La Grande-Bretagne a voté de quitter l’Union européenne (UE) lors du référendum d’hier par une marge étroite de 51,9 pour cent à 48,1 pour cent sur un taux de participation de 72 pour cent. En réponse, le Premier ministre David Cameron a annoncé sa démission, qui surviendrait toutefois seulement après la conférence du Parti conservateur en octobre.
Le résultat du référendum a envoyé une secousse sismique, non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi à travers l'Europe et mondialement. Il confondait les attentes des marchés financiers, des fonds spéculatifs, des bookmakers et de l’establishment politique.
Même alors que les bureaux de vote fermaient hier à 22h, on prévoyait un vote « Rester » qui a été reflété dans la valeur de la livre , qui a flambé hier, et dans une reprise des marchés mondiaux. Toutefois, aux premières heures de vendredi matin la livre était tombée à son plus bas niveau depuis plus de 30 ans, chutant de 10 pour cent par rapport au dollar et en baisse par rapport à l’euro et au yen.
Le Royaume-Uni est la cinquième économie mondiale et la deuxième en Europe. Les implications de son départ de l’UE sont généralement considérées comme pouvant provoquer son éclatement, car les sondages indiquent un vote majoritaire pour quitter l'UE en France, aux Pays-Bas, en Espagne, en Grèce, et même en Italie.
Le Royaume-Uni lui-même est partagé, car l’Angleterre et le Pays de Galles ont voté de quitter l’UE et l’Écosse et l’Irlande du Nord ont voté de rester. Cinquante-trois pour cent des électeurs en Angleterre et 52 pour cent au Pays de Galles ont voté pour le Brexit, mais 62 pour cent en Écosse et 56 pour cent en Irlande du Nord ont voté contre.
On parle d’un second référendum sur l’indépendance écossaise, et l’ancien dirigeant du Parti national écossais, Alex Salmond, insiste pour qu’un tel référendum ait lieu dans les deux années prévues par l’Article 50 du traité de Lisbonne de l’UE, qui devrait commencer le processus du retrait du Royaume Uni de l'UE.
Le chef du Sinn Fein, Gerry Adams, a déclaré que le résultat du référendum soulevait la question d’une Irlande unie, face à des suggestions de la réintroduction des contrôles et des tarifs frontaliers le long des 530 kilometres de la frontière de la République irlandaise avec l’Irelande du Nord.
En Angleterre, Londres est la seule région à avoir voté contre le Brexit, à 60 pour cent contre 40 . Toutes les autres régions a voté pour le Brexit , à 58 pour cent dans le Yorkshire et Humberside, à 54 pour cent dans le Nord-Ouest, à 59 pour cent dans les West Midlands, et à plus de 50 pour cent dans et le Sud-Est et le Sud-Ouest.
L’exception la plus importante à cette tendance de vote a été relevée parmi les personnes âgées de moins de 24 ans, dont trois sur quatre ont voté contre le Brexit.
À Westminster, la principale préoccupation était de tenter de stabiliser les marchés financiers, les banques insistant pour que Cameron retarde l’invocation de l’Article 50. Le FTSE 100 a chuté de 120 milliards de livres et de 500 points à l’ouverture, avec notamment de lourdes pertes pour les banques et les constructeurs en bâtiment. Mark Carney, le président de la Banque d’Angleterre, a promis d'introduire 250 milliards de livres dans les marchés, et enfin on spécule que les taux d’intérêt passeront à zéro d’ici le mois août et que la croissance au Royaume-Uni devrait « ralentir considérablement. »
L’annonce de la démission de Cameron a été conçue pour répondre à cette demande d'un délai. Il a insisté qu'il avait encore la prérogative de décider quand l’Article 50 serait invoqué, ce qui n'aurait lieu qu'au moment où un nouveau chef du Parti conservateur serait élu à l’automne. Son engagement est en même temps un appel à l’aile Brexit de son parti regroupée autour de l’ancien maire de Londres, Boris Johnson, qui a dirigé la campagne officielle de « Partir, » à collaborer à court terme afin d’assurer la stabilité économique.
Johnson est considéré comme le dirigeant nécessaire pour parer au défi électoral posé par le UK Independence Party (UKIP), dont le leader de UKIP, Nigel Farage, est le seul chef de parti à avoir profité du référendum en adoptant une pose populiste contre les « banques d’affaires » et l’« élite ». Il s’est positionné en critique de tout compromis relatif à l’invocation de l’Article 50.
