Le débrayage des 39.000 travailleurs de Verizon dans le Nord-Est et le Centre-Atlantique des États-Unis est rendu au point critique. La détermination des travailleurs de résister aux demandes de reculs majeurs de la part du géant des télécommunications est démontrée par les piquets de masse de lundi matin qui ont mobilisé des milliers de travailleurs devant un hôtel du centre-ville de Manhattan hébergeant des briseurs de grève.
Cette grève est devenue un point central d’opposition. De vastes sections de travailleurs et de jeunes expriment leur soutien aux grévistes de Verizon, des pompiers aux travailleurs des chaines de restauration rapide, en passant par les enseignants et les étudiants. Les travailleurs de Verizon expriment un sentiment croissant de résistance dans la classe ouvrière qui ne cesse d'encaisser une baisse continue de son niveau de vie depuis des décennies, tandis que les bénéfices des sociétés, la rémunération des PDG et les marchés boursiers ne cessent d'atteindre de nouveaux sommets.
Il est devenu clair, cependant, que les Communications Workers of America (CWA) et la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (FIOE) – International Brotherhood of Electrical Workers (IBEW), n’ont aucune stratégie pour mener cette grève et n’ont même aucune intention de la gagner. En fait, toutes les mesures prises par les syndicats n’ont fait qu’aider et encourager les gestionnaires de l’entreprise et renforcer leur intransigeance. Les dirigeants d’entreprise tels le PDG Lowell McAdam savent depuis longtemps ce que valent les dirigeants des CWA et de la FIOE, et que ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne trahissent à nouveau les travailleurs de Verizon.
Alors que les CWA et la FIOE ont forcé les travailleurs à travailler sans contrat pendant huit mois et donné 200 millions $ en restitution, Verizon préparait des plans pour mobiliser ses gestionnaires partout au pays afin de former des travailleurs de remplacement pour lui permettre de poursuivre ses activités en prévision de la grève qu’elle provoquait. La société a refusé de se livrer à de nouvelles négociations et a exigé que le syndicat accepte la médiation fédérale, sachant très bien que le résultat ne serait pas différent de celui de 2011, lorsque les CWA ont fait des concessions importantes dans leurs programmes de soins de santé.
Opposé à toute lutte réelle qui viendrait perturber son «partenariat» corporatiste avec l’entreprise et ses relations avec le Parti démocrate, le syndicat des CWA, à l’exemple d’autres syndicats, isole la lutte des travailleurs de Verizon, quand bien même que tous les travailleurs des télécommunications sont confrontés aux mêmes attaques – la destruction des emplois, l’externalisation, les attaques sur les soins de santé et les pensions. Ainsi, pas plus tard que la semaine dernière, les CWA ont ordonné à 15.000 travailleurs d’AT&T West en Californie, au Nevada et à Hawaii de rester au travail sans contrat, en dépit de l’expiration de leur convention collective. Les CWA ont défié le vote de grève massif des travailleurs d’AT&T contre l'employeur, en dépit du fait que la société est très rentable, celle-ci venant tout juste de dépenser 49 milliards $ pour acheter DirectTV l’an dernier. De plus, elle continue d’exiger, selon les dires même des CWA, des «concessions scandaleuses».
En laissant les travailleurs vulnérables à cette attaque coordonnée, les syndicats tentent de semer une complaisance mortelle chez les travailleurs. Ils ont par exemple affirmé que les sociétés géantes, jouissant du plein appui des deux partis de la grande entreprise, des tribunaux et des médiateurs fédéraux, peuvent malgré tout être forcées de reculer au moyen de coups de publicité inefficaces, si l'on attire l’attention des médias sur elles, et avec des déclarations vides de soutien bidon provenant de démocrates comme Bernie Sanders, Bill et Hillary Clinton, ainsi que Chuck Schumer, le sénateur de l'État de New York.
Toute la stratégie des CWA et de la FIOE est de subordonner la lutte des travailleurs de Verizon aux manœuvres politiques des démocrates, qui tenaient mardi leurs primaires présidentielles à New York. L’ancien président Bill Clinton a visité les piquets de grève à Buffalo, dans l'État de New York lundi. Mais c'est lui-même qui a dirigé la déréglementation de l’industrie des télécommunications en 1996, encourageant la vague de fusions et d'acquisitions qui a abouti à la monopolisation de l’industrie et à l’anéantissement de centaines de milliers d’emplois.
