Quelques jours seulement après que le Canada s'est engagé à commander et organiser une force de combat de l'OTAN de 1000 soldats en Lettonie, le ministre de la Défense Harjit Sajjan a affirmé que le rôle de premier plan du Canada dans les préparatifs d'une offensive militaire américaine contre la Russie n'allait pas l'empêcher de déployer des troupes en Afrique.
Le 13 juillet, Sajjan a dit lors d'un point de presse qu'une intervention militaire en Afrique serait une «entreprise risquée», mais s'est ensuite engagé au nom du gouvernement libéral à annoncer un déploiement dans un pays africain, sans en mentionner le nom, dans les semaines à venir.
«Nous nous y engageons, a dit Sajjan, car il est très important d'envoyer le message à nos partenaires multilatéraux que le Canada va jouer un rôle responsable dans le monde.»
Le lendemain, les commentaires de Sajjan ont eu l'appui du général Jonathan Vance, chef d'État-major de la Défense. Prenant la parole lors de l'investiture d'un nouveau commandant de l'armée, Vance a résumé la liste, qui grossit rapidement, des opérations canadiennes à l'étranger: «Internationalement, l'armée est aux premières lignes, gère les conflits à travers le monde, contribue aux opérations en Irak et participe au développement de la capacité militaire de nos alliés et partenaires en Pologne, en Ukraine et très bientôt en Afrique.»
Selon des reportages, le déploiement des Forces armées canadiennes en Afrique pourrait comporter jusqu'à 1000 soldats ainsi qu'un groupe de chasseurs CF-18.
La destination des troupes n'a pas été officiellement confirmée, mais beaucoup prévoient qu'ils seront déployés au Mali, où l'impérialisme français mène une guerre de contre-insurrection contre les rebelles anti-gouvernementaux depuis 2013. La République centrafricaine serait aussi envisagée pour un déploiement. Comme le Mali, la République centrafricaine est une ancienne colonie française qui est en proie depuis plusieurs années à de violents conflits sectaires.
Actuellement, 13.000 soldats ont été déployés au Mali et 12.000 en République centrafricaine sous l'égide des Nations unies. La plupart de ces troupes proviennent des pays africains voisins, mais les deux interventions sont en fait sous la direction de la France, avec un appui des armées de l'Allemagne et des Pays-Bas dans le cas du Mali.
Fin juin, le Conseil de sécurité a accepté d'augmenter le contingent de l'ONU au Mali de 2500 soldats.
Le gouvernement Trudeau, avec l'appui des médias, présente l'intervention imminente de l'armée canadienne en Afrique comme une mission de «maintien de la paix» qui vise à protéger la population locale de diverses milices islamistes, reprendre du service avec les Nations unies et renforcer l'engagement du Canada à la réalisation d'objectifs «humanitaires». À l'ONU en mars dernier, Trudeau a déclaré: «Le Canada va augmenter son engagement dans les opérations de paix, pas seulement en renforçant la disponibilité de notre armée, de notre police et de notre expertise, mais aussi en appuyant les institutions civiles qui empêchent les conflits, amènent la stabilité aux États fragiles et aident les sociétés à se remettre d'une crise.»
Ces paroles ne sont que bêtises! Depuis son arrivée au pouvoir à la fin de l'année dernière, Trudeau et les libéraux ont mené une politique étrangère militariste agressive pour défendre les intérêts de l'élite dirigeante canadienne. Le nouveau gouvernement a respecté sa promesse électorale de solidifier le partenariat militaire et stratégique de longue date avec les États-Unis, la puissance impérialiste la plus agressive sur la planète. En moins d'un an, Trudeau a triplé le nombre de membres des Forces spéciales actives au front de la guerre en Irak, a donné son appui à la position anti-Chine agressive de Washington et du Japon en mer de Chine méridionale, et a accepté d'envoyer 450 soldats, une frégate et six chasseurs en Europe pour participer à la campagne guerrière dirigée contre la Russie.
Tout en augmentant la participation du Canada dans les trois principales offensives militaires et stratégiques de Washington – au Moyen-Orient et contre la Russie et la Chine – les libéraux de Trudeau évitent d'utiliser la rhétorique belliqueuse de leurs prédécesseurs conservateurs. Par opposition à Stephen Harper, qui commémorait le Canada en tant que nation de «guerriers», Trudeau a ressuscité le mensonge que la politique étrangère canadienne est motivée par des idéaux humanitaires et que l'armée canadienne est vouée au «maintien de la paix». Avec cette propagande, le gouvernement vise à camoufler sa politique étrangère agressive et obtenir un appui populaire pour des interventions des Forces armées canadiennes partout dans le monde, une hausse des dépenses militaires et l'achat de nouveaux chasseurs, cuirassés, drones et autres armes sophistiquées.
Cela est admis par le gouvernement lui-même dans un document qu'il a soumis dans le cadre de la «révision de la politique de défense» lancée en avril: «les missions de paix sont de plus en plus déployées dans des environnements hostiles où la violence est systémique... Contrairement aux anciennes missions “traditionnelles” de maintien de la paix, la plupart des missions actuelles sont menées dans des zones où il n'y a pas d'accord de paix explicite à respecter». Les missions, peut-on lire dans le document, sont aussi fréquemment «autorisées sous le Chapitre VII de la charte de l'ONU qui permet l'usage de la force».