La position du leader du Parti travailliste Jeremy Corbyn est loin d’être assurée. Les critiques formulées par ses adversaires blairistes : qu’il n’a pas fait assez pour gagner l’argument pour « Rester » ont été reprises par 10 à 15 parlementaires travaillistes qui soutenaient « Partir », Ces derniers prétendent maintenant parler pour 45 pour cent des électeurs travaillistes et l’ont condamné pour avoir abandonné son opposition précédante à l’UE et d’être « en décalage » sur la question de l’immigration.
Face à ce défi à sa position dans son parti, Corbyn, comme toujours, a réagi en tentant de trianguler entre ses critiques. Il a appelé au déclenchement immédiat de l’Article 50 comme représentant la volonté du peuple et a indiqué son soutien pour les contrôles d’immigration, sur la base de critères économiques, lorsque la législation européenne sur la libre circulation des travailleurs ne sera plus en vigueur. Mais il a tout fait en insistant que le gouvernement soit soutenu dans ses efforts pour stabiliser l’économie.
Des réunions de crise sont en cours à Bruxelles entre le président du Conseil européen Donald Tusk, président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, président du Parlement européen, Martin Schulz et le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, qui détient la présidence tournante de l’UE.
Les pourparlers entre les autres 27 États membres de l’UE doivent se tenir la semaine prochaine sans le Royaume-Uni, et Tusk a prévenu que le moment n'était pas aux «réactions hystériques.»
Cependant Manfred Weber, un membre conservateur allemand important du Parlement européen, a prévenu que le Royaume-Uni ne recevrait « aucun traitement spécial, » et a déclaré : « les négociations de sortie devraient être conclues dans les deux ans au maximum... ‘Partir’ signifie partir. »
Schulz a dit qu’il parlerait à la chancelière allemande Angela Merkel sur la façon dont l’UE « peut éviter une réaction en chaîne » où d’autres États membres pourraient suivre l’exemple du Royaume-Uni.
Le référendum a produit un mouvement significatif vers la droite en Grande-Bretagne et dans toute l’Europe. Ce résultat implique un élément important de protestation sociale, qui a conduit à une augmentation significative du taux de participation dans les zones de la classe ouvrière. La désaffection avec le gouvernement conservateur et le Parti travailliste s'est jointe à l’hostilité envers l’UE pour assurer un vote écrasant pour le Brexit, surtout parmi ceux qui gagnent moins de 15.000 livres par an.
Toutefois, la colère a été canalisée avec succès par des tendances politiques de droite profondément hostiles à la classe ouvrière, dans une campagne caractérisée par le nationalisme et la xénophobie anti-immigrés.
À travers l’Europe, de nombreux partis d’extrême droite exploitent à des fins réactionnaires le sentiment anti-UE et la dévastation sociale causée par l’austérité. Le leader du Front national de France ,Marine Le Pen, a dit : « Comme beaucoup de Français, je suis très heureuse que le peuple britannique ait tenu bon et ait fait le bon choix. » Aux Pays-Bas, le leader du Parti de la liberté de Geert Wilders a appelé à un référendum sur l’adhésion du pays à l’UE
Leur démagogie populiste dissimule le but d’une offensive plus agressive contre la classe ouvrière. Le matin de sa « victoire », Farage a déclaré que le camp de « Partir » avait fait une « erreur » en promettant que le 350 millions de livres en contributions britanniques actuelles à l’UE seraient dépensés sur le Service national de santé en cas d’un vote Brexit.
Un rôle politiquement criminel a été joué par George Galloway, le Parti ouvrier socialiste (SWP), le Parti socialiste (SP), Counterfire et le Parti communiste. Selon les explications du Parti de l’égalité socialiste (SEP), en appelant à un vote « Brexit de gauche » ils ont aidé à subordonner les travailleurs à une initiative de droite visant à décaler la vie politique encore davantage sur une trajectoire nationaliste, « renforçant et enhardissant ainsi l’extrême droit au Royaume-Uni et à travers l’Europe, tout en affaiblissant les défenses politiques de la classe ouvrière. »
En appelant à un boycott actif du référendum, le SEP a insisté que l’Union européenne était à un stade avancé de décomposition en raison de la crise économique mondiale et de la montée des antagonismes nationaux et sociaux. Mais la classe ouvrière doit formuler sa propre réponse indépendante, basée non sur une défense du capitalisme et une retraite dans l’État-nation, mais basée plutôt sur l’unification de la classe ouvrière européenne dans la lutte pour le socialisme.
(Article paru d’abord en anglais le 24 juin 2016)