Depuis trois semaines, les événements du Nouvel An à Cologne, en Allemagne, ont été exploités pour une campagne effrénée de racisme anti-immigrés et anti-musulmans. Pas un jour ne se passe sans que les medias ne diffusent reportages, commentaires, bulletins spéciaux et talk-shows où l’on parle du danger croissant de la «criminalité étrangère», le tout assorti d’appels à l'expulsion accélérée d’« immigrés délinquants».
Les mots « étranger » et « demandeur d'asile » sont dans la très grande majorité des cas liés à l'adjectif «criminel». Les demandes pour plus de police, plus de surveillance gouvernementale et plus généralement un État plus fort, font partie intégrante de cette campagne.
Le ministre de l'Intérieur Thomas de Maizière (Union chrétienne-démocrate, CDU) appelle non seulement à l'accélération des procédures d'asile, mais aussi à l'expulsion immédiate des demandeurs d'asile ayant commis des délits. Dans une résolution intitulée «Sécurité publique», le Parti social-démocrate (SPD) appelle à la création de 12.000 nouveaux postes pour la police des Lands et la police fédérale d’ici 2019. Le Parti de Gauche appelle lui aussi à une répression vigoureuse par la police et la Justice. L’actuelle «absence d’application de la loi», dit-il, doit être maîtrisée.
Pour justifier cette hystérie raciste on a toujours et encore utilisé les événements du Nouvel An à Cologne. Mais après trois semaines de recherches intensives et la création d'une commission spéciale de la police de dix membres appelée « Nouvel An », ce qui s’est vraiment passé à la gare centrale de Cologne au Nouvel An reste en grande partie obscur. De nombreux témoignages et éléments d'information se contredisent.
Jeudi 21 janvier, la commission des Affaires intérieures du Land de Rhénanie-du-Nord Westphalie s’est réunie une fois de plus. En préparation, le ministre de l'Intérieur du Land, Ralf Jäger (SPD), avait présenté un rapport de 34 pages. Il a aussi répondu à 19 pages de questions du Parlement du Land.
Le rapport traite non seulement de Cologne, mais également de trois autres villes de Rhénanie-du-Nord Westphalie. Il précise que, dans le cadre du Nouvel An, il y eut un total de 982 plaintes déposées: 821 à Cologne (dont 359 pour des délits sexuels), 113 à Düsseldorf (69 pour infractions sexuelles), 28 à Dortmund (dont 4 délits sexuels) et 20 à Bielefeld (5 délits sexuels).
Le fait que moins de 100 plaintes aient été déposées les 10 premiers jours de la nouvelle année et que leur nombre ne se soit multiplié qu’avec le début de la campagne médiatique, n’est pas examiné dans le rapport.
Dans l'intervalle il y a, selon Jäger, 30 suspects dans l'affaire de Cologne, dont 25 Marocains et Algériens. Les autres suspects viennent d'Albanie, d'Afghanistan, de Tunisie, de Libye et d'Iran. Jäger n’explique pas pourquoi, après trois semaines, seul un suspect a été placé en détention pour agression sexuelle. Deux hommes arrêtés précédemment ont depuis été libérés parce que les soupçons contre eux ne pouvaient pas être confirmés.
Les faits et les preuves font apparemment défaut bien que la gare centrale de Cologne soit surveillée par 80 caméras vidéo, et qu’on ait analysé de nombreux enregistrements de portables privés. L'affirmation selon laquelle il faisait trop sombre pour reconnaître les enregistrements des caméras de surveillance est réfutée par la diffusion de vidéos montrant la gare brillamment éclairée.
Durant la semaine passée, la police avait perquisitionné plusieurs bars, casinos et cafés Internet dans le quartier Gremberg à Cologne et à Düsseldorf. Ces efforts n’avaient pas non plus donné d’informations nouvelles. « Tous les 40 hommes arrêtés à Düsseldorf ont été libérés, 6 téléphones portables et un ordinateur portable ont été saisis, sans doute volés. Les autorités ne disent pas si ces articles provenaient de la nuit du Nouvel An à Cologne », écrit ZeitOnline, qui a obtenu un exemplaire du rapport d'enquête.
Pour ce qui est du nombre total de viols signalés également, le rapport Jäger reste vague. Dans chaque cas, les délits allégués sont répertoriés comme «agression sexuelle/viol »; certains sont accompagnés de notes indiquant que les actes furent commis en groupe, certains sont décrits comme des agressions à part entière, d'autres comme des « infractions mineures ». ZeitOnline a noté qu’«il était souvent difficile de distinguer entre une agression sexuelle et un viol », ajoutant que « jusqu'ici, deux viols avaient été signalés ».
