L'Armée de l'air américaine a lancé le 26 février un missile nucléaire Minuteman III à partir d'un bunker souterrain sur la côte californienne, le second tir d'essai de cette sorte de missile balistique intercontinental (ICBM) non armé en l'espace d’une semaine.
Le missile qui a frappé une zone d'essai dans les eaux de l'atoll de Kwajalein, à quelque 2.500 miles (4000 kilomètres) au sud-ouest d’Honolulu, porte normalement trois ogives ciblées indépendamment, chacune de 20 fois la puissance destructrice des bombes qui ont tué jusqu'à 350.000 personnes à Hiroshima et Nagasaki en 1945. Pour le vol de jeudi, il portait un paquet d'instruments d'essai.
Pour bien s’assurer que le sens politique de ces deux lancements rapprochés (il n’y a eu que 15 de ces tests depuis 2011) n’échappe à personne, Robert Work, le secrétaire adjoint américain à la Défense, a nommé spécifiquement dans une interview le 26 février la Russie et la Chine et qualifié les tirs d'essai de « signal ... que nous sommes prêts à nous servir d’armes nucléaires pour défendre notre pays si nécessaire ».
Cette déclaration très inhabituelle et extrêmement provocatrice de la volonté de Washington de mener une guerre nucléaire survenait dans le contexte de tensions croissantes avec la Chine en mer de Chine méridionale et avec la Russie en Syrie et en Europe de l'Est. La menace nucléaire fut accompagnée de rodomontades de hauts responsables du Pentagone témoignant devant le Congrès des États-Unis en faveur d’une augmentation des dépenses d'armes américaines.
Il y eut le 24 février le témoignage, devant la Commission des forces armées de la Chambre des représentants, de l'amiral Harry Harris, chef du Commandement du Pacifique de l’US Navy, qui a appelé à une escalade majeure des opérations navales américaines anti-chinoises en mer de Chine méridionale et a accusé Pékin de rechercher « l'hégémonie en Asie de l'est », un impératif stratégique que Washington est lui-même déterminé à atteindre par des moyens militaires.
Il y eut le lendemain, devant la même commission, les remarques plus incendiaires encore du général Philip Breedlove, commandant suprême allié de l'OTAN en Europe et chef du Commandement européen des États-Unis. Breedlove a décrit la Russie comme « agressive » et « en train de renaître » et accusa Moscou d'avoir « choisi d'être un adversaire et [de] constitue[r] une menace existentielle à long terme » pour les Etats-Unis.
« Les Etats-Unis et l'OTAN doivent adopter une approche tous azimuts de la sécurité – considérer la gamme complète des problèmes de sécurité dans toutes les directions et [assurer] que nous utilisons tous les éléments de la puissance de notre nation », a dit Breedlove. En insistant sur « tous les éléments » de la puissance américaine, le général de l'Armée de l'air parlait de l'arsenal nucléaire du Pentagone.
Breedlove a fustigé l'intervention depuis cinq mois de la Russie en Syrie, qu'il a accusée « d'avoir aggravé le problème de façon dramatique», vraisemblablement en perturbant la tentative de Washington d'obtenir un changement de régime par une guerre où Al-Qaïda sert de principale force par procuration des Etats-Unis sur le terrain. Il est allé jusqu'à accuser Moscou de « militariser » la vague de migrants poussés par la guerre civile syrienne, orchestrée par Washington, et les guerres d’Irak et d’Afghanistan, à fuir en Europe.
« Pour contrer la Russie, Eucom [le Commandement européen des États-Unis], en collaboration avec ses alliés et partenaires, dissuade la Russie aujourd'hui et se prépare à se battre et à gagner si nécessaire », a déclaré Breedlove. La folie des remarques de Breedlove n’était pas que jouée. Que le commandant des forces américaines en Europe parle ouvertement de se préparer à « combattre et gagner » contre la Russie ressemble à une invitation à un holocauste nucléaire.
Les remarques de Breedlove furent complétées par celles du secrétaire américain à la Défense Ashton Carter. Il a déclaré à la Commission de la Chambre chargée des questions budgétaires que les prétendues « rodomontades nucléaires » de Moscou avait remis en cause « l'engagement à la stabilité stratégique » de la direction russe et « son respect de la prudence profonde que les dirigeants de l'âge nucléaire montraient devant les menaces à l’aide d'armes nucléaires ». Comme l'ont démontré les événements récents, Washington ne partage ni cet engagement ni cette prudence.
