La détention et l’interrogatoire de l’ex-président brésilien et fondateur du Parti des travailleurs (Partido dos Trabalhadores – PT), Luiz Inácio Lula da Silva, la semaine dernière, dans le cadre d’un scandale Petrobras qui s’amplifie, ont considérablement intensifié la crise, non seulement du parti au pouvoir mais encore du régime bourgeois brésilien dans son ensemble.
Lula est accusé d’être « l’un des principaux bénéficiaires » de la corruption à Petrobras. Il est allégué qu’il a reçu des faveurs et des pots-de-vin d’entreprises de construction brésiliennes en échange de contrats avec le conglomérat énergétique.
Le PT est au pouvoir depuis plus d’une douzaine d’années; il est devenu le principal parti du capitalisme brésilien, défend les intérêts de l’oligarchie financière et d’entreprise au pouvoir tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, et détourne scrupuleusement vers Wall Street des centaines de milliards de dollars de ressources sociales pour le service de la dette du pays.
La présidence de Lula, puis celle de sa successeur désignée l’actuelle présidente Dilma Rousseff, ont coïncidé avec un boom sans précédent des matières primaires, alimenté en grande partie par l’industrialisation de la Chine et de l’Inde, et avec une frénésie d’investissement de capitaux étrangers dans les « marchés émergents », le Brésil étant dans le peloton de tête.
Cet environnement économique temporaire a servi de base au prétendu « tournant à gauche » de l’Amérique latine, qui a vu les gouvernements du Brésil, du Venezuela, de la Bolivie, de l’Argentine et de l’Équateur poursuivre des programmes limités de protection sociale visant à atténuer les tensions de classe tout en adoptant une posture nationaliste de gauche.
Le boom des matières premières s’est arrêté avec la décélération de la croissance chinoise, tandis que le Brésil, ancien chouchou des marchés financiers, était rabaissé au statut de pacotille par les agences de notation de Wall Street.
La crise du PT au Brésil s’est développée parallèlement à celles du chavisme au Venezuela, du péronisme en Argentine et du gouvernement du Mouvement vers le socialisme d’Evo Morales en Bolivie, toutes entraînées par la même crise mondiale du système capitaliste.
De tous ces mouvements politiques, le PT est le plus important et le plus durable; il gouverne le plus grand pays et la plus grande économie d’Amérique latine; la majorité de la population du Brésil a vécu toute sa vie consciente sous des gouvernements du PT.
Fondé en 1980 dans le sillage d’une vague de grèves de masse militantes qui a fatalement déstabilisé une dictature militaire de 20 ans, le PT et la fédération syndicale affiliée CUT, ont servi d’instruments pour détourner les aspirations révolutionnaires de la classe ouvrière brésilienne et les faire retourner sous la domination de l’État bourgeois.
A côté de fonctionnaires syndicaux, de militants catholiques et d’universitaires, le rôle crucial dans la construction du PT a été joué par une coterie d’organisations pseudo de gauche qui a promu le Parti des travailleurs comme une alternative à la construction d’un parti révolutionnaire de masse de la classe ouvrière. Leurs homologues en Europe, en particulier les groupes alignés sur le Secrétariat unifié, la tendance révisionniste identifiée historiquement avec Ernest Mandel, ont promu le PT comme un modèle pour le développement de partis similaires au plan international.
Certains de ces groupes pseudo de gauche, comme la tendance Moréniste maintenant organisée dans le PSTU (Parti socialiste unifié des travailleurs) ont été expulsés du PT alors qu’il allait toujours plus à droite. D’autres ont réussi à rester à l’intérieur, y compris le groupe mandéliste, Democracia Socialista, dont le principal dirigeant Miguel Rosseto est devenu ministre de la Réforme agraire et est aujourd’hui directeur de cabinet de Rousseff et son porte-parole principal.
Le rôle crucial joué par ces tendances, aussi bien celles qui furent expulsés que celles qui sont restées, était de fournir un vernis « socialiste » à un parti capitaliste totalement réactionnaire et corrompu. Ils l’ont fait par la promotion non seulement du PT, mais aussi des syndicats de la CUT et divers « mouvements sociaux » domestiqués, qui ont tous servi à subordonner les luttes de la classe ouvrière brésilienne aux intérêts du capital brésilien et international.
