État émet de la dette, laquelle est achetée par un autre bras.
La décision du Brexit va exacerber les tensions et les contradictions dans les marchés monétaires internationaux. La réponse immédiate à la baisse de la livre sterling a été une hausse de la valeur du dollar américain et du yen japonais, comme les flux d’investissements spéculatifs cherchent de supposés refuges. La hausse de la valeur du yen a pratiquement anéanti tous les efforts de la Banque du Japon pour faire baisser sa valeur afin de fournir un coup de pouce aux exportateurs japonais.
Cela soulève la perspective d’une intervention directe du gouvernement japonais pour tenter de faire baisser la valeur du yen, une action qui produirait une réponse hostile de la part d’autres pays.
La Réserve fédérale américaine est également confrontée à des problèmes majeurs. Elle souhaite relever des taux d’intérêt, afin d’avoir un certain nombre de « cartouches » disponibles pour lutter contre un éventuel ralentissement de l’économie américaine. Mais elle craint qu’un mouvement dans cette direction n’augmente la valeur du dollar et n’ait un impact sur les grandes sociétés américaines en concurrence sur les marchés mondiaux. Alors que les exportations représentent 13 pour cent du produit intérieur brut américain, un chiffre relativement faible à l’échelle internationale, on estime que près de la moitié des ventes des sociétés de l’indice S & P 500 sont générées à l’étranger.
Mardi, Jérôme Powell, membre du conseil d’administration des gouverneurs de la Fed, a déclaré que s'il était trop tôt pour tirer des conclusions au sujet du vote Brexit, la décision britannique avait le potentiel de créer de nouveaux vents contraires pour l’économie américaine et mondiale. Avant le vote il y avait eu des risques pour l’économie des États-Unis à partir de facteurs d’outre-mer, y compris une faible croissance et de l’inflation, et maintenant « ils se sont aggravés ».
(Article paru en anglais le 30 juin 2016)