Vendredi 25 mars, une série de nouvelles révélations stupéfiantes ont été faites sur des défaillances inexplicables des forces de sécurité belges et alliées ayant aidé les terroristes à ne pas être détectés avant les attentats du 22 mars à Bruxelles. Après la constitution d’une commission parlementaire d’enquête multipartite le 24 mars au soir, une crise gouvernementale s’est ouverte en Belgique, le siège tant de l’Union européenne que de l’alliance militaire de l’OTAN.
Ces révélations touchaient à la fois aux auteurs des attentats de Bruxelles ayant coûté la vie à trente et une personnes et en ayant blessé deux cent soixante-dix, et à Salah Abdeslam qui a participé aux attaques du 13 novembre à Paris et n’a été capturé par la police que le 18 mars, quatre mois après avoir fui à Bruxelles.
Selon un article publié par Gilbert Dupont dans Derniere Heure-Les Sports, largement repris dans d’autres journaux francophones, la police belge était depuis le début au courant de l’endroit où se trouvait Abdeslam. Pendant les quatre mois où il était en fuite, décrit par les responsables et les médias internationaux comme « l’homme le plus recherché » d’Europe en raison de son rôle dans les attaques du 13 novembre, des éléments dans les forces de police savaient précisément où il se cachait dans la région bruxelloise.
Dupont écrit: « Selon nos informations, un policier de Malines avait, dès le 7 décembre dernier, dans un rapport confidentiel destiné à la cellule antiterrorisme de la police judiciaire fédérale de Bruxelles, donné l’adresse du 79, rue des Quatre Vents à Molenbeek où fut trouvé Salah Abdeslam vendredi passé. Le rapport confidentiel (ce qui, dans le jargon, s’appelle un RIR - Rapport Informatief Rapport) n’a pas été transmis. Il a été retenu et est resté coincé trois mois à la police de Malines. »
Le comité de surveillance de la police belge (Comité P) a lancé une enquête sur la question. On ne sait cependant pas exactement où le rapport a été bloqué et jusqu’où il est allé dans la chaîne de commandement, étant donné que la police de Malines nie avoir bloqué, ou même vu, le rapport.
Le Monde a révélé que, autre défaillance remarquable, la police belge n’a interrogé Abdeslam que deux heures en tout entre sa capture le 18 mars et les attaques du 22 mars. Après avoir examiné les procès-verbaux d’enquête, le journal a écrit qu’il a été interrogé à deux reprises, une heure chaque fois, le 19 mars, une fois par la police et une fois par un juge d’instruction.
Le journal fait observer, « Un temps qui semble bien court compte tenu de la valeur de ce prévenu. Cette audition, assez sommaire, truffée d’incohérences, montre que les enquêteurs ont peut-être raté une occasion d’obtenir des renseignements qui auraient pu permettre de déjouer les attentats du 22 mars. »
Le court interrogatoire d’Abdeslam n’a pas été la seule occasion manquée de prévenir les attaques du 22 mars. Les frères El Bakraoui, auteurs des attentats-suicides, étaient connus des services de renseignement américains et figuraient sur les listes américaines d’interdiction de vol. Les responsables turcs ont nommé Ibrahim El Bakraoui comme combattant islamiste à leurs homologues belges, et les renseignement russe et israélien ont dit au gouvernement belge que des attaques étaient imminentes sur l’aéroport de Zaventem et le métro de Bruxelles.
De premiers récits commencent à apparaître sur la série de défaillances extraordinaires faisant que les avertissements turcs auraient été négligés à Bruxelles. Des officiers de liaison belges en Turquie n’ont pas vérifié leur e-mail en temps voulu pour découvrir que la Turquie avait expulsé Ibrahim El Bakraoui vers l’Europe sur des soupçons de terrorisme en juillet 2015. Fait stupéfiant, une fois qu’ils ont notifié leurs supérieurs de la police judiciaire de Bruxelles, ceux-ci n’ont pas répondu ou tenté de suivre El Bakraoui.
De plus, quand un tribunal belge a annulé la libération conditionnelle de Bakraoui en août – les deux frères avaient été condamnés pour vol à main armée – il n’y eut aucune tentative de le trouver, bien qu’il n’ait pas paru depuis mai aux réunions avec les agents de libération conditionnelle et avait été expulsé par la Turquie comme terroriste en juillet.
Ces informations soulignent que les explications officielles des attentats de Bruxelles qui circulent dans la presse européenne ne valent pas un clou. L’étendue d’une connaissance préalable officielle des attentats et le rôle clé joué par les manquements policiers et judiciaires dans la protection des auteurs des attentats indiquent clairement que l’incapacité à prévenir les attaques ne peut être attribuée à l’absence d’un partage des renseignements entre différents organismes et États.
L’élément clé est que les frères El Bakraoui, Abdeslam et leurs complices faisaient tous partie d’un vaste réseau travaillant à recruter et à envoyer des combattants islamistes d’Europe vers le Moyen-Orient pour combattre dans la guerre impérialiste par procuration, de changement de régime en Syrie. Ces réseaux ont été tolérés par la police et les responsables de la sécurité des pays de l’OTAN, qui les considéraient comme un outil politique important.
Il est significatif que des responsables turcs qui ont parlé au Guardian ont accusé des gouvernements européens d’utiliser également ces réseaux pour exporter les islamistes européens vers les champs de bataille syriens.
« Nous soupçonnions que la raison pour laquelle ils veulent que ces gens viennent c’est qu'ils n’en veulent pas dans leur propre pays. Je pense qu'ils étaient si paresseux et si mal préparés et qu’ils ont continuellement repoussé d’y regarder de plus près jusqu'à ce que cela devienne chronique », a dit une source décrite par le Guardian comme un haut fonctionnaire de la sécurité turque.
Une intégration étroite de ces réseaux islamistes avec les agences de sécurité des pays de l’OTAN, dont la Belgique, sous-tend toute une série d’attentats terroristes islamistes. Des fusillades terroristes de l’an dernier à Paris aux attentats du 11 septembre 2001 qui découlaient de la longue collaboration entre la CIA et les précurseurs d’Al-Qaïda pour renverser le gouvernement afghan prosoviétique dans la guerre soviéto-afghane des années 1980.
Alors qu’on cachait au public les liens entre agences de sécurité et forces islamistes, les gouvernements ont exploité ces attaques et poussé à des politiques anti-démocratiques et impopulaires, depuis les guerres sanglantes au Moyen-Orient de la « guerre » de Washington « contre le terrorisme » à l’actuel état d’urgence en France. Précisément parce que ces opérations jouent un rôle central dans la politique européenne et américaine, la crise politique naissante en Belgique à propos des responsabilités policières dans les attaques, provoque une profonde inquiétude dans les milieux impérialistes internationaux.
Hier, le secrétaire d'Etat américain John Kerry a fait un arrêt organisé à la hâte à Bruxelles, à son retour de pourparlers sur la Syrie à Moscou avec le président russe Vladimir Poutine, pour rejeter cyniquement comme de la « grogne » les enquêtes et les critiques vis-à-vis de l'Etat belge.
« Les gens tirent des conclusions hâtives, » a déclaré Kerry à la résidence de l’ambassadeur américain en Belgique. « Je n’ai pas connaissance de toutes les circonstances, je ne sais pas si certains événements ou preuves ou occasions ont été manqués spécifiquement. Cela viendra avec le temps. Mais je pense que toute cette grogne quatre jours après est un peu frénétique et inappropriée. »
(Article paru d’abord en anglais le 26 mars 2016)