Le premier ministre Benjamin Netanyahu et son gouvernement ont forcé Yaïr Golan, le chef d’Etat-major adjoint de l’Armée de défense d’Israël (ADI), à retirer ses propos qui traçaient un parallèle entre les récents développements dans la société israélienne et les processus ayant pris place en Europe avant l’Holocauste.
Netanyahu voulait indiquer qu’aucune critique ne sera tolérée sur la manière dont l’armée israélienne traite les Palestiniens ni sur le gouvernement israélien.
Les propos de Golan, qu’il a tenu dans un discours lors des commémorations de la Shoah le 4 mai dernier, ont souligné l’atmosphère anti-palestinienne et xénophobe virulente qui règne en Israël.
«Si quelque chose m’inquiète par rapport à la Shoah, c’est de reconnaître qu’il existe parmi nous aujourd’hui en 2016 des signes des mêmes processus nauséabonds qui existaient en Europe en général, et plus particulièrement en Allemagne, il y a 70, 80, 90 ans», a déclaré Golan.
L’Holocauste «doit nous faire réfléchir sérieusement à la responsabilité de nos dirigeants et à la qualité de notre société, et doit nous amener à réfléchir à la façon dont nous traitons, ici et maintenant, l’étranger, l’orphelin et la veuve […]».
Il a ajouté: «Après tout, il n’y a rien de plus simple et de plus facile que de haïr l’étranger, de susciter la peur et d’intimider […], de devenir bestial, d’oublier les principes et d’être content de soi […] En ce Jour de la Shoah, nous devrions débattre de notre capacité à éradiquer l’intolérance, la violence, l’auto-destruction et la détérioration morale.»
Golan a tenu ces propos en réaction à la ferveur nationaliste extrême exprimée dans les manifestations en soutien au soldat de l’armée israélienne, Elor Azaria.
Azaria a été filmé alors qu’il faisait feu sur un présumé assaillant palestinien, lequel gisait au sol, inapte, après avoir été blessé par balles par l’ADI. Le crime était si flagrant que les autorités militaires ont été forcées de l’inculper pour homicide «ayant causé de façon illégale la mort» d’Abdul Fatah al-Sharif à Hébron le mois dernier.
Al-Sharif est un des quelque 200 palestiniens tués par l’ADI depuis le début des conflits qui ont éclaté en octobre dernier après que des ultra-nationalistes israéliens aient tenté de prendre contrôle de l’enceinte de la mosquée d’Al-Aqsa dans le territoire occupé de Jérusalem-Est. Les rassemblements, et les déclarations des politiciens lors de ces rassemblements, véhiculaient le message que tous les Palestiniens sont des terroristes et qu’il était non seulement justifiable mais aussi souhaitable de tuer des Palestiniens, peu importe les circonstances.
Bien que les propos de Golan soient vrais, ils ne sont rien de plus qu’une critique courtoise du chauvinisme national et religieux entretenu délibérément par les gouvernements israéliens successifs. Cela fait partie d’une vaste campagne visant à cultiver un électorat appuyant l’expansion d’Israël dans les territoires saisis durant la guerre de 1967. Il est commun pour ces couches d’insulter les Palestiniens, de chanter des slogans comme «mort aux Arabes» et de vandaliser des propriétés ou de carrément tuer des Palestiniens sans que cela ne soit puni ni même signalé.
Les propos de Golan vont à l'encontre du portrait officiel d'Israël en tant que victime d’un monde hostile voulant sa destruction, portrait que Netanyahu et ses acolytes aiment dépeindre. Israël évoque régulièrement et cyniquement l’Holocauste pour justifier la répression brutale des Palestiniens, les assauts militaires constants sur les territoires occupés, les guerres et les menaces contre des pays voisins, y compris l’Iran.
Golan n’est pas un libéral. Il parle en tant que militaire qui a occupé des postes de haute direction dans l’ADI, laquelle a commis des crimes atroces contre le Liban, Gaza et le peuple palestinien en Cisjordanie. Il était commandant lors des premières opérations de l’ADI contre les Palestiniens en Cisjordanie au cours de la deuxième Intifada en 2000, et a utilisé des Palestiniens comme boucliers humains pour entrer de force dans des résidences de supposés terroristes, une procédure ayant été bannie en 2005 par la Haute Cour israélienne, et pour laquelle il a été réprimandé en 2007.