Immédiatement après les événements de Cologne, le ministre fédéral de la Justice Heiko Maas (SPD) a parlé d'une « nouvelle forme de criminalité organisée. » Ce que le ministre de l'Intérieur de Rhénanie-du-Nord Westphalie contredit à présent.
Le ministère de l'Intérieur ne voit aucune « activité organisée », selon Jäger. Il y avait « des indications claires » que les « crimes ont été commis par différents auteurs ou groupes d'auteurs », a déclaré Jäger. Il a expliqué qu'il y avait des «motifs hétérogènes » selon les auteurs: l’un voulait commettre un délit de propriété, l’autre une agression sexuelle. Des 30 suspects à Cologne, seuls six ont été accusés d'avoir commis un délit sexuel. Le vol à la tire, le recel et le vol qualifié étaient les accusations les plus courantes.
Les résultats de l'enquête sont en totale contradiction avec la couverture médiatique hystérique parlant d’une nouvelle «dimension de la violence sexuelle » et d’une « populace » africaine d’« agresseurs sexuels » hors de contrôle.
Il y a une semaine, Thomas Fischer, un juge fédéral de Karlsruhe, avait écrit « une petite interjection sur le thème ‘populace d’agresseurs sexuels’ (Bild) ». Fischer écrit une chronique régulière sur les affaires juridiques pour Die Zeit.
Avec une ironie acerbe, il a fustigé la campagne médiatique et souligné qu'à ce stade de l'enquête à Cologne, il apparaissait que ce qui s’était passé était malheureusement, précisément ce qui arrivait souvent lors de grands rassemblements festifs où la consommation d'alcool était sans limites. Fischer écrit: «Voyons plutôt ce que nous pouvons apprendre de nos expériences avec les populaces d’agresseurs sexuels et les hordes d’hommes jeunes, ivres d'alcool et de testostérone. Nous en avons ici un exemple particulièrement dégoûtant. »
Fischer cite un reportage de la Süddeutsche Zeitung du 29 septembre 2011 à propos de l'Oktoberfest de Munich: « Le court chemin conduisant aux toilettes est un vrai passage par les baguettes. En 30 mètres, il y avait trois accolades de parfaits inconnus, des hommes ivres, deux claques sur le derrière, une jupe relevée et un torrent de bière versé volontairement sur votre décolleté. Il est 11 heures du matin, nous sommes samedi, à la tente de la bière. L’Oktoberfest vient de commencer ... dangereuses aussi les pelouses sous la statue de Bavaria. Les femmes en particulier (...) sont des victimes sans défense. »
Parce que cela ne sort pas de l'ordinaire à l'Oktoberfest, et se répète chaque année, on le remarque à peine. Pour souligner le contraste entre cette indifférence et la campagne médiatique exagérée et bizarre à la suite des événements de Cologne, Fischer écrit ironiquement: «Oui, c’était bien comme ça! Nous nous en souvenons comme si cela se passait aujourd'hui. Les différentes émissions spéciales! La démission du chef de la police! Le débat d'urgence au parlement! Le message vidéo d'Angela Merkel aux femmes allemandes ».
Le juge cite un autre article de presse de 2014 sur le carnaval de Cologne dans le quartier de Zülpich qui démontre à quel point l’actuelle campagne raciste des médias est malhonnête et politiquement calculée.
L’article dit: « Les fonctionnaires de police ont émis un total de 43 (88) ordres de dispersion et 47 (39) personnes furent placées en garde à vue (les chiffres de l'année précédente sont entre parenthèses). La police a lancé 55 (46) poursuites pénales pour délits de blessures corporelles, dommages à la propriété, vol à la tire, vol et infraction sur les stupéfiants. 18 (9) délinquants ont été arrêtés. (...) Alors que la nuit avançait et que l'alcool continuait de couler, le nombre des délits de blessures corporelles, dommages matériels et de langage abusif a également augmenté. La police a assuré la sécurité par des interventions déterminées et par le maintien d'une présence visible, a indiqué le commissaire de police H. »
A en juger par ces chiffres, rien de différent, ou rien de plus, ne s’est passé à la gare centrale de Cologne que ce qui s’est produit dans de semblables rassemblements à grande échelle à d'autres occasions comme le Carnaval ou l’Oktoberfest. Cela n'a pas empêché les médias et les politiciens de déchaîner une virulente campagne internationale et sans précédent qui ne recule pas devant les pires préjugés racistes
Les raisons de cette campagne ne sont pas les événements de Cologne. Ceux-ci ne servent que de prétexte pour justifier un renforcement sans précédent de la police et des agences de renseignement à l’intérieur et de nouvelles missions de combat en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
(Article paru en anglais le 24 janvier 2016)