En attaquant de façon abjecte le petit Aylan Kurdi, le garçon de trois ans dont la noyade au large des côtes turques l’an dernier était devenue un symbole du terrible coût humain de la guerre en Syrie, l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo a rejoint la campagne raciste croissante visant les réfugiés du Moyen-Orient en Europe.
Riss, l’auteur du dessin qui a choqué des lecteurs dans le monde entier est un dessinateur ayant survécu à l’attaque terroriste de la rédaction du magazine, en janvier dernier. Le dessin exploite la campagne hystérique attisée actuellement par les médias internationaux et basée sur l’assertion que des réfugiés ont participé à Cologne, pendant la Saint-Sylvestre, à une vague d’agressions sexuelles alléguées.
Sous une légende demandant « Que serait devenu le petit Aylan s’il avait grandi ? » Riss a dessiné des caricatures d’un garçonnet noyé, qu’il montre ensuite grandissant et acquérant un groin de porc, qui court après une femme blonde fuyant, affolée; il finit par répondre : « Un tripoteur de fesses en Allemagne. »
L’appel flagrant au racisme et aux préjugés antisémites qui n’aurait pas été déplacé dans les pages de Der Stürmer, la feuille de propagande nazie, s’est attiré des condamnations internationales.
La tante d’Aylan, Tima Kurdi, qui vit maintenant réfugiée au Canada, a déclaré à CBC News que la caricature était « dégoûtante », ajoutant: « J’espérais que les gens respecteraient la douleur de notre famille. C’est une grande perte pour nous. Nous ne sommes plus les mêmes après cette tragédie. Nous essayons d’oublier un peu et de continuer notre vie. Mais nous blesser de nouveau, c’est injuste. »
Même en France, où le Parti socialiste (PS) a exploité l’attentat de janvier dernier pour lancer une campagne réactionnaire pour l’unité nationale autour d’une « guerre contre le terrorisme », sur le thème de « Je suis Charlie » et avec le prétexte de défendre la liberté de la presse, de nombreux lecteurs ont écrits des commentaires condamnant le dessin.
Le quotidien de droite Le Figaro a fait remarquer que le lectorat de Charlie Hebdo avait quadruplé de par sa promotion officielle après l’attentat, passant à 200.000; comme l’hebdomadaire choquait ses nouveaux lecteurs cela lui avait maintes fois valu des scandales. « Il est vrai que l’audience de Charlie Hebdo, autrefois cantonnée à un public libertaire averti, qui avait l’habitude de cet humour corrosif et grinçant, s’est depuis les attentats élargie à un large public, qui n’a pas forcément l’habitude du cynisme, » écrit le journal.
« En espérant ne choquer personne, je m'excuse de trouver que le dessin de la une de Charly est laid et inspire la laideur. », a commenté un lecteur sur le site de Le Figaro.
Un autre commentateur a pointé les sympathies staliniennes, sociales-démocrates, et anarchistes libertaires du personnel de la rédaction de l'hebdomadaire: « à force d'un journal réactionnaire de bobos communistes qui se foutent de tout et de tout le monde nous avons le résultat que l'on connaît, le dessin morbide et déplacé et qui fait scandale fait vendre certes mais il déclenche également des guerres. »
L’attaque par Charlie Hebdo d’un enfant innocent dans le cadre d’une campagne internationale pour justifier la déportation massive de réfugiés en les traitant de violeurs, expose toutes les organisations qui favorisent ou se sont adaptées à la campagne « Je suis Charlie »: les médias en France et dans d’autres pays de l’OTAN, le gouvernement PS français et les divers satellites politiques de celui-ci.
Il confirme la perspective publiée peu après l’attaque contre Charlie Hebdo par le World Socialist Web Site. Tout en condamnant sans équivoque l’attentat terroriste contre les journalistes par des combattants formés dans les mêmes camps islamistes entraînant des combattants islamistes étrangers pour la guerre de changement de régime soutenue par les impérialistes en Syrie, il a mis en garde contre l’hypocrisie politique totale des promoteurs de Charlie Hebdo.