Même les chroniqueurs néoconservateurs, qui critiquent la rhétorique du gouvernement Trudeau, car ils croient que cela pose un obstacle au rôle de premier plan du Canada dans son appui à l'impérialisme américain, ont été forcés d'admettre que qualifier d'opération de «maintien de la paix» l'intervention à venir des Forces armées canadiennes en Afrique est trompeur. Ils reconnaissent qu'il est essentiellement question d'une guerre.
Matthew Fisher du National Post a comparé le futur déploiement en Afrique à l'implication du Canada dans la guerre en Afghanistan, où les Forces armées canadiennes ont joué un rôle clé dans l'occupation néocoloniale américaine en menant des opérations contre-insurrectionnelles à Kandahar, un bastion des talibans. Cent-cinquante-huit soldats canadiens ont perdu la vie en Afghanistan et des milliers d'autres ont été blessés ou affectés psychologiquement.
Notant qu'en 2005-2006 le ministre de la Défense, Bill Graham, et le commandant en chef de l'armée, le général Rick Hillier, avaient parcouru le pays pour préparer «les Canadiens à l'éventualité de morts de soldat» en Afghanistan, Fisher recommande maintenant à Sajjan et Vance «de préparer les Canadiens à la mission ardue et dangereuse qui nous attend en Afrique».
Dans un éditorial publié le 14 juillet, le Globe and Mail a exprimé son accord avec la position de Fisher, écrivant que l'intervention à venir en Afrique «pourrait être aussi difficile que l'expérience ardue et mortelle du Canada en Afghanistan».
Selon Fisher, l'Afrique de l'Ouest est devenue «une place terrifiante, envahie par les terroristes islamiques qui traversent le Sahara au sud et proviennent du chaos en Libye pour semer le désordre, l'anarchie et le désespoir dans une demi-douzaine de pays pauvres».
Ce discours de la «guerre contre le terrorisme» évite de faire mention de la cause exacte du «chaos en Libye», comme l'appelle Fisher. Le pays a été plongé dans un conflit sectaire par la guerre de «changement de régime» de l'OTAN et des États-Unis dans laquelle le Canada a joué un rôle important. Les frappes aériennes de l'OTAN ont tué des milliers de personnes, détruit la plupart des infrastructures du pays et ont été exécutées en coordination avec les mêmes forces extrémistes islamiques contre lesquelles les libéraux et les médias disent qu'il faut maintenant lutter.
Fisher, sans parler de Trudeau et des libéraux, évite aussi de faire référence au brutal passé colonial de l'Afrique, la principale cause de la pauvreté et de la misère de masse qui sévissent toujours aujourd'hui en Afrique de l'Ouest et dans la majeure partie du reste du continent. À la période de régimes coloniaux ont succédé une domination néocoloniale impitoyable et l'imposition de programmes de restructuration du FMI visant à réduire les dépenses sociales et faire augmenter les profits des investisseurs.
La réalité est que l'intervention militaire du gouvernement Trudeau en Afrique est motivée par des intérêts géopolitiques et économiques. Une opération en Afrique de l'Ouest aiderait le Canada à renforcer sa coopération avec l'impérialisme français, un allié clé de l'OTAN qui dispose de milliers de soldats dans la région. En 2013, le gouvernement Harper avait aidé Paris à transporter des soldats et de l'équipement militaire par avion-cargo au Mali, et cela a été répété par le gouvernement Trudeau à la fin de l'année dernière dans la cadre de l'opération française Barkhane. Cette mission s'étend sur les anciennes possessions coloniales de la France, du Mali en Afrique de l'Ouest jusqu'au Tchad au centre du continent.
En mai, le ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion s'est rendu en Tunisie pour donner son appui au gouvernement et dévoiler un accord de sécurité entre les deux pays qui va faciliter l'entraînement des forces de sécurité tunisiennes à la frontière de la Libye. Cet accord pourrait ouvrir la voie à un déploiement militaire canadien en Libye, qui possède les plus importantes réserves de pétrole d'Afrique, si les puissances européennes décidaient, comme elles en discutent depuis longtemps, de lancer une nouvelle intervention militaire dans ce pays.
Les troupes canadiennes ont une expérience considérable sur le continent africain. En plus de leur rôle en Libye, elles ont commencé à participer en 2011 à l'opération américaine Flintlock en Afrique de l'Ouest. Des forces spéciales du Mali, du Nigeria, de la Mauritanie, du Niger et de pays voisins participent à l'exercice militaire annuel.
Les sociétés canadiennes ont des investissements considérables en Afrique qui totalisent plus de 25 milliards de dollars en opérations minières à travers le continent. Au Burkina Faso, où une attaque terroriste d'Al-Qaïda au Maghreb islamique en janvier a été utilisée par l'élite dirigeante du Canada pour exiger avec plus d'insistance un déploiement militaire dans la région, les sociétés canadiennes possèdent trois des cinq plus grandes mines du pays et ont 1,6 milliard $ en investissements. La société canadienne Iamgold est l'un des deux principaux investisseurs dans la plus importante mine d'or du Mali.
En 2014, le gouvernement Harper avait affirmé que le Burkina Faso et le Mali étaient des «pays prioritaires» pour le Canada, autrement dit, qu'ils offraient des opportunités considérables d'investissement et qu'ils devraient faire partie des objectifs principaux de la politique étrangère canadienne.
(Article paru d'abord en anglais le 21 juillet 2016)