La trahison historique du mouvement révolutionnaire qui émergeait en opposition à la dictature militaire il y a 35 ans trouve maintenant son expression achevée dans la crise profonde et la disgrâce du PT, dont les figures de premier plan sont toutes entraînées dans le bourbier du scandale de corruption et de pots-de-vin estimés à 2 milliards de dollars, entourant Petrobras.
La semaine passée, des articles ont révélé que le chef du PT au Sénat brésilien, Delcidio Amaral, arrêté en novembre dernier en relation avec le scandale Petrobras, était arrivé à une transaction pénale avec les procureurs fédéraux, dans laquelle il a accusé Lula de tenter de faire taire les témoins de l’enquête et Rousseff d’avoir eu « pleine connaissance » d’un accord par lequel Petrobras avait acheté une raffinerie vieillissante à Pasadena, Texas, à un prix considérablement gonflé, des millions de dollars étant canalisés vers les cadres, les politiciens et les coffres du PT. Rousseff présidait le conseil d’administration de la compagnie pétrolière au moment de l’accord.
Ces accusations, ainsi que l’interrogatoire de Lula, ont ravivé la campagne de la droite brésilienne pour demander la destitution de Rousseff. Pour ce dimanche, la droite a appelé à des manifestations de masse à travers le pays pour exiger l’éviction du président du PT. Des rassemblements ont été appelés le même jour par les partisans du PT en défense de Lula et Rousseff, et on a averti de violents affrontements potentiels.
Pour les travailleurs brésiliens, la crise actuelle, la pire depuis la Grande Dépression des années 1930, a des effets catastrophiques. Plus d’un million d’emplois ont été éliminés en 2015, beaucoup dans l’automobile et les industries connexes. Des millions de jeunes diplômés de l’université sont sans perspectives d’emploi. Un taux d’inflation de 10 pour cent a coupé la valeur des salaires réels, les dépenses des ménages étaient en baisse de 4 pour cent l’an dernier faisant s’enfoncer le pays encore plus dans la récession.
La réponse du gouvernement Rousseff à la crise est un ensemble de mesures d'austérité qui attaquent les retraites et les dépenses sociales, aggravant encore les conditions de vie de la classe ouvrière. Alors que les opposants de droite du PT bloquent ces mesures par tactique politique, visant à favoriser le processus de destitution, leur remède est le même, voire pire.
Des économistes bourgeois et des fabriques d’idées capitalistes ont avancé la thèse que le véritable défi pour l’économie brésilienne est celui du dépouillement de la population brésilienne des droits sociaux limités contenus dans la Constitution de 1988, adoptée après la dictature militaire, et l’ouverture du pays à une domination sans entraves du capital international.
De telles mesures ne peuvent être mises en œuvre pacifiquement. Le développement le plus significatif peut-être en rapport avec la brève détention de Lula a été rapporté par deux chroniqueurs du quotidien brésilien de droite O Globo.
Ricardo Noblat d’O Globo a rapporté qu’au moment de l'arrestation, un bataillon de l'armée avait été placée en état d'alerte à Sao Paulo au cas où l’on perdrait le contrôle des protestations.
Selon Noblat, « les membres du Haut commandement de l’armée ont téléphoné aux gouverneurs des États les plus sujets à des conflits entre militants politiques et les ont mis en garde quant à la nécessité de maintenir la paix sociale ». Écrivant en faveur de la destitution, le chroniqueur a affirmé que les généraux ne voulaient pas « être appelés à intervenir pour garantir la loi et l’ordre, comme le prévoit la Constitution. »
Autre chroniqueur d’O Globo, Merval Pereira a invoqué cette même « mission » constitutionnelle de l’armée, avertissant que si les partis de droite opposés au PT « ne s’unissent pas pour trouver une sortie démocratique de la crise, nous serons confrontés à la menace d’une rétrogression institutionnelle. » En d’autres termes, à un retour à la dictature militaire.
Le PT et les diverses organisations pseudo de gauche qui l’ont promu sont responsables de l’impasse dangereuse à laquelle sont à présent confrontés les travailleurs brésiliens. La réponse à cette crise doit être trouvée dans la lutte pour construire une nouvelle direction révolutionnaire dans la classe ouvrière, sur la base d’une perspective socialiste et internationaliste et forgée dans une lutte sans merci contre la politique du PT et de ses apologistes.
(Article paru d’abord en anglais le 9 mars 2016)