Des masses de travailleurs et de jeunes, 1,2 million selon les syndicats et 390.000 selon la police, ont manifesté hier à travers la France contre la Loi El Khomri. Bravant l'état d'urgence liberticide imposé par Hollande et une large présence de CRS lourdement armés, des lycéens, des étudiants, et des couches grandissantes de travailleurs se sont mobilisés contre la politique d'austérité du Parti socialiste.
Selon les organisations syndicales et étudiantes, cette journée a donné lieu à plus de 200 défilés, manifestations et rassemblements en France. D’après les syndicats les rassemblements sur Paris, Marseille et Toulouse ont rassemblé plus de 100 000 personnes et plusieurs dizaines de milliers de personnes à Nantes, Bordeaux ou encore Montpellier.
Selon le ministère de l’Education nationale, quelque 176 lycées étaient bloqués en France ce jeudi matin, totalement ou partiellement, sur les 2.500 établissements publics répartis sur le territoire national. Selon les syndicats lycéens, il y a 250 blocages. Une vingtaine de lycées parisiens fermés préventivement, un fait qualifié « d’historique » par Philippe Tournier, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale.
Les dockers et ouvriers portuaires étaient aussi à la manœuvre à Rouen et au Havre, bloquant plusieurs dizaines de ponts et d’entrées dans les villes, zones industrielles et portuaires. Ils se sont également mobilisés à Marseille, aux côtés des cheminots et de travailleurs d'Air France et du sidérurgiste Arcelor-Mittal.
Les transports étaient également perturbés par les grèves. Un TER sur deux en province et un train francilien sur deux sont annoncés. La SNCF prévoit 4 trains intercités sur 10 de jour et aucun de nuit. Sur le réseau TGV, un train sur deux est prévu sur l'axe Nord, 3 sur 4 sur les axes Atlantique et Sud-Est.
A Orly, il y avait «30 minutes de retard en moyenne au niveau des départs», indiquent des sources aéroportuaires. A la demande de la direction générale de l’aviation civile, 20 pour cent des vols à l’aéroport d’Orly et un tiers à Marseille ont été préventivement annulés.
Le PS est très inquiet de la tournure que prennent les manifestations. Depuis Matignon, au sortir d’une réunion des ministres et des secrétaires d’Etat, le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a appelé « tout le monde au calme ... il ne faut pas donner l’occasion à certains de casser ou d’avoir des actes de violence. Donc j’appelle tout le monde au calme, par définition, et par respect aussi des règles de la République. On ne peut pas accepter non plus des violences ».
Le PS a mis en place un important dispositif de sécurité, digne d’un Etat policier, assemblé en réponse à l’opposition des travailleurs et des étudiants pour tenter de les intimider. Les manifestations se sont déroulées sous le regard hostile de larges contingents de CRS et de gendarmes mobiles lourdement armés.
A Paris, de nombreux contingents de centaines de CRS armés de boucliers et de matraques entouraient les différents cortèges, surtout ceux des jeunes. Avant le début des manifestations, de nombreux policiers en civil se rassemblaient avec les CRS et les gendarmes avant de se fondre dans les foules.
Un étudiant a dit au WSWS que des agents des Renseignements Généraux interviennent auprès des assemblées générales estudiantines, distribuent des matériels, et les incitent à dénoncer tout comportement suspect de la part de leurs camarades.
Plusieurs cortèges ont été émaillés par des incidents, notamment à Paris, Nantes, et Rennes. En région parisienne, la police a effectué une dizaine d’interpellations pour des jets de projectiles. A Nantes, la police a fait usage de canons à eau pour attaquer les manifestants.
A Rennes, où 8.000 personnes manifestaient selon les premières estimations des syndicats, les forces de l'ordre ont tiré de larges quantités de gaz lacrymogène contre les manifestants. Sept policiers ont été blessés et une cinquantaine d’interpellations ont été effectuées.
Après quatre ans pendant lesquels l'opposition des travailleurs au PS a été étranglée par les appareils syndicaux et les alliés politiques du PS, tels que le Front de gauche ou le Nouveau parti anticapitaliste, les tensions de classe en France prennent des formes explosives. 71 pour cent de la population s'oppose à une réforme du droit du travail qui allongerait la durée du travail et saborderait le Code du Travail.
Les manifestants ont rejeté les tentatives d'intimider le mouvement en citant l'état d'urgence et les atrocités terroristes à Paris et à Bruxelles, commis par des réseaux islamistes issus de la guerre impérialiste menée par les puissances de l'OTAN en Syrie.
L'élite dirigeante n'a aucune intention de rechercher un compromis qui tiendrait compte des revendications des salariés. Insistant sur la compétivité du capital français et poussés par le contexte mondial économique et militaire profondément instable, le patronat, le PS et de larges sections des appareils syndicaux veulent à tout prix passer en force et liquider des acquis historiques des travailleurs.
La seule voie pour aller de l'avant pour les jeunes et les travailleurs est d'ôter le contrôle de la lutte aux bureaucracies syndicales, de rompre avec les alliés politiques du PS, et de mobiliser des sections toujours plus larges de la classe ouvrière en lutte. Ceci signifie s'émanciper du cadre national, et faire appel à une lutte internationale des travailleurs contre la poussée à la guerre, les attaques contre les droits démocratiques tels que l'état d'urgence, et la politique d'austéritée menée par toute l'Union européenne.
Les travailleurs ont besoin de leurs propres organes de luttes, libérés de toute influence des vieux partis et des syndicats, qui ne font que trahir les luttes. Les appareils syndicaux ne s'opposent pas à la loi, ce qui est le plus ouvertement le cas de la CFDT.
La CGT et ses alliés tentent de contrôler le mouvement pour stabiliser le gouvernement et couvrir ce dernier en réclamant des ajustements de la loi pour l'imposer plus facilement ensuite. Craignant de perdre le contrôle de l'opposition s'ils n'appellaient pas à une autre mobilisation, les appareils syndicaux ont appelé à deux autres journées de mobilisation les 5 et 9 avril.
A la CFDT, Véronique Descacq s'est fendue de l'estimation grotesque qu'un retrait de la Loi El Khomri serait « une défaite des salariés ». Sur RTL, elle a dit, « Aujourd’hui on a réussi à faire avancer nos propositions et on continue à le faire avec les parlementaires. Quelques militants CFDT sont dans la rue aujourd’hui mais on partage tous le même point de vue, il faut peser pour que ce texte change et s’améliore ».
La CGT déclarait dans une déclaration unitaire avant la manifestation : « A l’issue de la journée du 31, le gouvernement doit répondre. Si tel n’était pas le cas, les organisations signataires inviteront les salarié-es et les jeunes à débattre la poursuite de l’action dans les jours suivants et à renforcer les mobilisations, y compris par la grève et les manifestations. ».
Poussant à l’arrêt les manifestations en invitant à débattre d’une capitulation ou non devant le PS, la CGT voulait ainsi cacher qu’il est sur la même ligne que le PS.