Le ministère russe de la Défense a lié, non sans justification, cette rhétorique belliqueuse au débat sur le budget militaire américain et fait remarquer que la même « marée montait chaque année ». Mais ce serait une dangereuse erreur de sous-estimer les préparatifs avancés engagés par Washington pour la guerre mondiale en général et pour une confrontation militaire avec la Russie en particulier.
Le projet de budget du Pentagone comprend cette année 3,4 milliards de dollars pour l' « Initiative européenne de réassurance », quadruplant son financement par rapport à l'an dernier. Cette somme énorme est destinée à payer la rotation continue d'unités de combat américaines dans les anciennes républiques baltes soviétiques et dans trois pays d'Europe orientale. Cela équivaut à un siège militaire permanent de la frontière occidentale de la Russie. En outre, elle financera le prépositionnement de matériel militaire américain, dont des chars et de l'artillerie lourde, dans la même zone pour permettre le déploiement rapide d'unités militaires beaucoup plus importantes. Elle servira également à développer la formation et fournir plus d'armes aux Etats farouchement anti-russes de la région.
Ces deux dernières années, profitant de la crise provoquée par le coup d'Etat soutenu par l'Occident en Ukraine et de l'annexion de la Crimée après son approbation par référendum populaire, Washington et ses alliés ont procédé à un renforcement militaire de plus en plus provocateur dont le but est l'intimidation, l'assujettissement et finalement, le démembrement de la Fédération Russe. Cela comprenait la création d'une « force de réaction rapide » pouvant compter sur 40.000 soldats de l'OTAN et incluait une série sans précédent d'exercices militaires à distance de frappe de la Russie.
Deux groupes de réflexion étroitement liés à l'appareil militaire et de renseignement américain ont publié récemment des rapports à l'appui de ce renforcement. Le Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS) a publié en février une étude commanditée par l'Armée américaine d’Europe. Il a fait valoir qu'« un changement radical tant dans le paradigme de sécurité européenne que transatlantique exige[ait] la réévaluation d'une gamme complète de mesures requises pour que les Etats-Unis puisse mieux dissuader la Russie d'actes aventuristes similaires dans et autour du territoire de l'alliance ».
Le 26 février, le Conseil de l'Atlantique, virtuellement un bras de l'OTAN, a publié une étude, intitulée «Alliance à risque: renforcement de la défense européenne », qui prône un renforcement militaire majeur dans toute l'Europe. Visant à structurer la discussion au sommet de l'OTAN à Varsovie en juillet, elle déclare: « Le renforcement de la défense européenne fournira des ressources pour aider à dissuader la menace en provenance de l'Est et à l'emporter sur les dangers venant du Sud ».
Rédigée par de hautes personnalités politiques et militaires, l'étude examine la situation militaire de la Grande-Bretagne, qu'elle qualifie d'«évidée», ainsi que celle de la France, de l'Allemagne, de la Norvège, de l'Italie et de la Pologne.
La section sur l'Allemagne dénonce la « forte tendance anti-militariste » dans la population et fait valoir que « les dirigeants politiques et les commentateurs doivent convaincre et éduquer le public sur l'importance d'une politique défensive plus forte ».
La section sur la Pologne, rédigée par Tomasz Szatkowski, sous-secrétaire d'Etat au ministère polonais de la Défense nationale est la plus glaçante. Elle plaide pour le développement par Varsovie d'une « dissuasion non nucléaire » contre la Russie qui « se composerait de nouvelles capacités, telles des ogives plus puissantes sur les missiles de croisière, de nouveaux types d'armes (par exemple, la technologie des micro-ondes) et les capacités de cyber-offensives et de Forces d'opérations spéciales subversives ».
Dans les coulisses, sans rien dire à la population américaine ou mondiale, les responsables américains et de l'OTAN ont discuté de changer la politique nucléaire occidentale et les règles d'engagement, sous prétexte que Moscou avait violé le Traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (INF), une allégation que la Russie a démentie.
Pour se préparer à une guerre nucléaire agressive, le gouvernement Obama a mis au point un programme de modernisation des armes nucléaires de mille milliards de dollars. Celui-ci envisage le déploiement sur les 30 prochaines années de nouvelles générations de bombardiers à longue portée, de sous-marins nucléaires, d'ICBM et de missiles de croisière. Dans le budget 2017 du Pentagone, actuellement discuté, le gouvernement a demandé 9,2 milliards dollars pour l’Administration de la sécurité nucléaire nationale, un département du ministère de l'Énergie, pour le développement des stocks d'ogives nucléaires de Washington.
(Article paru en anglais le 27 février 2016)