L’administration Obama, avec le plein soutien de Clinton et de Bernie Sanders, le candidat favori des CWA, a mis en œuvre l'Affordable Care Act, la «Loi sur les soins abordables», loi bien mal nommée et qui est utilisée par Verizon et le reste des entreprises américaines pour forcer les travailleurs à accepter une couverture inférieure et à leur faire porter un plus gros fardeau financier.
Les deux partis politiques ont également remis des milliards à Verizon et AT&T pour subventionner l’expansion supposée de leurs systèmes à fibres optiques, tout en élevant les plafonds sur les tarifs facturés aux clients. Le résultat de tout cela est visible dans la construction du réseau de service de fibres optiques prévu pour Boston alors que Verizon récolte des bénéfices exceptionnels en utilisant apparemment l’argent des contribuables et l'infrastructure publique, en combinaison avec les concessions de «flexibilité de la main d'œuvre» accordées par la FIOE et la nouvelle technologie nécessitant moins de main-d'œuvre.
Tout dépend de l’initiative indépendante des travailleurs de la base pour empêcher que cette lutte ne soit défaite comme la grève de 2011 et les innombrables autres luttes qui ont été trahies par les fédérations syndicales AFL-CIO et «Change to Win». Le Parti de l’égalité socialiste et le bulletin de grève de Verizon publié par le WSWS, le Verizon Strike Newsletter, invitent les travailleurs à élire de nouveaux organes de lutte pour les représenter: des comités de grève de la base, contrôlés démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes et libres de l’autorité de quelque faction bureaucratique des CWA et de la FIOE, ou des partis politiques de la grande entreprise.
Ces comités doivent s'opposer au sabotage de la grève, y compris à la possibilité que les CWA y mettent tout simplement fin peu après les primaires de l'État de New York. Les travailleurs de Verizon doivent lutter pour la mobilisation des sections les plus vastes de la classe ouvrière, les travailleurs de l'automobile et de l’acier, les enseignants et autres travailleurs du secteur public, les étudiants des écoles secondaires et des universités, ainsi que toutes les autres sections des travailleurs, pour qu'ils viennent à leur défense. Cette démarche doit être le début d’une contre-offensive industrielle et politique commune pour s'opposer aux assauts des entreprises contre la classe ouvrière qui sont soutenus par le gouvernement.
Des grévistes de Verizon ont parlé à l'équipe du Verizon Strike Newsletter lundi lors du rassemblement dans le quartier des affaires Midtown Manhattan de la ville de New York. Gina Woods, une employée technique interne, a déclaré: «Nous nous battons pour nos avantages sociaux, nos emplois, nos droits, nos pensions et notre couverture médicale. Ce travail est notre gagne-pain. Ils veulent plafonner nos pensions à 30 ans, augmenter nos coûts médicaux, mais sans même nous donner une augmentation suffisante pour couvrir le coût des compressions dans les soins de santé. Ils veulent donner tous les postes de service à la clientèle à des employés techniques temporaires. Ils ne peuvent pas envoyer les emplois de haute technologie à l’externe, mais ils sont néanmoins prêts à envoyer les gens à plus de 120 km de chez eux en moins de deux.
«Le syndicat dit que s'ils ne retirent pas de la table les quatre enjeux que sont les salaires, les pensions, la sous-traitance et la couverture médicale, ils ne rencontreront pas à nouveau la société. Les patrons ne veulent pas entendre que leur augmentation salariale de 2 % ne couvre pas les frais médicaux.
«La société s'est préparée. J’ai entendu dire qu’ils ont maintenant 17.000 gestionnaires pour couvrir le travail de 40.000 employés. Tout est en retard et les clients souffrent de cette situation. Nous n'aurions pas dû retourner si vite au travail en 2011. Nous sommes prêts à ne pas rentrer ce coup-ci.»
Steven Delorbe, un technicien de terrain habitant dans le Bronx, a critiqué la décision de la section 1101 des CWA d’annuler l'assemblée générale des membres de mardi. «Compte tenu de ce qui se passe en ce moment, il me semble que l'on veut avoir des informations. Je n’ai rien appris de quoi que ce soit des porte-paroles de ce matin. Je voudrais savoir comment la grève nous aide à nous ramener à la table des négociations. Je pense qu'on sait pourquoi la grève a été appelée maintenant malgré le fait que la société n’a pas bougé en 10 mois. Je pense que le calendrier de grève a été décidé pour coïncider avec le passage des candidats des primaires en ville.