Il s’opposait à l’affirmation des médias que Charlie Hebdo représentait les meilleures traditions de la caricature dirigée contre les monarques européens du 16e au 19e siècle. Ces caricaturistes-là, écrivait le WSWS, étaient « des représentants du siècle démocratique des Lumières et qui faisaient des puissants partisans corrompus des privilèges aristocratiques les cibles de leur mépris. Dans sa représentation implacablement dégradante des musulmans, Charlie Hebdo se moque des pauvres et des faibles. »
Il avertissait du caractère réactionnaire de la campagne politique autour de l’hebdomadaire: « Il est absurde d’affirmer, en défendant Charlie Hebdo, que ses caricatures ne sont que ‘pour rigoler’ et n’ont pas de conséquences politiques. Hormis le fait que le gouvernement français cherche désespérément à rallier un soutien pour l’intensification de son programme militaire en Afrique et au Moyen-Orient, la France est un pays où l’influence du néofasciste Front national est en train de croître rapidement. Dans ce contexte politique, Charlie Hebdo a facilité la croissance d’un genre de sentiment anti-musulman politisé qui a des similitudes troublantes avec l’antisémitisme politisé qui avait émergé en France comme mouvement de masse dans les années 1890. »
« Par son recours à des caricatures grossières et vulgaires véhiculant une image sinistre et stéréotypée des musulmans, Charlie Hebdo rappelle les publications racistes à peu de frais qui ont joué un rôle important en encourageant l’agitation antisémite qui avait balayé la France durant la célèbre affaire Dreyfus qui avait éclaté en 1894 après qu’un officier juif eût été inculpé et accusé à tort d’espionnage pour le compte de l’Allemagne. »
Aujourd’hui, la contradiction entre les prétentions démocratiques hypocrites du PS, avancées après l’attaque de Charlie Hebdo, et leurs résultats un an plus tard est flagrante. L’année écoulée a confirmé les premiers avertissements du WSWS sur la campagne « Je suis Charlie ». Elle a vu le développement du Front national néo-fasciste (FN) dans toute la France aux élections régionales de décembre et, après les attaques terroristes de 13 novembre à Paris, une campagne par le PS pour installer un état d’urgence permanent, abrogeant ainsi les droits démocratiques fondamentaux et attisant encore plus le sentiment anti-musulman.
Le PS se prépare à priver les personnes condamnées pour des infractions liées au terrorisme de la nationalité française. De manière significative, les responsables du PS eux-mêmes avaien dénoncé la privation de nationalité il y a moins de deux ans, quand on l’a proposée quelques mois avant les attentats Charlie Hebdo. Cette politique est associée à l’infâme privation de nationalité par les autorités fascistes françaises de milliers de Juifs français pendant la Seconde Guerre mondiale avant leur déportation vers les camps de la mort nazis.
Après une année d’escalade permanente de « guerre contre le terrorisme » et de chauvinisme français, la campagne « Je suis Charlie » s’est avérée être le mécanisme de légitimation de politiques impensables auparavant. Les millions de personnes qui défilaient il y a un an avec des autocollants « Je suis Charlie »se sont vus, en dernière analyse, exploités comme figurants dans une campagne, maintenant bien avancée, d’installation d’un régime policier en France.
L’attaque d’Aylan Kurdi par Charlie Hebdo montre que la nature de l’hebdomadaire n’était pas fortuite dans le fait que le PS a pu lancer, sous couvert de la campagne « Je suis Charlie », une attaque sauvage sur les droits démocratiques. La couche des « communistes » libertaires et des bourgeois bohèmes qui dominent son personnel, son entourage social et son lectorat de souche – couche de la classe moyenne privilégiée que le WSWS caractérise comme la pseudo-gauche – est, au cours des décennies, devenue totalement dominée par des sentiments inhumains, pro-guerres et anti-musulmans.
La métamorphose de cette couche en base sociale pour une politique fasciste se reflète dans la biographie de certaines des personnalités survivantes les plus en vue associées à Charlie Hebdo.
Romain Goupil, un chef de file du syndicat lycéen pendant la grève générale de 1968 et ex-membre de la Ligue communiste pabliste (précurseur du Nouveau Parti Anticapitaliste actuel) était un conseiller clé de la campagne présidentielle de Coluche en 1981 que Charlie Hebdo a officiellement soutenue. Il a ensuite soutenu les guerres de l’OTAN en Yougoslavie dans les années 1990, l’invasion américaine illégale de l’Irak en 2003 à laquelle s’est même opposé le gouvernement français, et la guerre de l’OTAN en Libye en 2011.
Caroline Fourest, journaliste et militante « pro-laïque » qui a travaillé à Charlie Hebdo et soutient à présent la politique de privation de nationalité du PS a soutenu publiquement la provocation de « l'Apéritif saucisse-et-vin à la Goutte d'Or » en 2010. Ce fut une opération lancée par des groupes d'extrême-droite, dont le Bloc Identitaire et Riposte Laïque, et visant à perturber les musulmans en prière dans le quartier ouvrier de la Goutte d'Or en buvant du vin et en mangeant du porc près d’eux.
La dernière attaque diffamatoire de Charlie Hebdo sur un petit garçon mort et sans défense illustre l’imperméabilité de ces forces à des sentiments démocratiques et leur hostilité aux droits démocratiques.
(Article paru d’abord en anglais le 16 janvier 2016)