Perspective

Wall Street fête les signes annonciateurs d’une récession américaine

Vendredi, le ministère du commerce a publié le dernier rapport d’une série qui laisse entrevoir une baisse significative de l’économie américaine. La réaction de Wall Street fut une ruée euphorique sur les marchés faisant monter l’indice Dow Jones de près de 400 points et faisant terminer la journée en nette hausse pour tous les grands indices mondiaux. 

Le ministère a déclaré que la croissance américaine a baissé presque au point mort au dernier trimestre 2015, le PIB n’ayant augmenté qu’à un taux de 0,7 pour cent annualisé, contre 2 pour cent au troisième trimestre. Ce rapport inquiétant relevait également une baisse importante des investissements dans les entreprises et des dépenses des ménages. 

Cela faisait suite à un rapport jeudi selon lequel les commandes de produits à longue durée de vie, un indicateur clef de la production industrielle, avaient chuté de 5,1 pour cent en décembre, la baisse mensuelle la plus forte depuis la crise financière de 2008-2009. 

Ces statistiques coïncident avec une série d’annonces de licenciements massifs par des grandes sociétés américaines. Il y a 16 000 licenciements chez Walmart (grande distribution), 10 000 chez le pétrolier Schlumberger, 6000 à la compagnie chimique DuPont, 4000 à Pearson LLC (édition pour l’enseignement), 2.000 à la compagnie ferroviaire Norfolk, 3.000 à Johnson & Johnson, 886 à la compagnie minière Alpha Natural Ressources, 829 chez Sprint (téléphonie mobile), et 800 chez VMware (haute-technologie). 

D'autres géants américains, dont United Technologies, Boeing, Apple et Caterpillar, ont publié des résultats assez piètres pour la fin 2015 et des estimations encore pires pour 2016. Apple s’attend à la première baisse de ses revenus annuels depuis 2003. Caterpillar, qui indique que ses revenus ont baissé de 20 pour cent l’année dernière et que les revenus de cette année pourraient atteindre leur plus bas niveau depuis six ans, a annoncé vendredi qu’il éliminerait 670 emplois et fermerait cinq usines dans le Midwest. 

Comment expliquer une remontée aussi vertigineuse des la bourse en réaction aux signes d’une récession économique ? 

Pour la grande masse de la population, la stagnation et le ralentissement économiques signifient moins d’argent, plus de chômage et de pauvreté. Ceci dément complètement les déclarations sur la « reprise » économique et confirme que la destruction des emplois décents, des retraites et des services publics d'après le crash de Wall Street en 2008 n’est pas une situation passagère, mais le début d’une attaque permanente et de plus en plus intense contre la classe ouvrière. 

Pour l’aristocratie financière, par contre, les signes d’une récession sont des indications bienvenues que la Réserve fédérale continuera à injecter des milliers de milliards de dollars dans les marchés financiers. Les banquiers et les spéculateurs se frottaient les mains vendredi en anticipation d’un afflux de crédits encore moins chers pour alimenter leurs opérations financières parasites. 

L’euphorie à Wall Street expose le caractère de ce que le gouvernement et les médias appellent la « reprise » économique. Il y a tout juste deux semaines, le président Obama chantait les louanges de la « mobilisation » économique qui aurait fait de l’économie américaine « la plus forte, la plus durable… au monde », et déclarait que les affirmations selon lesquelles « l’économie américaine serait en déclin » sont une « fiction ». 

Il n’y a eu aucune reprise réelle de l’économie mais une redirection massive des ressources publiques vers le sauvetage et l’enrichissement de l’oligarchie financière au détriment des forces productives et de la classe ouvrière. La priorité en politique intérieure a été de subventionner les spéculations parasitaires et quasi-criminelles des banques et des institutions financières, privant l’économie réelle d’investissements productifs, afin d'opérer une concentration encore plus poussée des richesses dans les mains du 1 pour cent, voir du 0,1 pour cent, le plus riche de la population. 

Maintenant, avec le ralentissement en Chine et la crise des « marchés émergents », l’effondrement des prix des produits industriels, et des signes que l’accumulation des dettes a atteint ses limites, l’élite financière exige encore plus d’argent gratuit pour alimenter ses pyramides de Ponzi. 

En même temps, elle exige le gaspillage de sommes toujours plus importantes pour financer ses guerres visant à la domination géopolitique et au pillage économique du Moyen-Orient et à ses préparatifs d’une guerre contre ses rivaux dotés de l’arme nucléaire : la Russie et la Chine. 

La crise économique qui s’aggrave, pour laquelle la classe dirigeante n’a aucune solution rationnelle ou progressiste, se mêle aux tensions géopolitiques mondiales comme aux tensions sociales à l’intérieur du pays, et les exacerbe. L’élite financière et patronale, craignant l’opposition sociale, prépare d’autant plus fiévreusement les moyens dont elle aura besoin pour une répression violente des travailleurs par l’État. 

Cette crise se déroule avec en toile de fond une élection qui a déjà révélé une aliénation et un dégoût populaires bien ancrés envers l’ensemble du système politique et les deux partis du patronat, ce système par lequel la classe dirigeante américaine a exercé sa domination politique depuis un siècle et demi. 

Il y a une montée du militantisme de la classe ouvrière, exprimée par l’opposition des travailleurs de l’automobile aux conventions collectives au rabais imposées par le syndicat United Auto Workers l’année dernière, par les manifestations des travailleurs à Flint contre l’empoisonnement de l’eau de la ville, et celles des enseignants et des élèves à Detroit contre l’état intolérable de leurs écoles. De même, le large soutien reçu par la candidature de Bernie Sanders, qui se dit socialiste et dénonce l’inégalité et Wall Street, alors même qu’il cherche à canaliser l’opposition populaire derrière le Parti démocrate, reflète la radicalisation politique et la montée d’un sentiment anticapitaliste parmi les travailleurs et les jeunes. 

Il y a une crainte montante des troubles sociaux dans la classe dirigeante, exprimée dans une série d’articles et d’études sur l’inégalité sociale et de commentaires inquiets sur les implications du soutien dont bénéficie Sanders. Vendredi, le Wall Street Journal a publié une chronique de Peggy Noonan, ex-auteur des discours de Ronald Reagan, sous le titre « le socialisme revit. » Elle écrit, « la montée de Bernie Sanders signifie que l’accommodement touche à sa fin, et que quelque chose de nouveau va prendre sa place, » et ajoute, « savez-vous ce qui a l’air vieux si vous avez 25 ans ? Le système capitaliste libéral qui nous a mis dans le pétrin. » 

Les luttes à venir de la classe ouvrière doivent être guidées par la compréhension que ses intérêts sont incompatibles avec ceux de l’oligarchie financière qui domine l’économie et le système politique. L'euphorie de Wall Street face aux informations qui impliquent une détresse et une souffrance croissantes pour des millions de gens démontre le conflit irrémédiable entre les intérêts de classes sociales. 

La lutte pour conserver les droits sociaux fondamentaux – des emplois payés décemment, l’éducation, la santé, le logement, la retraite – et mettre fin à la course vers une nouvelle guerre mondiale dont les conséquences seraient catastrophiques est une lutte pour retirer le pouvoir à l’oligarchie financière dirigeante, pour mettre fin à sa propriété privée sur les banques et les grandes entreprises. C’est une lutte contre le système capitaliste lui-même. 

(Article original paru le 30 janvier 2016)

 

 

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