«Ils essaient d’externaliser des bureaux à travers le pays et à l’étranger. Je n’ai pas de commentaire à faire sur la taxe de 40 pour cent que l'Obamacare impose sur notre couverture de soins de santé désignée comme une «politique de Cadillac», mais le monde est mécontent des compressions. Je dois protéger ma famille, et jusqu’à la dernière convention collective, nous étions pleinement couverts. Après la grève de 2011, quand nous sommes retournés au travail avant la tempête, nous avons accepté des concessions et avons commencé à devoir payer pour les soins de santé. Je ne sais pas pourquoi nous sommes retournés au travail en 2011. Je pensais que de rester en grève plus longtemps nous aurait alors permis d’éviter de faire plus de concessions.»
Les reporters du Verizon Strike Newsletter du WSWS se sont également entretenus avec des grévistes dans le nord de la Virginie.
Un travailleur avec plus de 20 ans d’expérience, qui a demandé à rester anonyme par crainte de représailles de son employeur, a dit qu’il avait vu l’article du WSWS sur Twitter. Bien qu’il ne se considère pas socialiste, il s'est dit d'accord avec le WSWS et a dit que le site «faisait du bon travail» dans sa couverture de la grève.
Il a noté qu’il y avait une «atmosphère de conflit» dans le milieu de travail, les travailleurs étant «sans cesse épiés et surveillés». À tout instant plane la menace des mesures disciplinaires. «Je n’ai jamais vu un climat de travail aussi hostile.»
Il a dit que de venir au travail lui donnait l'impression de se sentir un peu comme une «femme battue», sachant très bien que ce n'est qu'une question de temps avant la prochaine correction.
«Il y a toutes sortes de règlements arbitraires qui peuvent être utilisés par la direction pour discipliner les travailleurs. Par exemple, vous pouvez être discipliné pour avoir un camion en désordre, c'est-à-dire pour avoir laissé une tablette presse-papiers sur le siège par exemple. Aucun appareil électronique n'est autorisé dans les fourgonnettes, y compris les téléphones cellulaires, qui doivent être rangés à l’arrière de la fourgonnette. Si un superviseur appelle le téléphone cellulaire d'un employé et que celui-ci prend l'appel, il va avoir des ennuis.»
Jerry, un technicien-réparateur comptant 15 ans de service dans l'entreprise, a déclaré que ces règles n'étaient qu'une autre stratégie de l’entreprise pour se débarrasser des travailleurs. Les techniciens-réparateurs sont souvent «affectés intentionnellement à des tâches impossibles à réaliser, explique-t-il. Par exemple, ils peuvent se voir confier six tâches entre 8 h et midi, ce qui est impossible à accomplir. Les techniciens-réparateurs ont la responsabilité d'appeler les clients s’ils ne peuvent pas se rendre chez eux et renégocier un rendez-vous de service. Si un client se plaint, le technicien-réparateur peut être renvoyé pour "mauvais traitement d'un client".»
Les travailleurs de Verizon n'ont pas eu d'augmentation de salaire importante depuis des années, a-t-il rajouté. En fait, il a l'impression que cela fait des années qu’ils ont obtenu quoi que ce soit de substantiel et durable. Il dit que c'est similaire à ce qui a été vu avec les concessions accordées par les TUA (UAW).
Interrogé sur le Parti démocrate, un autre technicien-réparateur dit qu’il «gueule dans la salle de réunion du syndicat depuis des années que nous soutenons les démocrates qui nous oublient tout à fait dès qu'ils sont élus. Nous avons besoin d’un parti ouvrier fort, un parti socialiste», a-t-il dit.
Notant le faible nombre de grèves, le travailleur estime que «le peuple américain semble s'être endormi». Un journaliste du WSWS a mentionné que les syndicats sont en grande partie responsables de la suppression de la lutte des classes. Le travailleur a acquiescé, en disant que les syndicats étaient comme un «chien édenté» qui souhaite seulement encaisser les cotisations.
«Le syndicat est une entreprise tout autant que Verizon est une entreprise», a fait remarquer le travailleur.
(Article paru en anglais le 19 avril 2016)