C’est sous sa direction du Commandement du Nord que des soldats blessés provenant des forces par procuration des États-Unis et du Golfe utilisées dans la guerre visant à renverser Basha al-Assad en Syrie ont été admis à Israël afin de recevoir des traitements médicaux en 2013. Depuis, plus de 2000 mercenaires islamistes ont été soignés dans les hôpitaux israéliens.
C’est en tant que loyal serviteur d’Israël que le haut gradé militaire a prévenu l’élite dirigeante que l’état politique nocif dans lequel se trouve de manière de plus en plus évidente la société israélienne menace sa propre survie.
La réaction de Netanyahu a été de tirer sur le messager. Ses remarques ont provoqué une véritable chasse-aux-sorcières de la part des médias israéliens, lesquels ont déclenché une campagne diffamatoire, déformant les propos de Golan pour insinuer qu’il avait comparé l’ADI à la Wehrmacht, Israël aux nazis, et les Palestiniens aux Juifs qui ont été transportés dans les camps de concentration. Il a été accusé de «banaliser l’Holocauste», d’entacher le nom de l’ADI et de diffamer l’État. Certains ont appelé à sa démission.
La réaction hystérique a été en partie conditionnée par le fait que le régime sioniste et ses supporteurs à travers le monde se trouvaient dans une campagne similaire et reliée visant à étiqueter le Parti travailliste britannique comme antisémite.
Cette campagne est basée sur de fausses accusations dirigées contre Ken Livingstone, un travailliste de longue-date et ancien maire de Londres, pour les propos qu’il a tenus en défense du député travailliste Naz Shah et pour lesquels il a été suspendu.
Livingstone avait dit: «Rappelons-nous que quand Hitler a remporté son élection en 1932 [sic] sa politique était alors que les Juifs devraient être déplacés en Israël. Il soutenait le sionisme. [Il est ensuite] devenu fou et a fini par tuer 6 millions de Juifs.» Mais Livingstone et d’autres ont été accusés d’antisémitisme pour avoir fait une certaine comparaison entre le traitement des juifs par l’Allemagne nazie et celui des Palestiniens par Israël. En fait, un commentateur télévisé a noté que si Golan avait été un politicien travailliste britannique, il aurait été expulsé du parti en moins d’une heure.
Golan a retiré ses remarques le jour suivant, disant qu’il ne voulait pas comparer Israël et l’ADI avec ce qui a pris place en Allemagne il y a 70 ans. Il n’a pas cherché non plus à critiquer la direction politique d’Israël. Il a conclu en réitérant l’idée absurde que l’ADI est une armée morale qui maintient la «pureté des armes» – comme le stipule la doctrine officielle de l’armée israélienne et son devoir d’agir uniquement de manière à recevoir l’approbation morale et le soutien politique de la «communauté» internationale.
Ce recul, toutefois, n’a servi qu’à souligner la vérité dans ses remarques timorées à propos de la nature antidémocratique de l’État israélien, où la moindre critique est inacceptable. La demande de Netanyahu que Golan se rétracte démontre que la classe dirigeante israélienne, de plus en plus isolée et démoralisée, a complètement perdu la tête et n’a aucune réponse à la crise qu’elle confronte hormis la brutalité, l’autoritarisme et la guerre.
Nonobstant la propagande nationaliste voulant que l’État sioniste représente tous les gens de confession juive, Israël est une société capitaliste divisée en classes sociales et marquée par de puissants antagonismes sociaux. C’est un État fondé sur le déplacement d’une vaste partie de la population arabe et la réduction du reste à une catégorie de citoyens de seconde classe, dans un ordre social dominé par la religion et dédié à préserver la domination d’une poignée de milliardaires.
L’incitation au racisme et à la violence contre les Palestiniens, puis l’attaque sur les droits démocratiques fondamentaux que cela nécessite, y compris le droit de dire la vérité, sont des mesures associées à l’Allemagne nazie et aux dictatures des années 1930. Peu importe les excuses offertes, peu importe les efforts pour interdire la critique, cela ne fera qu’approfondir l’hostilité envers le sionisme à travers le Moyen-Orient, à travers le monde et parmi les jeunes et les travailleurs juifs en Israël même.